INLAND EMPIRE (2006)

David Lynch retrouve Laura Dern à qui il confie le rôle d’une actrice qui finit par confondre fiction et réalité

INLAND EMPIRE

 

2006 – USA

 

Réalisé par David Lynch

 

Avec Laura Dern, Jeremy Irons, Justin Theroux, Harry Dean Stanton, Karolina Gruszka, Jan Hench, Grace Zabriskie

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

Pourquoi Inland Empire, qui reprend à son compte les thématiques et les codes narratifs de Lost Highway et Mulholland Drive, ne convainc-il pas du tout et échoue-t-il là où ses prédécesseurs marquaient durablement les mémoires ? À cause de sa longueur déraisonnable (près de trois heures de métrage) ? De son image vidéo d’une qualité souvent médiocre ? Peut-être. Mais il faut surtout attribuer cet échec manifeste à son maniérisme et sa vacuité, comme si David Lynch, en perte d’inspiration, s’était contenté d’appliquer ses bonnes vieilles recettes sans chercher à les dépasser. Lui qui avait toujours su créer la surprise, alternant avec panache films expérimentaux (Eraserhead) et drames d’époque (Elephant Man), space operas lyriques (Dune) et thrillers troubles (Blue Velvet), road movies déjantés (Sailor et Lula) et contes pastoraux magnifiques de simplicité (Une histoire vraie), le voilà qui sombre dans la redite, comme s’il faisait face pour la première fois de sa carrière à un cul de sac artistique.

Pourtant, les premières séquences d’Inland Empire, délicieusement intrigantes, savent capter instantanément l’attention. Laura Dern (déjà en tête d’affiche de Blue Velvet et Sailor et Lula) y incarne Nikki Grace, une actrice hollywoodienne bon chic bon genre qui s’apprête à jouer un rôle très convoité aux côtés d’un séduisant partenaire masculin, Devon Berk (Justin Theroux, transfuge de Mullholand Drive). Lorsque son étrange voisine (Grace Zabriskie, mère de Laura Palmer dans Twin Peaks) vient lui rendre visite pour lui faire d’étranges prédictions, le trouble commence à s’insinuer dans l’esprit de Nikki. Lorsque plus tard le réalisateur du film (Jeremy Irons) révèle à ses acteurs qu’ils s’apprêtent à tourner le remake d’une œuvre marquée par la mort violente de ses deux vedettes, Nikki commence peu à peu à perdre pied avec la réalité, au point de confondre peu à peu sa vraie personnalité avec celle de son rôle dans le film.

Les pièges de la liberté

Habituellement très sensible à l’aspect graphique de ses films, Lynch semble avoir sciemment sacrifié ici l’esthétique au profit de l’économie de moyens et de la rapidité d’action. « Travailler en vidéo numérique, c’est utiliser un matériel plus léger, une équipe plus réduite, une caméra plus petite, moins de lumière », nous explique-t-il. « On peut tourner des prises de quarante minutes. Le point peut se faire automatiquement. Et vous voyez exactement dans l’œilleton ou sur le moniteur ce que vous obtiendrez à l’écran. Pendant les longues prises, on a la possibilité d’aller beaucoup plus loin avec les comédiens, de leur parler, de leur faire réessayer des choses, sans être obligé de s’interrompre. Ça permet de saisir des moments magiques que l’on n’aurait pas pu obtenir auparavant. » (1) Enivré par ce nouvel espace de liberté, Lynch commence le tournage de son film sans scénario définitif, écrivant quasiment chaque scène avant de les tourner, et laissant la part belle à la spontanéité de ses comédiens. Ce n’est pas en soi une mauvaise chose. Mais l’improvisation, on le sait, ne fonctionne bien que si elle s’inscrit dans un cadre rigide pour mieux le faire voler en éclat. Sans cadre, sans contraintes, sans limites, Inland Empire erre sans but, piétine, tourne en rond et finit par venir à bout des spectateurs les plus patients. C’est à ce jour le dernier long-métrage de David Lynch.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2007

 

© Gilles Penso

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