LE MONDE FANTASTIQUE D’OZ (2013)

Un prestidigitateur menteur et roublard, emporté par une tornade dans le monde imaginaire d’Oz, se retrouve mêlé aux rivalités entre trois sorcières

OZ, THE GREAT AND POWERFUL

 

2013 – USA

 

Réalisé par Sam Raimi

 

Avec James Franco, Mila Kunis, Michelle Williams, Rachel Weisz, Zach Braff, Joey King, Bruce Campbell

 

THEMA CONTES

Après les acquisitions de Pixar, Marvel et Lucasfilm, Disney débutait la seconde décennie du nouveau millénaire avec déjà plus d’un projet dans son sac. Comme si ça ne suffisait pas, le producteur Joe Roth, ex-patron de la filiale « live » de la firme et déjà à l’origine du très profitable remake d’Alice aux pays des merveilles par Tim Burton, veut créer une franchise potentielle basée sur la série de livres de Frank L. Baum consacrés au monde du magicien d’Oz. Après avoir dilué l’esprit « burtonien » dans sa fantaisie bariolée, Roth jette cette fois son dévolu sur Sam Raimi, le réalisateur de la trilogie culte Evil Dead, de Darkman, Mort ou vif, mais surtout bien sûr de la poule aux œufs d’or que représentait sa trilogie Spider-Man. Après tout, n’en déplaise à ses fans les plus évangélistes, Raimi avait déjà depuis longtemps déposé machette et tronçonneuse, avec plusieurs films plus sages et plus mainstream. Mais Le Monde fantastique d’Oz profite néanmoins de quelques sursauts de personnalité hérités de son précédent film, le jubilatoire Jusqu’en enfer, lui-même voulu comme une récréation après avoir trop trainé ses lycras dans le giron de Sony Pictures avec ses Spider-Man. Le film s’ouvre de façon audacieuse en utilisant un format d’image « académique » (soit le 1,33 : 1 des téléviseurs 4/3) en noir & blanc (sépia plus exactement) pendant 20 minutes ! Le générique est déjà magnifique en soi, avec ses effets optiques façon lanterne magique et zootrope. La version 3D du film renforce encore la sensation d’assister à un tour de magie et la musique de Danny Elfman laisse espérer que ce Monde fantastique d’Oz vengera la déroute de Tim Burton sur Alice au pays des Merveilles. La promesse est d’autant plus belle que le personnage d’Oscar Diggs (James Franco) est d’entrée présenté comme un prestidigitateur volage et roublard, plutôt embarrassé que touché lorsqu’une jeune infirme (Joey King) le supplie d’essayer de lui rendre l’usage de ses jambes, car « elle croit en lui ». Survient alors une tornade qui va, comme dans le classique de Victor Fleming, propulser notre anti-héros dans le monde d’Oz.

Force est de reconnaitre que les promesses d’un divertissement « autre » ne sont pas tenues après ce point, la faute en partie à une direction artistique qui semble interchangeable avec celles d’Alice aux pays des merveilles, des deux Maléfique et du futur Casse-Noisette. Noyé dans ses images de synthèse criardes, Sam Raimi parvient néanmoins à nous faire oublier que Dorothy n’est pas de l’aventure. Alors que la tendance actuelle est à la relecture féministe de certains classiques, Le Monde fantastique d’Oz fait l’exact inverse ! Ce sont toutefois les femmes qui mènent la danse autour d’Oscar : entre Glinda (Michelle Williams), Theodora (Mila Kunis) et Evanora (Rachel Weisz), le pauvre homme est aussi malmené qu’une boule de flipper. Impossible de ne pas penser au pauvre Ash (Bruce Campbell) qui subissait le sadisme de son réalisateur dans la trilogie Evil Dead et qui, comme de coutume, se fend d’une courte apparition dans le rôle d’un garde zélé. Fidèle à ses habitudes donc, Raimi recours à l’autocitation et replace quelques-uns de ses mouvements de caméra « cartoonesques » fétiches, comme ces objets contondants au premier plan pointant vers leur victime, ces plans cassés dès qu’une bagarre s’amorce et ces images distordues face à l’horreur. Et s’il doit par contrat mettre la pédale douce sur les effets horrifiques, sa méchante sorcière de l’Ouest est aussi monstrueuse que possible (il s’agit pourtant de Mila Kunis) grâce aux maquillages de ses fidèles compagnons d’arme du studio KNB, notamment quand il la filme à la manière des zombies d’antan. Néanmoins, malgré un mariage réussi entre décors partiels « en dur » et extensions numériques, l’aspect général du film est trop lisse pour laisser s’exprimer le Sam Raimi excentrique et incisif que nous aimons.

Sam Raimi, le magicien qui ose

Sam Raimi s’est donc acquitté du cahier des charges imposé, probablement avec plus de panache que le Tim Burton démissionnaire d’Alice aux pays des merveilles car, malgré les apparences, lui ne se renie pas : non content de recycler les grandes lignes de L’Armée des ténèbres (un héros-malgré-lui tombé du ciel dans un royaume où il est pris pour le messie et mène une armée de fortune à la victoire face à l’oppresseur) Le Monde fantastique d’Oz, prône également la supériorité de l’inventivité, du bricolage et de la magie (soit la définition du cinéma de Raimi époque pré-Mort ou vif) sur la technologie et l’uniformisation. Après une séquence-montage où Ash – pardon, Oz – commande ses troupes à l’ouvrage pour préparer leur contre-attaque, nous découvrons lors de la bataille que son intention était toute autre, et qu’il compte venir à bout des deux méchantes sorcières comploteuses en usant de malice et d’imagination : voilà les vrais talents de ce faux magicien, en qui on peut voir une analogie avec un réalisateur. La réussite de Raimi se situe donc moins dans le résultat à l’écran que dans son sous-texte et ses articulations. La victoire reste toutefois amère, car le film peut alors se voir au mieux comme une fable cynique, au pire comme un produit parfaitement calibré mais sans aspérité, selon que l’on soit sensible ou pas aux messages codés que Sam Raimi nous adresse.

 

© Jérôme Muslewski

 

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