OPÉRATION PEUR (1966)

Un médecin enquête sur une mort mystérieuse survenue dans un petit village qui semble victime d’une terrible malédiction…

OPERAZIONE PAURA

 

1966 – ITALIE

 

Réalisé par Mario Bava

 

Avec Giacomo Rossi-Stuart, Erika Blanc, Fabienne Dali, Piero Lulli, Luciano Catenacci, Micaela Esdra, Franca Dominici, Giovanna Galetti

 

THEMA FANTÔMES

Mario Bava s’était fait connaître du public en dirigeant de splendides œuvres d’épouvante gothique comme Le Masque du démon ou Le Corps et le fouet. Après des approches plus modernes du genre (Six femmes pour l’assassin, La Planète des vampires), il revient à ses premières amours avec Opération peur, produit dans des conditions très modestes. Aucune star internationale ne vient occuper le haut de l’affiche, le tournage est mis en boîte en une petite quinzaine de jours et le budget ne permet même pas d’embaucher un compositeur (d’où le recyclage de musiques préexistantes dans la bande son). Pire : la petite compagnie F.U.L. Films, qui finance le long-métrage, se retrouve à cours d’argent avant la fin du tournage et ne peut plus assurer les dépenses en cours. Mario Bava, son équipe technique et ses comédiens acceptent donc de finir leur travail tout en sachant pertinemment qu’il n’y aura plus de salaires au bout. La cohérence du film n’est pourtant pas entachée par cette production chaotique. C’est d’autant plus étonnant que Mario Bava avoue avoir beaucoup improvisé pendant le tournage, ne s’appuyant que sporadiquement sur le scénario qu’il a co-écrit avec Romano Migliorini et Roberto Natale pour se laisser porter par l’inspiration au jour le jour.

Le film accroche ses spectateurs dès son entame. Au milieu de la nuit, le silence est déchiré par un hurlement de terreur perdu dans le souffle lugubre du vent. Une femme paniquée prend la fuite, grimpe en haut d’un escalier puis, comme pétrifiée d’effroi, se jette sur une grille où elle s’empale. Au loin gambadent les pas innocents d’une fillette en robe blanche. C’est là que le titre surgit au milieu de l’écran : Operazione paura, Opération peur… Tout un programme ! La scène suivante sacrifie au classicisme et aux lieux communs du genre. Le docteur Paul Eswai (Giacomo Rossi-Stuart) débarque à Karmingen, un village sinistre de Transylvanie. Le cocher refuse d’aller plus loin, arguant que « cet endroit est maudit, oublié de Dieu ». Le médecin continue donc son voyage à pied, accueilli par une atmosphère sinistre que Mario Bava cisèle en quelques tableaux saisissants : l’ombre chinoise de quatre hommes portant un cercueil, des visages méfiants agglutinés derrière une fenêtre… Légiste, le docteur Eswai est venu autopsier le corps de la victime, ce qui provoque aussitôt un vent de panique auprès de villageois visiblement très superstitieux. L’étudiante en médecine Monica Schuftan (Erika Blanc) l’assiste, mais elle est bientôt en proie à de terribles cauchemars. Quand l’étrangeté s’immisce et suinte dans les rues du village, le surnaturel semble être l’explication communément admise. Comme lorsque cet aubergiste, face à une cloche qui sonne toute seule, affirme : « ce n’est pas le vent qui la fait sonner, c’est la haine ! ». Et si la mort de la malheureuse n’était ni accidentelle, ni criminelle ? Et si les racontars liés à la malédiction de la villa Graps étaient fondés ?

La fillette en blanc

Opération peur s’appuie moins sur la variété de ses péripéties, finalement réduites à peu de choses, que sur la construction d’une ambiance oppressante qui se déploie en même temps que la peur des autochtones, à la manière d’une maladie contagieuse. Une galerie de personnages insolites s’inscrit dans ce récit tourmenté : la sorcière qui prodigue aux autochtones des soins très peu catholiques (Fabienne Dali), l’étrange bourgmestre qui semble cacher un lourd secret (Luciano Catenacci), la vieille baronne qui porte le poids du chagrin sur ses épaules (Giovanna Galetti) et surtout le fantôme de la petite Melissa, au physique d’autant plus perturbant qu’elle est en réalité incarnée par un garçon (Valerio Valeri, le fils du concierge de Mario Bava, sélectionné après que le cinéaste ait été incapable de trouver une fillette adéquate). L’image récurrente de ce fantôme en jupette, ricanant hors champ et jouant avec un ballon blanc, est restée dans toutes les mémoires. Federico Fellini lui-même la recyclera dans le segment qu’il réalisera pour Histoires extraordinaires. Restrictions budgétaires obligent, Opération peur est économe en décors. Chacun d’entre eux est donc exploité au maximum de son potentiel suggestif : cimetière brumeux, manoir tapissé de toiles d’araignées, ruelles noyées dans le brouillard, crypte lugubre et labyrinthique. Tout semble à l’abandon depuis des siècles dans ce village pétrifié. Le temps semble s’y être figé. C’est d’ailleurs exactement le sentiment que provoque Mario Bava lorsqu’il promène sa caméra dans l’auberge où pénètre le docteur pour la première fois : les villageois sont tous immobiles, le regard dans le vide, comme perdus dans un repli du temps. Le réalisateur pousse encore plus loin l’exercice dans cette séquence folle où Eswai ouvre sans cesse une porte et traverse indéfiniment la même salle, jusqu’à courir après un double de lui-même. Ou dans cette vue plongeante sur un escalier en colimaçon, réminiscence de Sueurs froides, que Monica n’en finit plus de descendre. Opération peur est donc une perle vénéneuse et poétique qui mettra du temps à trouver sa juste place dans la filmographie prestigieuse du maestro italien.

 

© Gilles Penso


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