C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS (1992)

Benoît Poelvoorde incarne un tueur en série insatiable dans ce faux reportage horriblement drôle… ou drôlement horrible, au choix.

C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS

 

1992 – BELGIQUE

 

Réalisé par Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde

 

Avec Benoît Poelvoorde , Jacqueline Poelvoorde Pappaert, Nelly Pappaert, Hector Pappaert, Jenny Drye, Malou Madou, Willy Vanderbroeck, Rachel Deman

 

THEMA TUEURS

Il y a des films dont la brutalité ne réside pas tant dans la violence qu’ils exposent que dans le miroir qu’ils tendent au spectateur. C’est arrivé près de chez vous appartient à cette catégorie rare. Ce faux documentaire belge, tourné à l’arrache au début des années 90, prend la forme d’une chronique banale… si ce n’est que son protagoniste est un tueur en série jovial, volubile et incroyablement dérangeant. Ce qui aurait pu n’être qu’un exercice potache se transforme en un manifeste satirique sur notre rapport à l’image, au spectacle, et à la violence comme objet de divertissement. Le projet naît dans un contexte universitaire. Rémy Belvaux, étudiant à l’INSAS à Bruxelles, décide avec ses complices André Bonzel et Benoît Poelvoorde de bricoler un long-métrage pour contourner l’échec d’un projet scolaire plus classique. Ensemble, ils imaginent une parodie de documentaire dans l’esprit de l’émission télé Strip-Tease, connue pour filmer avec un réalisme cru des anonymes souvent ridiculisés par le montage. À la place de ces figures ordinaires, ils installent un personnage de fiction : Ben, un assassin à la fois loquace, cultivé, sympathique… et profondément monstrueux.

Tourné en noir et blanc, caméra à l’épaule, avec des moyens dérisoires et des proches dans les seconds rôles, le film fait preuve d’une audace impressionnante. Poelvoorde, dans le rôle de Ben, livre une prestation vertigineuse de naturel et de cynisme. Dès la première séquence (un meurtre filmé sans fard dans un train, suivi d’un commentaire pseudo-pédagogique sur l’art de lester un cadavre), le ton est donné : C’est arrivé près de chez vous refuse toute distance de sécurité. Sous des airs de comédie grinçante, le film piège le spectateur. Car plus on avance, plus l’horreur se déploie. Le rire devient inconfortable, l’humour s’efface au profit d’un malaise croissant. On découvre peu à peu la vraie nature de Ben : raciste, misogyne, misanthrope, prêt à tuer un enfant pour une gourmette ou une vieille femme pour un billet. Et surtout, on assiste à l’érosion progressive de la neutralité de l’équipe qui le filme, jusqu’à sa participation active à ses crimes. Le film devient ainsi une réflexion acide sur la complicité des médias face à la violence, et sur cette tentation perverse de se laisser fasciner par ce qu’on devrait condamner.

Un secret presque inavouable

Certains moments sont entrés dans la culture populaire – le poème sur les pigeons, le cocktail « Petit Gregory » – mais ne suffisent pas à dissimuler la noirceur absolue du propos. Quand le film bascule dans une scène de viol collectif d’un réalisme glaçant, toute possibilité d’humour s’effondre. Et c’est précisément là que réside la force du film, dans sa capacité à faire coexister une drôlerie féroce et un désespoir sans fard. En coulisses, le film relève presque du miracle. Autoproduit, tourné sans autorisation officielle, monté avec les moyens du bord, il est d’abord présenté sous une forme raccourcie aux professeurs de l’INSAS qui le jugent trop inégal. Mais une fois retravaillé et allongé, il atterrit en 1992 à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Le choc est immédiat. Le film repart avec plusieurs prix, dont celui de la Critique internationale. Poelvoorde devient une révélation du cinéma belge, propulsé du statut d’amateur à celui de superstar. L’accueil public est à l’unisson. Malgré son radicalisme, le film trouve son public et devient un objet de culte, transmis de génération en génération comme un secret presque inavouable. Si le film est signé collectivement, les tensions au sein du trio fondateur s’aggravent malheureusement après la sortie. Belvaux, instigateur du projet, souffre de voir ses apports dilués. Il quitte le monde du cinéma pour celui de la publicité, où il connaît une certaine reconnaissance… jusqu’à son suicide en 2006. Le film, quant à lui, continue d’exister comme un cri du cœur à la fois dérangeant, irrévérencieux et profondément lucide.

 

© Gilles Penso

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