AVALON (2001)

Le réalisateur de Ghost in the Shell nous plonge dans un univers virtuel addictif qui capture l’esprit des joueurs trop accros…

AVALON

 

2001 – JAPON / POLOGNE

 

Réalisé par Mamoru Oshii

 

Avec Malgorzata Foremniak, Wladyslaw Kowalski, Jerzy Gudejko, Dariusz Biskupsi, Bartlomiej Swiderski, Katarzyna Bargielowska, Alicja Sapryk, Michael Breitenwald

 

THEMA MONDES PARALLÈLES ET MONDES VIRTUELS I FUTUR

Porté aux nues aux quatre coins du monde grâce à son splendide film d’animation Ghost in the Shell, Mamoru Oshii décide d’aborder à l’aube des années 2000 le sujet de la réalité virtuelle. C’est en prises de vues réelles qu’il choisit cette fois-ci de s’exprimer, comme pour mieux brouiller les pistes entre le monde physiquement tangible et celui des pixels. Et si le sujet de l’isolement d’une partie de la population accro aux jeux vidéo semble toucher de près la société nippone, Oshii préfère un cadre européen, plus propice selon lui à la mise en place d’un monde rétro-futuriste proche de celui décrit par Michael Radford dans son adaptation de 1984. D’où l’installation de son équipe à Varsovie et Wroclaw et la présence d’un casting exclusivement polonais. Le gouvernement prête d’ailleurs main-forte à la production en mettant gracieusement à sa disposition tout l’équipement et les véhicules militaires nécessités par les reconstitutions des séquences guerrières. Un film japonais tourné dans la langue d’Andrzej Wajda : décidément, Mamoru Oshii n’est pas un cinéaste comme les autres. Rétif à toutes les étiquettes, l’homme concocte un long-métrage de prime abord austère et hermétique, sans se priver pour autant de clins d’œil qu’on aurait plus volontiers imaginés chez un cinéphile compulsif adepte de post-modernisme, comme par exemple l’utilisation des noms Ash et Bishop en hommage aux deux robots d’Alien et Aliens. Oshii ne se prive pas non plus de faire intervenir dans son récit un basset, l’animal fétiche qui l’accompagne dans presque tous ses films.

Avalon se situe dans un avenir indéterminé, où la technologie semble avoir fait un bond en avant mais où la société donne le sentiment de s’être figée quelque part entre deux guerres. Emprunté aux légendes celtes, le nom d’« Avalon » est celui d’un jeu vidéo illégal sur lequel les participants branchent directement leur cerveau et où ils se lancent dans des opérations militaires musclées. Certains joueurs, victimes de comportements addictifs irrépressibles, se plongent dans cet univers virtuel avec tant d’intensité que leur esprit y reste bloqué, tandis que leurs corps inerte végète dans des hospices sinistres. Ce sont les « non revenus ». D’où le parallèle avec l’« Avalon » des légendes arthuriennes, cette île mythique où sont supposées se réfugier les âmes des grands guerriers. Dans ce monde peu reluisant qui n’est que le miroir déformant du nôtre, Ash, une jeune femme solitaire, multiplie avec succès les missions guerrières d’« Avalon », ce qui lui permet de gagner des biens matériels. « Pour les vrais joueurs, le jeu est une fin en soi » dit l’un des personnages du film, comme pour laisser entendre qu’Ash se plonge dans ces combats virtuels moins pour se constituer un petit pactole que pour s’y adonner à la manière d’une drogue.

« La réalité est ce qui nous paraît réel »

Le cadre dans lequel Mamoru Oshii situe son film est atemporel mais familier, comme emprunté à une page d’histoire uchronique. Tout y est gris, triste, délavé. Les rues sont mal éclairées, les vieux tramway grincent, les grues de chantier se dressent lugubrement au milieu des bâtiments spartiates, la pauvreté et les restrictions suintent partout. C’est dans cet environnement étouffant, éclairé par une photographie ouatée et quasi-monochrome, que l’héroïne Ash (dont le nom peut se traduire par « cendre ») s’astreint à une routine quotidienne, ne partageant sa vie qu’avec un chien, seul capable visiblement de lui arracher quelques sourires. Nous sommes très loin d’une imagerie futuriste clinquante. Même la visualisation du jeu vidéo baigne dans un certain désenchantement, à mille lieues des facéties virevoltantes d’un Matrix. C’est un terrain de jeu banal, fait de ruines et de champs asséchés, où surgissent tanks, hélicoptères et canons qu’il faut déjouer pour ne pas finir pulvérisé. Via plusieurs effets visuels surprenants qui ne cherchent pas l’hyper-réalisme mais plutôt la fusion des univers, les images de synthèse se mêlent aux prises de vues réelles jusqu’à la confusion. À l’avenant, la bande originale envoûtante alterne les morceaux électroniques et les pièces opératiques interprétées conjointement par l’orchestre philharmonique de Varsovie et le Tokyo Pop Orchestra. L’organique et l’électronique marchent ainsi main dans la main, jusqu’à un dernier acte surprenant qui remet définitivement en cause la notion de réel. « La réalité est ce qui nous paraît réel », dira l’un des interlocuteurs d’Ash. Fascinant, Avalon souffre malgré tout de son incapacité (son refus ?) à faire ressentir des émotions aux spectateurs. Dès le début du métrage, une distance se crée entre l’action et le public, et ce fossé ne sera jamais comblé. L’exercice de style aurait sans doute gagné à céder une part de son caractère cérébral contre un peu plus de cœur.

 

© Gilles Penso

 

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