OXYGÈNE (2021)

Un exercice de style périlleux dans lequel Alexandre Aja filme en temps réel le calvaire claustrophobique de Mélanie Laurent…

OXYGÈNE / OXYGEN

 

2021 – USA / FRANCE

 

Réalisé par Alexandre Aja

 

Avec Mélanie Laurent, Malik Zidi, Mathieu Amalric, Lyah Valade, Annie Balestra, Éric Herson-Macarel, Laura Boujenah, Cathy Cerda, Marc Saez

 

THEMA FUTUR ROBOTS ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE I SAGA ALEXANDRE AJA

Tout est parti d’un scénario de Christie LeBlanc, dont les crédits d’écriture concernaient jusqu’alors principalement la série How to Make a Reality Star. À partir de 2016, son script fait le tour des compagnies de production américaines et attire les convoitise sans parvenir à se concrétiser. Il entre alors dans la catégorie « Black List » bien connue à Hollywood : un scénario au potentiel énorme mais que personne n’a encore acquis. Le projet finit par se matérialiser grâce à Alexandre Aja qui envisage de le produire pour en confier la mise en scène à son compère Franck Khalfoun (Deuxième sous-sol, Maniac). Le film s’appelle alors 02 et Anne Hataway est pressentie dans le rôle principal, avant de céder la place à Noomi Rapace. Tout est en place pour une mise en production aux États-Unis, jusqu’à ce que la pandémie du Covid-19 ne bouleverse tout. Contraint de rentrer à Paris et de se confiner, Aja ne renonce pas pour autant au film, qu’il décide de réaliser lui-même moyennant un certain nombre d’ajustements. Oxygène (son nouveau titre) se tournera finalement en France et Mélanie Laurent (qu’il a rencontrée sur le tournage d’Inglorious Basterds de Quentin Tarantino) hérite finalement du rôle principal. En juillet 2020, Aja et son équipe s’installent dans un décor futuriste conçu à Ivry-sur-Seine par le vétéran Jean Rabasse (La Cité des enfants perdus). Le réalisateur met ainsi en scène son premier film en langue française depuis Haute tension.

Oxygène est ce qu’on appelle un « film concept », reposant sur une idée simple et forte qu’il faut parvenir à décliner sur la durée d’un long-métrage sans lasser le spectateur grâce à des choix de mise en scène audacieux et des péripéties inattendues. Très attiré par ce type de défi, Alfred Hitchcock caressait par exemple l’idée de réaliser un film intégralement situé dans une cabine téléphonique, une idée que Larry Cohen reprendra à son compte pour écrire le Phone Game de Joel Schumacher. On pense aussi bien sûr au Buried de Rodrigo Cortés, dans lequel Ryan Reynolds se retrouvait enterré vivant. Mais ici, le contexte est sensiblement différent. Mélanie Laurent s’éveille en panique dans un lieu qui lui est totalement étranger : un caisson d’hibernation futuriste, bardé d’équipements médicaux high-tech, d’écrans de contrôle variés et d’appareils qui font bip bip. Qui est-elle ? Où est-elle ? Impossible de le savoir. Son amnésie et l’hostilité de cet environnement inconnu créent dès les premières secondes un sentiment d’identification fort avec les spectateurs qui vont chercher comme elle à dénouer le mystère de cet enfermement. En guise d’interlocuteur, la malheureuse doit se contenter de MILO, une intelligence artificielle à laquelle Mathieu Amalric prête sa voix chaleureuse. C’est alors que s’enclenche le compte à rebours : la réserve d’oxygène baisse à vue d’œil. Si elle ne trouve pas le moyen de comprendre la situation et d’en sortir, elle périra asphyxiée. Mais comment assembler les pièces du puzzle ?

Dans l'air du temps

Face à ce « survival » oppressant qui se vit presque comme un « escape game » ramené à sa plus simple expression, on ne peut s’empêcher de penser que le contexte très particulier dans lequel le film fut réalisé a joué en sa faveur. Oxygène n’est-il pas l’expression directe des angoisses suscitées par l’épidémie mondiale qui frappa la planète fin 2019 ? Le confinement, la médicalisation, la détresse respiratoire et tant d’autres éléments du scénario positionnent le neuvième long-métrage d’Alexandre Aja comme le témoin direct d’une période qui fera date dans l’histoire de l’humanité et dont chaque rebondissement exorcise naturellement les traumatismes. Même son mode de diffusion – la plateforme Netflix au lieu des salles de cinéma – rend compte du caractère inédit de la situation. L’exercice difficile que constitue Oxygène le confrontait à de nombreux écueils. Il ne les évite pas tous. Certains raccourcis scénaristiques sont un peu difficiles à avaler et la plupart des voix off qui communiquent avec notre infortunée héroïne donnent dans le surjeu théâtral (proche de la tonalité d’un feuilleton radiophonique). Malgré tout, le film tient miraculeusement la route en s’appuyant sur une alchimie fragile : la prestation impressionnante de Mélanie Laurent et la mise en scène au cordeau d’Alexandre Aja, qui tire parti de chacune des contraintes de ce décor unique pour les muer en atouts. Préférant à l’horreur qui lui est chère le suspense pur (malgré quelques écarts qui feront frémir les phobiques des seringues et des rongeurs), le cinéaste retrouve plusieurs composantes de Crawl dont il décline certains motifs jusqu’à les muer quasiment en abstraction pures. Car Oxygène est aussi un « trip », une expérience immersive totale qui démontre une fois de plus l’inventivité folle d’un réalisateur qui n’a pas fini de nous surprendre.

 

© Gilles Penso

 

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