BEAU IS AFRAID (2023)

Après Hérédité et Midsommar, Ari Aster plonge Joaquin Phoenix dans un voyage initiatique cauchemardesque…

BEAU IS AFRAID

 

2023 – USA

 

Réalisé par Ari Aster

 

Avec Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Amy Ryan, Nathan Lane, Kylie Rogers, Denis Ménochet, Armen Nahapetian, Zoe Lister-Jones, Parker Posey, Julia Antonelli

 

THEMA CONTES I MORT I RÊVES

Avant de redéfinir à sa manière les codes du cinéma d’horreur avec Hérédité et Midsommar, déployant chacun à leur manière une personnalité forte, un style unique et un univers passionnant, Ari Aster était un praticien chevronné du court-métrage. L’un d’entre eux, Beau, réalisé en 2011, racontait pendant sept minutes la mésaventure paranoïaque aux allures de cauchemar éveillé d’un homme (Bill Mayo) coincé chez lui après le vol des clés de son appartement. En 2014, Aster tente de tirer un long-métrage de ce galop d’essai, mais le projet ne se concrétise qu’une décennie plus tard, d’abord sous le titre de Disappointment Blvd puis sous celui de Beau is Afraid. En février 2021, le nom de l’acteur principal est officiellement annoncé : le vil Commode de Gladiator, le clown tragique de Joker, le futur Napoléon de Ridley Scott, autrement dit Joaquin Phoenix. La trame du court-métrage sert de point de départ à Beau is Afraid, qui se développe ensuite sous forme d’une sorte d’odyssée tragi-comique qu’Ari Aster développe sur trois heures de métrage (c’est alors son film le plus long). Le tournage commence en juin 2021 pour une sortie programmée en 2022, mais Aster préfère repousser cette date. Perfectionniste jusqu’à l’obsession, il souhaite en effet soigner le moindre détail et dépenser le moindre centime du budget à sa disposition (35 millions de dollars, ce qui fait de Beau is Afraid la plus onéreuse de toutes les productions A24).

Joaquin Phoenix incarne Beau Wasserman, un homme bardé de névroses et de frayeurs qui a grandi sans son père, élevé par une femme d’affaires à la tête d’un vaste empire financier. Extrêmement introverti, Beau a peur de tout et vit dans un appartement miteux, au cœur d’un quartier gangréné par la violence et la criminalité. Meurtres, agressions, pillages, insultes, exhibitions, trafics en tout genre sont monnaie courante dans sa rue. Du moins telle est sa perception des choses. Car nous ne saurons jamais si les images qu’Ari Aster porte à l’écran sont le reflet fidèle de la réalité ou une vision déformée due à l’anxiété excessive de Beau. Étant donnée la tournure quasi-surréaliste – pour ne pas dire burlesque – de certaines scènes, nous serions naturellement tentés de pencher pour la deuxième option. Toujours est-il que Beau s’apprête à prendre l’avion pour rejoindre sa mère à l’occasion de l’anniversaire de la mort de son père. Mais quelqu’un vole les clefs de son appartement et la porte reste ouverte. Que faire ? À partir de là, le cauchemar commence…

Un beau jour

Beau is Afraid est une expérience cinématographique inclassable, empruntant ses effets au cinéma d’horreur, à la comédie et au conte de fées sans jamais donner de clés (ce qui ne manque pas d’ironie étant donné le point de départ du film) aux spectateurs, incapables de comprendre où ce voyage initiatique absurde et terrifiant les mènera. Par moments, David Lynch nous vient à l’esprit, même si le style d’Ari Aster est bien à part. Le film fait rire, fait peur, fait rêver, met mal à l’aise… et nécessite énormément de patience, non seulement à cause de sa longueur excessive mais aussi parce que son rythme s’étiole et s’étire parfois jusqu’à l’épuisement. Aster joue clairement avec notre seuil de tolérance, ne nous offrant comme pôle d’identification qu’un héros passif, apathique, pleurnichard et geignard qui refuse de prendre sa vie en main. Car Beau se laisse sans cesse porter par le flot des événements, se posant en victime d’une fatalité sur laquelle il ne peut – ou ne veut – avoir aucune prise. La mise en scène d’Aster est comme toujours virtuose, les acteurs se donnent à fond, certains moments de grâce sont irrésistibles (la séquence animée conçue par Cristobal León et Joaquín Cociña), mais tout ceci n’est-il pas un peu vain ? À force d’enchaîner les métaphores et les symboles comme on enfile des perles, le réalisateur nous perd en cours de route, comme s’il nous conviait sans nous prévenir à une sorte d’étrange auto-psychanalyse. Comme on pouvait s’y attendre, Beau is Afraid sera un spectaculaire échec au box-office, malgré un accueil critique plutôt chaleureux.

 

© Gilles Penso


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