LE TESTAMENT D’ORPHÉE (1960)

Jean Cocteau joue son propre rôle et traverse l’espace-temps pour se confronter aux créations de son passé

LE TESTAMENT D’ORPHÉE

 

1960 – FRANCE

 

Réalisé par Jean Cocteau

 

Avec Jean Cocteau, Édouard Dhermitte, Henri Crémieux, François Perier, Maria Casarès, Jean-Pierre Léaud, Daniel Gélin, Yul Brynner, Jean Marais

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I MYTHOLOGIE I MORT

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, Le Testament d’Orphée n’est pas la suite d’Orphée mais un curieux film introspectif et surréaliste qui emprunte des éléments et des personnages du film précédent pour les réorganiser en brisant le quatrième mur qui sépare la réalité de la fiction. Dès l’entame, la voix off de Jean Cocteau s’adresse directement aux spectateurs pour livrer ses réflexions et ses états d’âme. « Le privilège du cinématographe, c’est qu’il permet à un grand nombre de personnes de rêver ensemble le même rêve » dit-il, avant d’annoncer que le film que nous nous apprêtons à voir est un véritable « strip-tease », une mise à nu de son auteur. Aussitôt, le poète nous apparaît en costume du 18ème siècle, jaillissant en fondu enchaîné devant un écolier qui n’en croit pas ses yeux. Ce fantôme du passé s’éclipse et ressurgit face à une femme qui, abasourdie, laisse tomber son bébé au sol. Cocteau se projette une fois de plus dans le temps pour se révéler à un vieillard sur un fauteuil roulant qui, avant de trépasser, laisse tomber une boîte de balles de révolver. Ces trois personnes visitées – l’enfant, le bébé et le vieil homme – sont un seule et même homme, un savant que Cocteau vient rencontrer une ultime fois, alors qu’il est dans la force de l’âge, pour lui raconter son voyage temporel. Fasciné, le scientifique récupère les balles, charge son revolver et tire sur le poète… qui ressuscite immédiatement dans un costume des années 60 et s’éloigne au ralenti. « Ne me demandez pas pourquoi » est le sous-titre du Testament d’Orphée. Voilà qui annonce la couleur !

L’ultime long-métrage de Cocteau est ainsi construit autour d’une collection de cadavres exquis s’enchaînant poétiquement au mépris de toute logique narrative. On ne s’étonnera donc pas outre-mesure de voir le cinéaste croiser sur son chemin un homme déguisé en cheval, de découvrir un camp de gitans où le feu se consume à l’envers, de voir surgir des flots le poète Cégeste, tout droit revenu du film Orphée et toujours incarné par Edouard Dhermitte… « Vous cherchez trop à comprendre, c’est un grave défaut » dit le personnage à l’attention du poète, visiblement aussi décontenancé que les spectateurs face à cet enchaînement de faits étranges et aléatoires. Échappés eux aussi d’Orphée, Maria Casarès et François Perrier interviennent à leur tour au sein d’un tribunal absurde dont Cocteau est le principal accusé. Au fil de ce récit labyrinthique, on croisera des vedettes invitées aussi disparates que Claudine Auger, Charles Aznavour, Nicole Courcel, Jean-Pierre Léaud, Daniel Gélin, Alice Sapritch, Françoise Sagan, Roger Vadim, Pablo Picasso, Jean Marais et même Yul Brynner !

Le sang du poète

Dans Le Testament d’Orphée, Cocteau utilise avec une répétition confinant à l’obsession les prises de vues en marche arrière pour inverser le cours du temps, des actions et des phénomènes naturels : les chutes sont inversées, les photos brûlées se reconstituent, les flots ouverts se referment, les toiles découvrent les tableaux, les éponges font apparaître la craie sur l’ardoise, les fleurs déchirées se reconstituent… Même certains dialogues sont entendus à l’envers. Le cinéaste chercherait-il à travers son art à concevoir l’impossible, autrement dit remonter le cours du temps pour retrouver une jeunesse qui s’échappe à grands pas ? Cet exercice de style a quelque chose d’enivrant. Il n’est pas interdit d’y trouver la source d’inspiration majeure d’un film comme Tenet. Certes, Le Testament d’Orphée laisse l’étrange impression d’écouter le poète parler sans cesse de lui à la troisième personne, de passer son temps à s’auto-citer, bref de se regarder un peu trop le nombril. Mais après tout, comme le dit Cégeste au milieu du métrage, « un peintre fait toujours son propre portrait ». Hermétique ou fascinant, selon l’état d’esprit dans lequel se trouve le spectateur au moment de son visionnage, ce testament prophétique, dans lequel Cocteau met en scène sa propre mort, ne pouvait porter titre plus approprié. Le poète s’éteindra en effet trois ans après la sortie du film.

 

© Gilles Penso

 

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