L’ABOMINABLE DOCTEUR PHIBES (1971)

Transformé en squelette ambulant, Vincent Price se livre à un jeu de massacre en s'inspirant des plaies d'Egypte

THE ABOMINABLE DOCTOR PHIBES

1971 – GB

Réalisé par Robert Fuest

Avec Vincent Price, Peter Jeffrey, Joseph Cotten, Virginia North, Terry-Thomas, Hugh Griffiths, Caroline Munro, Alex Scott

THEMA SUPER-VILAINS

Le docteur Phibes est probablement l’un des super-vilains les plus originaux de l’histoire du cinéma d’épouvante, même s’il présente de nombreux points communs avec L’Homme au masque de cire, déjà interprété par Vincent Price en 1953. En effet, à l’instar du sculpteur fou qui tient la vedette dans le chef d’œuvre d’André de Toth, Phibes est un artiste de génie laissé pour mort dans un accident, qui fomente dès lors une vengeance méthodique, cachant son visage défiguré sous un masque imitant les traits qu’il avait autrefois. Mais au lieu d’être brûlée au dernier degré, sa figure est carrément réduite à l’état de tête de mort grimaçante, dont seul le regard semble encore animé par un semblant de vie. Cette vision de cauchemar, délicieusement surréaliste et digne du Fantôme de l’Opéra version Lon Chaney, préfigure la célèbre affiche d’Evil Dead 2. Ancien spécialiste de music-hall, organiste de talent et mécanicien génial, Anton Phibes a basculé dans la folie après la mort de sa femme Virginia, due à l’incompétence des chirurgiens qui l’opéraient. Dès lors, réfugié dans une vaste demeure londonienne, il donne de grands concerts d’orgue, avec pour seule compagnie un orchestre d’automates et une jeune fille aux tenues extravagantes qui répond au doux prénom de Vulnavia. Son identité et ses relations avec Phibes resteront un mystère. Un des premiers jets du scénario la décrivait d’ailleurs comme un automate aux traits humains, née sous les mains habiles de Phibes.

Son titre de docteur, notre « héros » le doit à un doctorat en théologie, et c’est là qu’il puise l’inspiration de sa redoutable vengeance : les dix plaies qui frappèrent l’Égypte. Ainsi les membres de l’équipe médicale qui ne surent sauver son épouse meurent-ils un à un dans des conditions abominables : piqué à mort par des milliers de guêpes, agressé en pleine nuit par une nuée de chauves-souris, envahi par des rats féroces dans un cockpit d’avion, congelé dans une voiture, la tête écrabouillée par un masque de grenouille rétrécissant, le corps entièrement vidé de son sang, le poitrail transpercé par une licorne en bronze, le visage dévoré par des sauterelles… Quant au chirurgien en chef, interprété par Joseph Cotten, il doit opérer son propre fils en six minutes seulement et lui extraire une clef du corps, afin d’ouvrir un cadenas et d’éviter qu’un flot d’acide ne se déverse sur lui ! James Wan et Leigh Whannell retiendront la leçon en concoctant les pièges diaboliques de Saw. Le scénario prend pas mal de libertés avec la bible, mixant allégrement certaines vraies plaies (le sang, les grenouilles, les sauterelles, la grêle, les ténèbres, la mort des premiers-nés) avec d’autres plaies complètement fantaisistes (les boursouflures, les chauve-souris, les rats, ou carrément les licornes !). Mais cela importe peu, dans la mesure où c’est l’impact dramatique qui prime ici.

L'ancêtre de Saw ?

Ciselé avec une précision d’horloger, L’Abominable docteur Phibes évite l’aspect mécanique et répétitif inhérent à un tel récit, et se pare de savoureux dialogues, échangés par une poignée de comédiens excellents. Les joutes entre l’inspecteur chargé de l’enquête et son supérieur, notamment, sont de mémorables morceaux de comédie typiquement british. Quant à la mise en scène de Robert Fuest, elle rappelle par moments les meilleurs épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir période Emma Peel, dont cet Abominable docteur Phibes retrouve parfois l’esprit, le goût de l’insolite et les situations surréalistes. Ce n’est pas un hasard, puisque Fuest fut l’un des piliers de cette série culte au début des années soixante. Non crédité au générique comme scénariste, il réécrivit pourtant la majorité du script initial pour mieux l’adapter à ses goûts. En 1971, date de la sortie du film, Vincent Price était une légende du cinéma fantastique, en même temps qu’un acteur extrêmement prolifique. La promotion de l’époque en tira grandement parti, estampillant L’Abominable docteur Phibes comme « le centième film de Vincent Price ». Dans le rôle de la défunte épouse, Caroline Munro fait de brèves mais inoubliables apparitions, sous forme de photos ou d’un joli cadavre embaumé à la toute fin du film. Encore méconnue du public, cette brune sculpturale aux yeux de velours allait ensuite crever l’écran dans Captain Kronos tueur de vampires, Dracula 73, Le Voyage fantastique de Sinbad, Star Crash ou encore L’Espion qui m’aimait.

 

© Gilles Penso

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