INCUBUS (1965)

Un film d'épouvante tourné en esperanto dans lequel William Shatner tombe amoureux d'une émissaire du diable

INCUBUS

1966 – USA

Réalisé par Leslie Stevens

Avec William Shatner, Allyson Ames, Eloise Hardt, Robert Fortier, Ann Atmar, Milos Milos, Paolo Cossa, Ted Mossman

THEMA DIABLE ET DEMONS

Prolifique scénariste pour le grand et le petit écran, Leslie Stevens a notamment participé à la création de la série Au-delà du réel en 1963. Avec Incubus, il se lançait un défi pour le moins inattendu : mettre en scène des créatures diaboliques dans un film dont tous les dialogues seraient prononcés en esperanto ! Ce choix linguistique inédit lui permettait de construire un récit universel ancré dans une tradition latine. Le prologue nous montre un malade étanchant sa soif à l’eau de la « source aux cerfs », censée selon la légende guérir tous les maux. L’homme se laisse attirer par une séduisante jeune fille (Allyson Ames) qui l’entraîne jusque sur une plage, l’incite à se baigner et le noie finalement sous sa sandale… Cette femme fatale dont la beauté glaciale n’aurait pas dépareillé dans un film d’Alfred Hitchcock est une succube nommée Kia. Sa mission consiste à attirer des âmes perverties et à les livrer au Seigneur des Ténèbres. Mais elle est lassée de cette routine. Pour devenir la préférée de son maître, elle décide de corrompre une âme pure et jette son dévolu sur Marco (William Shatner), un soldat blessé qui vit dans une ferme avec sa sœur Arndis (Ann Atmar).

Lorsque Kia lui rend visite, feignant s’être égarée, une éclipse survient, chacun étant libre d’interpréter ce présage à sa guise. « Certains disent que c’est un dragon qui avale le soleil » lance Shatner dans un étrange espéranto prononcé avec l’accent canadien. Kia n’a aucun mal à le séduire, mais Marco lui voue aussitôt un amour d’une grande pureté et a même l’impudence de la mener jusqu’à l’autel d’une église. Paniquée, la tentatrice prend la fuite et écoute les conseils de son aînée qui prône la vengeance : « Fends la surface de la terre, ouvre l’abîme, lâche Incubus ! » Etonnante, la scène où toutes deux invoquent le diable laisse apparaître la silhouette d’un démon ailé tandis que retentit un cri d’animal. Puis un homme surgit de terre, en une vision sinistre digne du Masque du démon : c’est Incubus (Milos Milos), le frère de Kia. Dès lors, la lutte sera rude entre les forces du bien et du mal… 

Un film maudit ?

Incubus traîne depuis de longues années la réputation de chef d’œuvre maudit, réputation qui sied fort bien, il faut l’avouer, à un long-métrage mettant en présence des serviteurs de Satan. Jamais sorti en salles aux Etats-Unis malgré son accueil enthousiaste dans de nombreux festivals à travers le monde, le film sembla perdu à tout jamais lorsqu’un incendie réduisit en cendres l’original et la plupart de ses copies. Un drame n’arrivant généralement pas seul, deux des acteurs, Milos Milos et Ann Atmar, se donnèrent la mort un an après le tournage. Finalement, William Shatner fut l’un des seuls à ressortir grandi d’Incubus, puisqu’il triomphait dès l’année suivante avec la série Star Trek. S’achevant sur la séquence hallucinante d’un affrontement entre Kia et son frère soudain transformé en bouc (sans trucage, par la seule magie du montage), Incubus ressortit des limbes en 1998, lorsqu’une copie miraculée fut découverte à la Cinémathèque Française. Désormais visible en DVD, il saute aux yeux par ses qualités formelles et son atmosphère insolite voisine de certaines œuvres d’Ingmar Bergman.

 

© Gilles Penso

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