

Dans cette suite bizarre de La Fiancée du monstre, un policier enquête sur des apparitions de fantômes signalées près d’une maison sinistre…
NIGHT OF THE GHOULS
1959 – USA
Réalisé par Edward D. Wood Jr.
Avec Kenne Duncan, Duke Moore, Tor Johnson, Valda Hansen, Johnny Carpenter, Paul Marco, Don Nagel, Bud Osborne, Jeannie Stevens, Harvey B. Dunn
THEMA FANTÔMES
Ce film d’Ed Wood étant le troisième à mettre en scène un policier maladroit nommé Kelton et interprété par Paul Marco (après La Fiancée du monstre et Plan 9 From Outer Space), les amateurs du réalisateur ont tendance à considérer La Nuit des revenants comme l’ultime volet de ce qu’ils ont baptisé « la trilogie Kelton ». Il existe donc, dans la galaxie du cinéma de série B improbable des années 50, une sorte de « Ed Wood Cinematic Universe ». La Nuit des revenants se réfère d’ailleurs à plusieurs reprises aux événements survenus dans La Fiancée du monstre (la maison sinistre dans les marais, les expériences du savant incarné par Bela Lugosi) et remet même en scène le colosse Lobo, toujours incarné par le catcheur Tor Johnson (et ici affublé d’un maquillage défigurant justifié par l’incendie auquel le personnage réchappa de justesse). Habitué aux budgets ridicules, Wood bricole son film comme il peut, termine le tournage et le premier jet du montage fin 1957, mais n’a pas les moyens de financer le reste de la post-production. Le laboratoire cinématographique décide donc de conserver les négatifs jusqu’à ce que la facture puisse être payée, et La Nuit des revenants reste longtemps inachevé. Ce n’est qu’en 1982, quatre ans après la mort du cinéaste, que le distributeur Wade Williams – qui vient d’acquérir les droits de Plan 9 From Outer Space – entend parler de ce film quasi-terminé, finance sa finalisation et le sort enfin.


Le film s’ouvre sur l’apparition de Criswell, médium et acteur extravagant qu’Ed Wood aime bien faire tourner dans ses films. Surgissant d’un cercueil, notre homme annonce la couleur : le ton du film sera macabre et extravagant. S’ensuit un montage un peu confus montrant les excès de la délinquance juvénile, des bagarres de rue et de la conduite en état d’ivresse. Des images qui n’ont par ailleurs rien à voir avec le reste du film. L’intrigue démarre vraiment avec un couple d’adolescents en pleine idylle dans une décapotable. Lorsque le garçon insiste un peu trop, la fille le gifle, s’enfuit et se retrouve face au Fantôme Noir, une créature morte-vivante tapie dans les bois qui les tue tous les deux. Dans un commissariat de l’est de Los Angeles, l’inspecteur Bradford se voit alors confier une mission délicate : rouvrir le dossier de la vieille maison du lac Willows, jadis détruite par la foudre et désormais reconstruite. Un flashback nous apprend qu’un couple de retraités, les Edwards, y a déjà rencontré un autre spectre terrifiant, le Fantôme Blanc. Accompagné du fébrile Kelton, le policier se rend sur place. Il est accueilli par le nouveau propriétaire des lieux, un certain Dr Acula (!), figure théâtrale coiffée d’un turban qui lui lance cette phrase énigmatique : « Il y a déjà beaucoup de monde ici, parmi les vivants comme parmi les morts. » Feignant d’être un client, Bradford entre et découvre une galerie de personnages étranges, dont le brutal Lobo, marqué par les flammes ayant jadis ravagé la demeure…
Bienvenue chez le Dr. Acula !
Ed Wood parvient parfois à nimber son film d’une atmosphère sépulcrale intéressante, à travers les surgissements de ses fantômes féminins au teint blafard et au regard fixe, évoluant lentement dans un halo de fumée et drapées dans des voiles flottants. Ces visions évoquent un imaginaire presque romantique, comme si le réalisateur anticipait sur le cinéma gothique de Mario Bava ou de Roger Corman. Mais ces belles intentions sont sabordées par le système D qui irrigue l’ensemble du tournage. Dans plusieurs plans, par exemple, c’est Wood lui-même qui incarne le Fantôme Noir, dissimulé sous un voile sombre. Jeannie Stevens, l’interprète originale de la créature, n’étant plus disponible pour certaines scènes, le cinéaste se glisse dans le costume pour la remplacer. Les raccords en deviennent hasardeux : d’un plan à l’autre, le visage du spectre apparaît, disparaît, puis change subtilement de proportions. Tout, dans La Nuit des Revenants, est à l’avenant. Les tirades pseudo-philosophiques de Criswell viennent combler les trous béants du scénario, reliant tant bien que mal des séquences tournées à des époques différentes. C’est d’ailleurs ainsi que Wood recycle de larges portions de son court métrage Final Curtain (1957), initialement conçu comme pilote d’une série télé d’horreur jamais diffusée. Pour justifier l’intégration de ces scènes, il affuble son héros, le lieutenant Bradford, d’un improbable smoking, sous prétexte qu’il se rendait à l’opéra avant son enquête. La séance de spiritisme du Dr. Acula constitue l’un des sommets du film : les vivants sont assis face à des squelettes, une trompette flotte et joue seule, un drap s’agite en sifflant, un visage casqué surgit en hurlant au ralenti… Bref, c’est du grand n’importe quoi. L’aspect le plus intriguant de La Nuit des revenants est l’ambiguïté qu’il entretient entre la supercherie et le surnaturel. Les faux fantômes côtoient les vrais esprits, les trucages s’entremêlent à la hantise authentique et le final, ironique, voit le charlatan pris à son propre piège. Dommage que ces idées indépendamment intéressantes soient noyées dans ce fatras maladroit et mal-fichu. Mais finalement, n’est-ce pas ce qui fait le charme des œuvres d’Ed Wood ?
© Gilles Penso
À découvrir dans le même genre…
Partagez cet article



