NE COUPEZ PAS ! (2017)

Une petite équipe tourne un film de zombies avec les moyens du bord jusqu’à ce que de vrais morts-vivants passent à l’attaque…

KAMERA O TOMERU NA !

 

2017 – JAPON

 

Réalisé par Shin’ichiro Ueda

 

Avec Takayuki Hamatsu, Mao, Harumi Shuhama, Yuzuki Akiyama, Kazuaki Nagaya, Manabu Hosoi, Hiroshi Ichihara, Shuntaro Yamazaki, Shin’ichiro Osawa

 

THEMA ZOMBIES I CINÉMA ET TÉLÉVISION

C’est en découvrant la pièce de théâtre « Ghost in the Box » de Ryoichi Wada que le cinéaste indépendant Shin’ichiro Ueda commence à jeter les bases de Ne coupez pas ! Cinq ans plus tard, il tient son scénario et se met en quête d’une troupe de comédiens susceptible de l’interpréter, sachant que le budget à sa disposition sera minuscule (environ trois millions de yen, soit l’équivalent de 25 000 dollars, autrement dit pas grand-chose pour un long-métrage digne de ce nom). Étant donné qu’il ne peut solliciter aucun comédien connu, Ueda se tourne vers l’école d’art dramatique Enbu Seminar de Tokyo, qui accepte de l’accompagner dans cette aventure en participant à sa production et en mettant en place des ateliers d’interprétation. Deux mois durant, le réalisateur auditionne de jeunes acteurs et finit par constituer sa petite troupe. Tout ce beau monde s’embarque alors dans une usine d’épuration d’eau abandonnée à Mito pour un tournage marathon de huit jours, riche en challenges techniques audacieux. Personne ne sait alors que ce petit film produit dans des conditions aussi précaires s’apprête à devenir culte.

Armée d’une hache, une jeune fille pousse des cris de terreur. Face à elle se tient son petit ami, rigide, le regard mort, les mains tendues, le teint blafard. Il s’est transformé en zombie ! La créature s’approche inexorablement, mais soudain le réalisateur entre dans le champ, furieux. La scène ne lui convient pas du tout, les acteurs ne sont pas crédibles. Nous sommes donc au cœur du tournage d’un film de morts-vivants bricolé par une petite équipe dans une vieille usine abandonnée. La mise en abîme est déjà savoureuse, puisque le film semble raconter sa propre histoire. Mais ce n’est que le début. Tandis que les acteurs grimpent à l’étage pour se détendre et se concentrer et que le réalisateur sort expulser sa colère, la situation dégénère. En effet, de véritables zombies entrent en jeu, probablement contaminés par un produit toxique. Les comédiens et les techniciens doivent donc faire face aux monstres, tandis que le réalisateur, poussé par sa folie créatrice, décide de tout filmer…

Making of the Dead

Au-delà du caractère cocasse de la situation décrite dans le film, la virtuosité avec laquelle les choses sont filmées saute aux yeux. L’intégralité de l’action est en effet tournée en plan-séquence, sans coupure, laissant imaginer les complexités de la mise en scène, les trésors d’ingéniosité déployés hors-champ et les nombreuses répétitions nécessaires à ce timing parfait. Par moments, bizarrement, le fameux quatrième mur qui sépare les spectateurs des protagonistes s’effrite, comme si la caméra – ou plutôt le cameraman – se transformait à son tour en personnage. Bien sûr, ce n’est pas un hasard. Car non content de son concept audacieux et extrêmement immersif, Ne coupez pas ! évolue vers des territoires inattendus en se payant un changement brutal de cap à mi-parcours. A ce stade, les choses prennent une tournure vertigineuse impossible à décrire sous peine de trop en révéler. Le film n’en finit plus de surprendre, nous offrant une réflexion fascinante sur la miraculeuse fragilité du geste créatif. À travers cette performance acrobatique des deux côtés de la caméra, Ne coupez pas ! s’intéresse en effet aux accidents, aux imprévus, à la spontanéité et à l’improvisation qui œuvrent ensemble pour tendre vers une certaine perfection étonnamment millimétrée. La fin du film donne du coup l’envie irrépressible de le revoir immédiatement depuis le début pour en apprécier tous les détails qui pouvaient sembler anodins. Sorti d’abord dans une petite salle d’art et essai de Tokyo, Ne coupez pas ! se transforme en phénomène grâce au bouche à oreille et remporte un succès inespéré. Michel Hazanavicius en réalisera un remake français cinq ans plus tard.

 

© Gilles Penso


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