STOPMOTION (2023)

Une jeune femme s’isole pour réaliser un film d’animation avec des personnages inquiétants qui viennent bientôt la hanter…

STOPMOTION

 

2023 – GB

 

Réalisé par Robert Morgan

 

Avec Aisling Franciosi, Stella Gonet, Tom York, Caoilinn Springall, James Swanton, Joshua J. Parker, Jaz Hutchins, Bridgitta Roy

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

Généralement, la stop-motion (ou animation image par image) est associée aux contes fantastiques et aux univers fantasmagoriques : la jungle préhistorique de King Kong, les épopées mythologiques de Ray Harryhausen, les tableaux surréalistes de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, les aventures délirantes de Wallace et Gromit… Mais chez Robert Morgan, cette technique joyeusement artisanale se mue en vecteur de cauchemar, de névrose et d’horreur. Après avoir réalisé une quinzaine de courts-métrages, dont deux pour les films d’anthologie Small Gauge Trauma et The ABCs of Death 2, Morgan passe au format long et nous prend ainsi par surprise en s’appuyant sur un scénario qu’il a co-écrit avec Robin King. De fait, Stopmotion ne ressemble à rien de connu. Dès l’entame, le visage d’une jeune femme, éclairé de manière intermittente par une lumière stroboscopique, adopte alternativement des traits avenants ou menaçants, joyeux ou tourmentés. Les mouvements sont saccadés, comme si elle était elle-même animée image par image. Non contente de plonger immédiatement le spectateur dans un sentiment d’inconfort, cette entrée en matière dessine déjà le motif récurrent du premier long-métrage de Robert Morgan, que l’on pourrait trivialement résumer ainsi : « l’animatrice animée ».

Stopmotion raconte l’histoire d’Ella Blake (Aisling Franciosi) dont la mère, paralysée par l’arthrite, n’est plus capable de réaliser les courts-métrages d’animation dont elle était jusqu’alors une experte. Sa dernière œuvre, un étrange récit mettant en scène des cyclopes, reste donc inachevée. À moins qu’Ella ne soit capable de prendre la relève et de terminer ce film ultime à sa place. Lorsque la vieille réalisatrice tente d’expliquer à sa fille comment faire bouger millimètre par millimètre la figurine d’un de ses personnages, crispant ses propres mains devenues désespérément inutiles en espérant presque « télécommander » à distance les gestes de la jeune femme, le motif obsédant de Stopmotion revient à la charge. L’animatrice en herbe semble n’être que le jouet de mains extérieures qui la manipulent. Plus tard, c’est une petite fille énigmatique qui lui dictera le scénario de son nouveau film et la manière de créer des personnages plus crédibles. Une fois de plus, Ella ne semble pas maîtresse de ses mouvements et de ses intentions. « Tu es une marionnette empêtrée dans tes propres ficelles » lui dira sa mère dans une scène hallucinatoire. 

Arrêt sur image

L’imagerie des marionnettes et des pantins s’invite d’ailleurs bientôt au cours d’une soirée de laquelle notre héroïne ne reviendra pas indemne. Les corps réels se mêlent à ceux en plastique, les yeux vivants croisent ceux en porcelaine, la frontière entre la réalité et le cauchemar se brise. Isolée dans un appartement que son petit ami a mis à sa disposition pour qu’elle puisse travailler tranquillement, Ella bascule peu à peu dans une frénésie créatrice qui confine à la folie. Car soudain, les figurines en stop-motion qu’elle a créées – de plus en plus difformes et inquiétantes – prennent vie et viennent à sa rencontre. C’est le signe du point de non-retour. Les mondes tourmentés de Roman Polanski, David Lynch, Phil Tippett et Jan Svankmeier semblent alors s’entrechoquer en un maelström implacable. Et même si le scénario cligne furtivement de l’œil vers les mondes magiques de Ray Harryhausen (les cyclopes, la gorgone), la féerie première (le film qu’Ella cherche à réaliser ressemble a priori à un conte de fées traditionnel) cède rapidement la place à l’angoisse et à la mort. Stopmotion est donc une œuvre singulière et déstabilisante, sorte de mariage contre-nature entre Répulsion, Eraserhead, Alice et Mad God qui semble tendre un miroir déformant à sa propre démarche artistique (à force d’animer une créature artificielle, ne devient-on pas soi-même la créature ?) en un vertigineux exercice de mise en abyme.

 

© Gilles Penso


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