ACHOURA (2018)

Pour son second long-métrage, Talal Selhami nous plonge au cœur d'un conte d’épouvante qui puise ses racines dans le folklore marocain…

ACHOURA

 

2018 – FRANCE / MAROC

 

Réalisé par Talal Selhami

 

Avec Younes Bouab, Sofiia Manousha, Ivan Gonzalez, Moussa Maaskri, Omar Lofti, Mohamed Choubi, Clémence Verniau, Mohamed Wahib Abkari

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

En 2010, Talal Selhami nous offrait Mirages, un premier long-métrage étonnant qui présentait l’originalité d’inscrire dans un contexte socio-culturel franco-marocain les codes du cinéma d’épouvante, le tout avec une économie de moyens qui forçait le respect. Son style, son univers, sa personnalité et sa patte étaient déjà là, très perceptibles. Il nous aura fallu attendre près de dix ans pour découvrir son film suivant, fruit d’un parcours du combattant éprouvant. Le financement d’Achoura ne fut pas une simple affaire, pas plus que sa post-production. Après un tournage près de Casablanca et Mohammedia en 2015, les effets spéciaux promis par la compagnie en charge de leur création jouent l’arlésienne. Un an et demi plus tard, il faut tout reprendre à zéro. Puis c’est la société de production initiale qui dépose le bilan en oubliant de rétrocéder les droits du film à son auteur. La bataille est logistique, artistique, juridique, mais Talal Selhami tient bon, soutenu par l’opiniâtre productrice Lamia Chraïbi. C’est avec une certaine fébrilité que nous attendions enfin de découvrir Achoura après les maintes péripéties ayant émaillé sa réalisation. Autant dire que notre patience aura été allègrement récompensée.

« Achoura » est le nom d’une fête marocaine folklorique connue aussi comme « la nuit des enfants ». Les festivités, les danses et les déguisements se font autour d’un grand feu, en pleine forêt. Mais ce soir-là, la petite Bachira n’est pas à la fête. Mariée de force à un adulte violent, elle prend la fuite avec un ami de son âge jusque dans une vieille maison abandonnée où une force mystérieuse s’empare d’elle. Cette scène, qui se situe à une époque lointaine, va conditionner tous les événements à venir. Dès lors, le scénario d’Achoura fait des va et vient entre le présent, où évoluent trois adultes hantés par un souvenir traumatique refoulé (le flic Ali, l’institutrice Nadia et l’artiste Stéphane), et le passé, dans lequel les mêmes protagonistes, enfants, firent la rencontre d’une créature dont ils ont peu à peu occulté le souvenir. S’agissait-il d’un individu désaxé et pervers ? Ou de quelque chose de plus ancien, de plus impalpable et de plus terrifiant ? « Ce qui nous a attaqué n’était pas humain » se souvient Stéphane. Depuis, il peint de manière obsessionnelle et répétitive un être démoniaque et monstrueux sur les toiles qu’il expose. Et voilà que cette mystérieuse entité refait son apparition…

Les démons de l’enfance

Même s’il est profondément ancré dans le folklore marocain, Achoura évoque par bien des aspects les écrits de Stephen King, preuve que les terreurs décrites par l’auteur de « Carrie » et « Shining » sont universelles. C’est d’abord « Ça » qui vient naturellement à l’esprit, ne serait-ce qu’à travers la mécanique du groupe d’amis se remémorant leur affrontement avec la Bête alors qu’ils étaient enfants. D’autres réminiscences affleurent, comme le grand champ sinistre des « Enfants du maïs ». Talal Selhami ne peut renier l’inspiration de King, qui nourrit depuis longtemps son imaginaire. Mais sa manière de s’emparer de ce matériau séminal pour le décliner sous un jour inédit et résolument novateur donne à Achoura tout son sel. Et tant pis si le Ça d’Andres Muschietti est sorti sur les écrans entre-temps, renforçant le réflexe de la comparaison. Achoura n’en conserve pas moins sa singularité et sa sensibilité. Au service de cette vision toute personnelle, le réalisateur s’appuie sur un accompagnement artistique de premier ordre : la superbe musique orchestrale de Romain Paillot, la photographie somptueuse de Mathieu de Montgrand, les designs d’Alex Tuis (où semblent émerger quelques échos du cinéma de Miyazaki), les effets spéciaux de l’atelier de Jean-Christophe Spadaccini, les effets visuels de Nessim Chebaane et Gabriel Kerlidou, sans oublier un très beau générique conçu par Nicolas Alberny. Face au spectacle enivrant d’Achoura, les manques de moyens, les difficultés techniques, les soucis logistiques et juridiques, toutes ces entraves s’évaporent pour céder la place à l’envoûtante légende de « Boughatate », le genre de conte macabre qu’on chuchote autour d’un feu de camp et qui reste longtemps ancré dans les mémoires.

 

© Gilles Penso


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