MALPERTUIS (1972)

Le réalisateur des Lèvres rouges revisite d’une manière insolite les grandes figures de la mythologie à l’aide d’un casting inattendu…

MALPERTUIS

 

1972 – BELGIQUE

 

Réalisé par Harry Kümel

 

Avec Mathieu Carrière, Jean-Pierre Cassel, Suzan Hampshire, Michel Bouquet, Orson Welles, Charles Janssens, Sylvie Vartan

 

THEMA MYTHOLOGIE

Tourné intégralement en anglais, le film de vampires Les Lèvres rouges connaît un succès important grâce à sa distribution internationale et permet à son réalisateur Harry Kümel de voir plus grand. Il élargit donc le scope avec Malpertuis, adaptation du roman homonyme de Jean Ray publié une première fois en 1943. Le joli générique d’ouverture, enchaînant les peintures animées, nous invite déjà au voyage. Bénéficiant de moyens conséquents et d’un impressionnant casting international, Kümel raconte ici l’étrange aventure du matelot Yann (le beau Mathieu Carrière, qu’on croirait échappé d’un film publicitaire de Jean-Paul Gaultier), dont le voilier fait escale dans un port flamand après une longue traversée. Le jeune homme découvre que la maison de ses parents s’est écroulée et que sa famille a quitté les lieux depuis bien longtemps. Croyant apercevoir la silhouette de sa sœur Nancy, il traverse les rues pavées de la ville, fort photogéniques et magnifiquement éclairées, erre dans les bas quartiers animés, puis perd connaissance suite à une querelle avec un proxénète jaloux. Au petit matin, il retrouve sa sœur et son oncle Cassave incarné par Orson Welles, plus impressionnant que jamais avec ses allures d’ogre alité. Ce vieillard inquiétant règne sur la cité de Malpertuis. Là s’ébattent les êtres les plus étranges : un prêtre, une servante, un naturaliste, trois sœurs tout de noir vêtues, une jeune femme au regard fuyant…

Chacun de ces individus mystérieux attend manifestement avec impatience la mort du vieil oncle pour toucher un confortable héritage, mais lorsque Cassave annonce les clauses de son testament, beaucoup déchantent. L’argent ne sera en effet partagé qu’à condition que chaque héritier passe le restant de ses jours à Malpertuis sans jamais quitter les lieux. Peu appâté par le gain, Yann tente de percer le mystère de la cité. Tous ses inquiétants voisins et parents semblent en effet en savoir plus qu’ils ne le disent. Ballotté entre les avances de la sensuelle Alice et le coup de foudre qu’il a pour la mystérieuse Euryale, le jeune matelot découvre enfin la vérité, incroyable et inéluctable : les êtres qui hantent Malpertuis sont les dieux de la Grèce antique, déchus depuis que l’homme a cessé de croire en eux. Mourants, ils ont été recueillis par Cassave sur une île lointaine, et vivotent désormais comme de vulgaires petits-bourgeois. Seule la gorgone Euryale a conservé ses redoutables pouvoirs pétrificateurs. C’est Suzan Hampshire qui lui prête ses traits, tout en incarnant également la belle Nancy et la troublante Alice. « Pour être honnête, même si je suis très heureux de la prestation de Susan Hampshire, j’aurais voulu avoir Catherine Deneuve dans ce rôle », avoue Harry Kümel. « Susan Hampshire était beaucoup moins malléable que ne l’aurait été Deneuve. J’aurais pu mieux la façonner, la “remplir“, lui donner exactement l’image que j’avais en tête. Le résultat aurait été un peu plus fou. Cela dit, je n’ai rien à reprocher à Susan qui est sortie de ses rôles habituels pour me proposer une interprétation très intéressante, et qui m’a avoué en avoir retiré beaucoup de plaisir. » (1)

« Mauvais passage »

Le scénario de Malpertuis mixe ainsi avec beaucoup d’audace la mythologie grecque et les légendes flamandes, le titre du film (et donc du roman de Ray) signifiant « Mauvais passage ». Outre l’immense Welles et l’envoûtante Hampshire, le casting brille également par la présence de Michel Bouquet, composant son personnage favori d’être détestable ayant fait de la sournoiserie et de la duplicité ses maîtres mots. Chacune de ses apparitions, le regard fourbe sous son chapeau melon noir, est une véritable délectation. Le film se pare enfin de décors fort graphiques, qui participent beaucoup au climat quasi-surréaliste de l’œuvre. On note dans un petit rôle Sylvie Vartan, incarnant la prostituée Bets qui pousse la chansonnette et précipite le destin de Yann dans la cité perdue de Malpertuis. « Lorsque j’ai présenté Malpertuis au Festival de Cannes, je me souviens que des journalistes un peu snobs, envoyés par des revues très prestigieuses, m’ont demandé : “Monsieur Kümel, trouvez-vous normal de présenter un film de ce genre à Cannes ?“ », raconte le réalisateur. « J’ai trouvé cette question incongrue et stupide. Comme si le « genre » fantastique était devenu persona non grata. Or il n’y a pas plus universel et plus riche comme genre cinématographique que le Fantastique. » (2)

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018

 

© Gilles Penso


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