VINCENT DOIT MOURIR (2023)

Un homme ordinaire découvre un jour qu’une vague de folie meurtrière frappe les gens qu’il croise et que tout le monde veut le tuer !

VINCENT DOIT MOURIR

 

2023 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Stéphan Castang

 

Avec Karim Leklou, Vimala Pons, François Chattot, Michaël Perez, Emmanuel Vérité, Jean-Rémi Chaize, Ulysse Genevrey, Karoline Rose Sun, Pierre Maillet

 

THEMA MUTATIONS

Vincent doit mourir est le premier long-métrage du réalisateur Stéphan Castang et du scénariste Mathieu Naert. Le projet est né d’un appel de films fantastiques et de science-fiction lancé par les compagnies Wild Bunch et Capricci, mais sa singularité ne le rattache à rien de connu, même si les codes des films de zombies et des récits post-apocalyptique se glissent parfois entre les lignes de l’intrigue. « Ce que j’aimais, lorsque j’ai découvert le scénario de Vincent doit mourir, c’est qu’il démarrait à la manière des thrillers paranoïaques des années 70 », raconte Stéphan Castang. « Ce qui est intéressant, c’est que le problème qui touche le personnage est presque posé comme une hypothèse. Plus il est victime, plus il devient suspect aux yeux des autres. » (1) Bien que les premières ébauches du scénario aient été écrites avant la pandémie du Covid 19, il est difficile de ne pas y détecter de nombreuses correspondances après coup. La paranoïa, la peur collective, le bouleversement quasi-irréversible des liens sociaux sont en effet au cœur du film. Le télétravail comme moyen d’éviter les interactions humaines, la nécessité de rester chez soi et le confinement aussi… Le genre fantastique, on le sait, n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il se fait l’écho du monde réel.

Tout commence de manière banale. Vincent (Karim Leklou), graphiste dans une petite entreprise, fait une remarque déplacée à un stagiaire qui, quelques minutes plus tard, le frappe violemment avec son ordinateur portable. Le jeune homme a-t-il été victime d’un burn-out ? C’est le moyen le plus rationnel d’expliquer son comportement. Mais bientôt, Vincent est victime d’autres agressions de plus en plus brutales et de plus en plus aléatoires : un autre collègue de bureau, les enfants de ses voisins, des gens dans la rue, des automobilistes… Tous ceux qui croisent son regard sont soudainement pris d’une pulsion meurtrière incontrôlable. Alors qu’il tente de comprendre la teneur d’un tel phénomène – Virus ? Possession ? Accès de rage ? Folie collective ? –, Vincent doit lutter pour sa survie et décide finalement de quitter son appartement pour s’isoler à la campagne. Mais là aussi, la violence dévastatrice le guette…

La mort aux trousses

Si le concept de Vincent doit mourir est ouvertement insolite, la justesse de jeu des acteurs et la sobriété de la mise en scène permettent aux spectateurs d’y croire sans trop se forcer, d’activer leur suspension d’incrédulité et de focaliser leur identification autour du personnage de Vincent. Car Karim Leklou promène son regard hébété et sa mine déconfite avec la banalité d’un monsieur tout le monde dépassé par une situation incompréhensible, nous poussant sans cesse à nous demander comment nous agirions nous-même si nous étions à sa place. Si Vincent doit mourir place au cœur de sa narration la peur de l’autre, les dangers de l’effet de groupe et l’escalade de la violence, Stéphan Castang ne cherche pas à discourir sur le sujet. Son constat est amer mais distancé : lorsque la vie en société devient infernale, seul le repli sur soi semble être salutaire. La violence elle-même est abordée sous un angle réaliste et primaire, loin des chorégraphies auxquelles nous habitue le cinéma d’action. Les combats sont gauches, maladroits, sales… avec comme point d’orgue une lutte désespérée au milieu des excréments d’une fosse septique à ciel ouvert ! « Cette scène, avec deux personnages qui se battent pour survivre dans de la merde, raconte bien notre société actuelle », commente l’acteur principal (2). Certes, la sous-intrigue liée à une organisation clandestine parallèle nous semble superflue, comme ajoutée artificiellement au scénario pour l’enrichir. Or c’est justement la sècheresse brute de ce récit et son refus d’explications logiques/scientifiques qui alimentent son efficacité et son impact. Vincent doit mourir nous surprend, nous intrigue et nous choque, laissant en suspens la question de la préservation de notre humanité et de notre capacité d’aimer et d’éprouver encore des sentiments dans un monde devenu fou et sauvage. Bref une belle surprise, primée notamment à Sitges, Neuchâtel, Montréal, Paris et Strasbourg.

 

(1) Extrait d’une interview réalisée pour la Semaine de la critique de Cannes en mai 2023.

(2) Extrait d’une interview publiée dans « Bande à part » en novembre 2023.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article