GLEN OR GLENDA (1953)

Pour son premier film, Ed Wood aborde le thème du travestissement en mêlant bizarrement le drame psychologique et l’horreur surréaliste…

GLEN OR GLENDA

 

1953 – USA

 

Réalisé par Ed Wood

 

Avec Ed Wood, Delores Fuller, Bela Lugosi, Lyle Talbot, Timothy Farrell, Tommy Haynes, Charles Craft, Connie Brooks

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I DOUBLES

Au départ, Glen or Glenda est conçu comme un film d’exploitation censé surfer sur l’affaire Christine Jorgensen, première Américaine à avoir subi une opération de réassignation sexuelle en 1952, un événement qui fit la une des journaux. Flairant le bon coup médiatique, le producteur George Weiss, spécialisé dans les séries B, fait même imprimer l’affiche du film avant d’avoir un scénario ou un réalisateur. Il tente en vain d’attirer Jorgensen elle-même dans le projet, mais devant ses refus répétés, il lui faut revoir ses plans. C’est alors qu’entre en scène Edward D. Wood Jr. Le jeune cinéaste, encore inconnu, parvient à convaincre Weiss de lui confier la réalisation en lui révélant un secret jusque-là connu seulement de sa compagne Delores Fuller : il est travesti. Weiss, voyant là une occasion d’ajouter une touche d’authenticité au film, accepte immédiatement. Sauf qu’au lieu de livrer le mélodrame racoleur attendu sur le sujet de la transsexualité, Wood détourne le projet et signe un plaidoyer maladroit mais sincère en faveur du travestisme, dans lequel il injecte bizarrement de nombreux éléments hérités du cinéma d’épouvante. D’où la présence de Bela Lugosi en tête d’affiche. Alors ruiné et miné par sa dépendance à la morphine, l’ancienne star de Dracula accepte sans discuter en échange de quelques dollars. Wood, lui, s’attribue le rôle principal, dissimulé sous le pseudonyme de Daniel Davis, et donne la réplique à sa petite amie.

Tout commence par un avertissement énigmatique : « Pour réaliser ce film qui traite d’un sujet étrange et curieux, nous n’avons ni usé de violence, ni emprunté des chemins faciles. De nombreux rôles sont tenus par des personnes qui incarnent ce qu’elles sont réellement. Ce film est réaliste et refuse de prendre parti, mais vous donne les faits… tous les faits, tels qu’ils sont aujourd’hui. Vous êtes la société. Ne jugez pas. » Le récit s’ouvre sur le corps d’un homme retrouvé mort, vêtu en femme. Désemparé à l’idée de ne pouvoir s’habiller comme il l’entend sans subir sans cesse les foudres de la police, le malheureux a choisi le suicide. L’inspecteur chargé de l’enquête consulte alors un psychiatre qui lui raconte deux histoires vécues. La première est celle de Glen. Passionné par les vêtements féminins, il vit dans l’angoisse de révéler son secret à la jeune femme qu’il s’apprête à épouser. Le film s’attarde sur ses tourments intimes : doit-il se confier ou continuer à cacher cette facette de lui-même ? Puis le médecin évoque le cas de Alan/Anne. Depuis l’enfance, il se sent femme, bien au-delà du simple travestissement. Décrit comme « pseudo-hermaphrodite », il envisage une opération chirurgicale pour transformer son corps. Il sera ainsi le « fruit de la médecine moderne, comme le monstre de Frankenstein », nous dit une voix off qui ne fait pas dans la dentelle. Ce scénario ne présente à priori aucun caractère fantastique. D’autant que Wood opte pour le format d’un docu-fiction mêlant les saynètes jouées par les comédiens et les commentaires en voix off philosophant autour des travers de notre société, sur fond d’images d’archive variées qui occupent une bonne quinzaine de minutes du métrage : des voitures qui roulent, des immeubles, des gens dans la rue, des animaux, des usines ou encore des soldats en plein conflit.

« Beware ! Beware ! »

Mais au beau milieu de ce patchwork déjà déroutant s’intercalent des images surréalistes (Glen s’imaginant en train de sauver sa fiancée d’un arbre qui s’est effondré sur elle, le diable qui assiste à leur mariage en ricanant puis qui prend la place de sa promise avant de venir envahir tout l’écran). À ce cocktail bizarre s’ajoutent des interludes érotiques sans lien particulier avec l’intrigue, que le producteur décide d’ajouter pour rallonger la sauce – et rendre le tout un peu plus aguicheur. Mais les véritables morceaux d’anthologie de Glen or Glenda sont les interventions de Bela Lugosi. Assis dans une salle sinistre ornée de squelettes, un grand livre sur les genoux, il écarquille les yeux face à la caméra et se lance dans des monologues incompréhensibles, avec son impayable accent hongrois. Totalement déconnecté du reste du film, il pratique des expériences chimiques avec des tubes à essai, tandis que le tonnerre gronde, et nous offre de grands moments d’humour involontaire. L’une de ses répliques les plus fameuses, « Pull the string ! » (« Tire les ficelles »), sera reprise par Tim Burton dans son magnifique biopic Ed Wood. Sans oublier l’impayable « Beware, Beware ! », suivi d’une mise en garde toujours aussi nébuleuse aujourd’hui : « Méfiez-vous du dragon vert assis sur le pas de votre porte. Il mange les petits garçons, la queue des chiots et les gros escargots. » Il n’empêche que derrière ce fatras fait de bric et de broc, mû par des intentions confuses et des décisions de production contraires, se cache une œuvre très en avance sur son temps qui n’est pas sans annoncer quelques-unes des expérimentations de David Lynch. Ce dernier avouera d’ailleurs en avoir fait l’un de ses films de chevet, au point de réutiliser son bruitage de vent sinistre pour la bande son d’Eraserhead.

 

© Gilles Penso

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