MAD GOD (2021)

Le génial créateur d’effets spéciaux Phil Tippett signe un cauchemar surréaliste qui fera date dans l’histoire du cinéma d’animation…

MAD GOD

 

2021 – USA

 

Réalisé par Phil Tippett

 

Avec Alex Cox, Niketa Roman, Satish Ratakonda, Harper Taylor, Brynn Taylor, Hans Brekke, Brett Foxwell, Chris Morley, Anthony Ruivivar, Phil Tippett

 

THEMA RÊVES

C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement. Avant de concevoir et d’animer les insectes extra-terrestres de Starship Troopers, les dinosaures de Jurassic Park, les machines de Robocop ou les créatures de Star Wars, avant même d’entrer dans le monde professionnel, Phil Tippett portait déjà en germe l’univers de Mad God. Il suffit de regarder ses dessins d’enfance et d’adolescence pour s’en convaincre : des personnages bizarres, des environnements hostiles, un humour noir désespéré, des visions monstrueuses surgies d’ailleurs… De temps en temps, au détour d’un projet avorté (comme l’adaptation à l’écran de « Mars Attacks » avant que Tim Burton ne s’en empare), ces images folles ressurgissent furtivement. Mais ce n’est qu’à la fin des années 80, alors qu’il est à l’œuvre sur l’un des films les plus complexes de sa carrière (Robocop 2) que Phil Tippett décide enfin de donner corps à ce projet obsessionnel. Mad God est d’abord un court-métrage que Tippett tourne sur pellicule avec la technique qui est devenue sa spécialité, la stop-motion. Les quelques images qu’il met en boîte semblent fusionner les mondes de David Lynch et de Jan Svankmajer, en un mélange troublant d’horreur, de fantasmagorie, de science-fiction et de comédie. Mais les activités croissantes du Tippett Studio et l’arrivée de la technologie numérique mettent un terme au projet. Mad God aurait pu en rester là, perdu dans les limbes des films inachevés.

Trente ans plus tard, de manière inattendue, le film redémarre. « Un jour, des gars du studio ont regardé mes archives et ont eu envie de relancer le projet », raconte Tippett. « Ils ont proposé d’y participer et de tourner quelques plans. Nous avons accumulé de plus en plus de volontaires au fil du temps et les choses ont grandi d’elles-mêmes » (1). Tous les week-ends, une petite équipe se réunit donc dans le studio, met la main à la pâte, construit des décors, bricole des accessoires et anime des séquences au long d’un processus lent et organique, comme si le film s’imaginait et se fabriquait de lui-même à la manière d’un cheval fou incontrôlable. Le personnage central de Mad God est un « assassin », un homme mystérieux portant un masque à gaz et une mallette, dont le parcours l’emmène toujours plus profondément dans les entrailles d’un monde inconnu, au fil d’une odyssée qui prend des allures de descente aux enfers… Financé en partie par le biais d’une campagne participative, Mad God prend la forme d’une série de courts-métrages que Phil Tippett réunira finalement pour en faire un film complet. Et quel film !

Les monstres de l’inconscient

Mad God est insaisissable parce que sa structure narrative n’obéit à aucune des règles que nous connaissons. S’il y a un sens, il est caché, comme dans les rêves les plus abscons. Aucun mot ne saurait rendre pleinement justice à l’expérience de son visionnage. L’élaboration du scénario du film n’a pourtant rien de la démarche des écritures automatiques ou des « cadavres exquis » chers aux surréalistes. Il s’agit plutôt pour Phil Tippett de collecter des images inconscientes qui flottent dans son esprit au moment où la capacité de jugement s’étiole, dans cette zone floue située à mi-parcours de la veille et de l’endormissement. Paradoxalement, l’emploi des techniques artisanales (la stop-motion, les figurines articulées, les maquettes, les décors miniatures) donne une qualité tactile et tangible à ce cauchemar fiévreux. Les influences de Mad God sont multiples et s’affichent de manière plus ou moins explicite. On pense à Metropolis, 2001 l’odyssée de l’espace, aux films de Ray Harryhausen ou au « 1984 » de George Orwell. Mais ces citations ne prennent jamais la forme de clins d’œil postmodernes. La démarche de Mad God est tout autre. Il s’agit avant tout d’un plaidoyer pour la créativité pure et radicale, sans entrave ni garde-fou. Ce film-somme ne ressemble à rien de connu et c’est là toute sa force. C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso


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