FAHRENHEIT 451 (1966)

Quand l'un des maîtres de la Nouvelle Vague française s'intéresse à un classique de la littérature de science-fiction, le résultat possède un indéniable supplément d'âme

FAHRENHEIT 451

1966 – GB

Réalisé par François Truffaut

Avec Oskar Werner, Julie Christie, Cyril Cusack, Anton Diffring, Jeremy Spenser, Bee Duffell, Alex Scott, Noel Davis

THEMA FUTUR

François Truffaut et la science-fiction, le mélange semble antithétique, et l’auteur des 400 Coups avouait n’avoir à priori aucune affinité avec le genre. Mais il a trouvé dans le roman de Ray Bradbury matière à nourrir son univers tout en livrant une fable d’anticipation de haute tenue, s’attelant pour l’occasion à son unique film tourné en langue anglaise (ce qui fut une véritable gageure dans la mesure où, à l’époque, le cinéaste maîtrisait fort mal la langue de Shakespeare). Le monde futuriste de Fahrenheit 451 interdit à la population la détention de livres, quels qu’ils soient, car ils ont été jugés provocateurs de comportements antisociaux. Les pompiers n’ont donc pas comme mission d’éteindre les incendies, mais de brûler tous les ouvrages qu’ils trouvent chez les gens en marge de la loi. Le film est donc régulièrement scandé par les déplacements du camion des pompiers et par divers autodafés tous plus révoltants les uns que les autres. Le plus violent d’entre eux montre une vieille dame refuser d’abandonner ses livres et se laisser mourir au milieu du brasier.

Truffaut est parvenu à capter l’horrible photogénie des ouvrages qui brûlent, certaines pages se recroquevillant comme des pétales fanés. Parmi les livres promis au bûcher, on note « Mein Kampf », « Les Chroniques Martiennes » et un exemplaire des « Cahiers du Cinéma » avec A Bout de Souffle en couverture ! Dans cet univers totalitaire, les journaux ne comportent que des dessins, la population est incitée à la délation, des brigades anti-cheveux longs tondent les jeunes aux coupes non-conformistes, la télévision s’appelle « la famille », et le sommet de l’ascension sociale consiste à posséder plusieurs grands écrans muraux. Même si le plaidoyer en faveur de la lecture passe forcément mieux en livre qu’en film, l’adaptation de Truffaut et de son co-scénariste Jean-Louis Richard est une réussite indiscutable. Sa mise en scène s’amuse d’ailleurs à opposer en permanence la télévision et les livres, notamment lorsqu’un pompier découvre une pile d’ouvrages cachés derrière l’écran d’un téléviseur, ou lorsque le héros se sert de la lumière du grand écran pour lire en pleine nuit.

Les pompiers volants et les hommes-livres

Pour incarner Montag, le pompier qui refuse peu à peu d’assumer son rôle destructeur, Truffaut a choisi Oskar Werner, avec qui il venait de tourner Jules et Jim. Pour donner corps aux deux personnages féminins antithétiques, l’épouse conformiste et la voisine rebelle, il a opté pour une seule et même comédienne, la belle Julie Christie. A la fin du film, Montag quitte la ville, fuit une escouade de pompiers volants qui annoncent les brigades aériennes de Minority Report et rejoint les hommes-livres. Ce sont des marginaux qui ont chacun entrepris d’apprendre un livre par cœur, pour que la mémoire littéraire perdure à travers les temps. Une idée d’une magnifique poésie, née de l’imagination fertile de l’auteur des “Chroniques Martiennes”, et que le film prolonge par un générique où les noms ne sont pas écrits mais dits à voix haute. Grand admirateur d’Alfred Hitchcock, Truffaut a eu la joie de confier la partition de son film à l’immense Bernard Herrmann. Onze ans plus tard, le cinéaste allait retrouver l’univers de la science-fiction en jouant l’improbable linguiste Lacombe dans Rencontres du Troisième Type.

 

© Gilles Penso

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