FRANKENSTEIN (2025)

Un vieux rêve se réalise : Guillermo del Toro s’empare du roman de Mary Shelley et en tire une adaptation magnifique…

FRANKENSTEIN

 

2025 – USA / MEXIQUE

 

Réalisé par Guillermo del Toro

 

Avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Felix Kammerer, Charles Dance, David Bradley, Lars Mikkelsen, Christian Convery, Nikolaj Lie Kaas

 

THEMA FRANKENSTEIN

Guillermo del Toro a toujours déclaré sa flamme aux grands monstres de l’âge d’or d’Universal, et l’on sait que son visionnage très jeune du Frankenstein de James Whale, dans un environnement familial catholique extrêmement rigide, forgea sa passion pour le cinéma fantastique et planta les graines de sa vocation. Mais n’était-il pas trop risqué de se frotter de trop près au mythe lui-même ? Après tout, n’avait-il pas perdu un peu de sa personnalité et de sa verve en cherchant à tout prix à muer La Forme de l’eau en hommage énamouré à L’Étrange créature du lac noir ? Comment allait-il pouvoir se réapproprier la créature légendaire imaginée par Mary Shelley sans tomber dans les mêmes travers ? D’autant que, contrairement au « Gill Man », le monstre de Frankenstein n’en finit plus de revenir hanter les écrans depuis quasiment l’invention du cinéma. Un regard neuf était-il encore envisageable ? Pour Del Toro, le défi est d’autant plus grand que ce Frankenstein est conçu comme une œuvre somme, combinant une infinité de trouvailles, d’envies, de croquis et d’ébauches de textes que le cinéaste rassemble au fil des ans dans l’espoir de pouvoir, un jour, passer à l’acte. En un sens, il y a sans doute un parallèle à dresser entre les intentions du docteur Frankenstein – désireux de créer la vie à partir d’un amoncellement de corps disparates – et celle de Del Toro lui-même, ressuscitant cette créature en « collant » minutieusement un patchwork d’idées patiemment accumulées ?

Le réalisateur s’entoure d’abord d’un casting de rêve. Oscar Isaac campe à merveille le démiurge enflammé sombrant peu à peu dans la folie, Christopher Waltz prête son charisme inaltérable à Harlander – un mécène inventé pour l’occasion qui va donner à Frankenstein les moyens de ses ambitions -, Mia Goth entre dans la peau d’une Elizabeth beaucoup plus complexe qu’à l’accoutumée – son personnage entamant avec Victor un jeu du chat et de la souris à la fois élégant, passionné et gorgé d’humour. Tous les seconds rôles sont traités avec le même soin. Mais la véritable révélation du film est Jacob Elordi, déjà exposé sur les petits (Euphoria) et les grands (Priscilla) écrans, mais amorçant ici un virage crucial dans sa carrière. La créature qu’il campe, d’abord naïve, pure et maladroite, puis consumée par la colère et la frustration, en quête d’une paix intérieure inaccessible, se révèle bouleversante. Comme toujours, chez Del Toro, le monstre est beau, transfigurant toutes les incarnations précédentes qui nous furent offertes au fil des ans, de Karloff à De Niro en passant par les déclinaisons de la Hammer, Paul Morrisey ou Franc Rodam. Ici, c’est une sorte d’écorché d’albâtre, version grandeur nature de la miniature d’ivoire en pièces détachées que manipulait le jeune Victor pour réviser ses leçons d’anatomie. Conçu par le génial designer Mike Hill, cet homme artificiel est un nouvel Adam, permettant à Del Toro de revisiter à travers l’œuvre de Shelley le motif éternel de la Belle et la Bête.

L’enfant du charnier

L’incident déclencheur qui va motiver tous les actes futurs de Victor Frankenstein survient au moment où meurt sa mère, que son père (l’impérial Charles Dance), pourtant le médecin le plus réputé et le plus orgueilleux de son époque, n’a pas réussi à sauver. « Nul ne peut vaincre la mort », avance ce dernier. « Je la vaincrai », rétorque un Victor soudain déterminé. Pour la créature, le point de rupture n’intervient que bien plus tard, lorsqu’il réalise non sans tristesse sa véritable nature. « Je suis l’enfant d’un charnier, une carcasse faite de détritus et de cadavres abandonnés, un monstre », lâche-t-il au moment d’une douloureuse prise de conscience. Mais qui est vraiment le monstre dans cette histoire ? L’homme qui joue à Dieu refuse d’en assumer les conséquences, ou le fruit de ses expériences lâché malgré lui dans la nature ? Le suivi respectueux du récit de Shelley n’empêche pas une série de nouveautés frappantes – comme cette démonstration devant les hautes autorités médicales, digne de Re-Animator. Mais l’esprit du texte est bel et bien là, comme en témoignent les multiples références au mythe de Prométhée. Somptueuse, la direction artistique reprend à son compte bon nombre de figures artistiques classiques – les vanités, la sculpture grimaçante d’une gorgone, les martyrs et les sains de l’imagerie religieuse, l’homme de Vitruve – en évitant volontairement l’esthétique expressionniste des classiques de la période Universal, même si Del Toro sacrifie à l’influence gothique lorsque Frankenstein découvre la vieille tour médiévale qui lui servira de laboratoire. C’est par surprise que le cinéaste finit par secouer ses spectateurs, le temps d’un climax déchirant jusqu’aux larmes, achevant de faire de ce Frankenstein l’une des plus belles relectures du roman décidément inusable de Mary Shelley.

 

© Gilles Penso

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