FREAKY (2020)

Un slasher très particulier dans lequel le tueur et l’héroïne subissent un échange de corps…

FREAKY

 

2020 – USA

 

Réalisé par Chris Landon

 

Avec Vince Vaughn, Kathryn Newton, Celeste 0’Connor, Misha Osherovich, Emily Holder, Alan Ruck, Dana Drori

 

THEMA TUEURS I SORCELLERIE ET MAGIE

À la façon des tueurs qu’il met en scène, le slasher est un genre qui ne crève jamais. Si Scream de Wes Craven donna un second souffle au genre, son approche « méta » faillit tout autant l’achever, le second degré et la connivence avec le public  inhérents à tous ses succédanés pouvant créer une distance fatale à l’élément horrifique. Ajoutez à cela une vague de remakes dispensables des classiques du genre au cours des vingt dernières années, et Freaky se positionne instantanément comme le slasher le plus frais et novateur depuis un bail, avec son pitch d’une telle simplicité que l’on se demande pourquoi personne n’y avait songé avant. Mais pas question ici de cultiver la nostalgie de Jason, Michael Myers et consort. De fait, Freaky adopte les préoccupations et la vision du monde de la jeunesse 2.0, ce qui pourra laisser les fans les plus conservateurs sur la touche. Difficile de savoir sur quel pied danser lors de la scène d’ouverture qui, en cinq minutes chrono, s’avère un parfait manuel du « slasher pour les nuls » : un groupe d’ados qui, entre deux bécots et deux bières, parlent de crimes horribles perpétrés dans les environs par un individu masqué que la police et les journaux ont déjà surnommé « le boucher ». Celui-ci s’invite évidemment à la fête avec sa hache et tout le monde y passe. Quiconque a déjà vu au moins deux films du genre peut alors légitimement se demander s’il s’agit d’une parodie, ou peut-être d’un film dans le film ? La date apparaissant à l’écran dans une police de caractère façon comic book ne fait qu’enfoncer le clou, puisque nous sommes le mercredi 11, soit l’avant-veille du jour que vous savez…

Mais les évènements auxquels nous avons assisté sont bien « réels » et font état de note d’intention : il ne s’agit pas de rendre un hommage déférent au slasher, mais d’inventorier ses codes et clichés pour les présenter à travers le prisme des valeurs d’une génération pour laquelle la figure du croque-mitaine/psycho-killer classique incarne des peurs et des angoisses devenues obsolètes. Freaky ne perd donc pas de temps en palabres et expédie le tour de passe-passe qui va mettre l’histoire en route, permettant à son héroïne Millie (Kathryn Newton) d’échanger son corps avec « le boucher » (Vince Vaughn), à savoir la malédiction très générique d’une dague aztèque… La jeune et timide Millie se retrouve donc très vite dans la défroque d’un grand gaillard de deux mètres, l’interprétation de Vince Vaughn constituant bien évidemment l’attraction principale du film et son principal ressort comique. Les quiproquos, le décalage entre le physique de l’acteur, sa voix fluette et ses manières « girly » accouchent d’un humour bon enfant, même lors de l’inévitable découverte des joies de pouvoir uriner debout. Freaky fait partie du haut du panier des productions Blumhouse, une boite capable du meilleur (Invisible Man, Get Out) et du moins bon (Paranormal Activity, Nightmare Island), et pour laquelle Chris Landon a déjà réalisé le dytique Happy Birthdead, qui reprenait le concept d’Un jour sans fin appliqué au slasher. Freaky emprunte d’ailleurs lui-même son pitch à une comédie Disney sortie en 1976, Freaky Friday (Un Vendredi dingue, dingue, dingue en VF), dans laquelle une mère et sa fille échangent leur corps pendant quelques jours, et qui connut un réjouissant remake en 2003 avec Jamie Lee Curtis et Lindsay Lohan.

Le corps de mon ennemi

Loin du mal de vivre de la génération X que décrivait John Hughes dans ses films (Breakfast Club en tête), Freaky opère une mise à jour nécessaire en confrontant la génération Z aux codes du slasher. Imaginez un épisode de la série Glee de Ryan Murphy dans lequel sévirait un tueur et vous aurez une idée du résultat. Chris London ne porte jamais aucun jugement sur cette jeunesse à laquelle il n’appartient évidemment pas. S’amusant d’un air entendu de ses travers (la réaction initiale des élèves lors de l’annonce du premier meurtre n’est pas la peur mais l’empressement de reposter des messages sur les réseaux sociaux pour faire le « buzz »), sans jamais verser dans la critique d’arrière-garde ou moralisatrice. On notera néanmoins l’absence de personnage masculin positif dans le film, la gent masculine étant représenté par un tueur psychopathe et un professeur qui, à sa façon, ne l’est pas moins. Même le traditionnel policier local est une femme (Dana Drori). Le seul hétérosexuel sympathique est le prétendant de Millie, qui se montre assez « ouvert » pour lui déclarer sa flamme alors qu’elle a encore les traits de Vince Vaughn – une scène d’ailleurs savoureuse, pour un numéro réussi d’équilibriste entre premier degré et ridicule assumé. Ce grand écart stylistique résume assez bien un film qui, parce qu’il ne s’embarrasse pas d’une déférence restrictive envers le genre, ne s’offusque pas non plus des codes que la génération #MeToo aurait trop vite fait de condamner sans appel. Mieux vaut en rire ! Et c’est justement la proposition de Chris Landon.

 

© Jérôme Muslewski

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