BOSSU DE NOTRE-DAME (LE) (1996)

Les studios Disney proposent une nouvelle adaptation du classique de Victor Hugo, une de leurs productions les plus adultes

THE HUNCHBACK OF NOTRE-DAME

 

1996 – USA

 

Réalisé par Gary Trousdale et Kirk Wise

 

Avec les voix de Tom Hulce, Demi Moore, Kevin Kline, Tony Jay, Jason Alexander, Mary Wickes, Frank Welker

 

THEMA FREAKS

Les années 90 constituèrent le second âge d’or des studios Disney : sur le plan artistique, avec une nouvelle génération d’animateurs, mais aussi quantitativement, sous la direction de Jeffrey Katzenberg qui imposa la production d’un long-métrage animé par an dès 1988. Tel un rouleau compresseur, chaque millésime dominait le box-office international et s’accompagnait d’un raz-de-marée de produits dérivés qui déferlèrent dans les linéaires de nos supermarchés jusqu’aux menus enfants des fast-food. Une nouvelle adaptation de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo par Disney, aussi aseptisée allait-elle pouvoir être, constituait donc un projet osé de par l’absence de figures princières ou animalières se prêtant facilement à la production de poupées et jouets. Inconscience ou courage, c’est pourtant Katzenberg lui-même qui valide le projet et choisit judicieusement de le confier à Gary Trousdale et Kirk Wise, réalisateurs de La Belle et la Bête qui offrit aux studios Disney une nomination à l’Oscar dans la catégorie du meilleur film, et qui leur valut d’être déjà acclimatés à une certaine sensibilité française. Avec un rythme de productions requérant de travailler sur plusieurs films en parallèle, des studios satellites virent le jour pour soutenir les équipes principales de Californie, en Floride mais également en France, ce qui s’avéra payant pour le projet. Paul et Gaetan Brizzi, réalisateurs/animateurs sur les films d’animation Astérix des années 70 puis La Bande à Picsou pour Disney, se retrouvent ainsi à la tête du studio de Montreuil. Leur première mission sur Le Bossu de Notre-Dame est de reprendre à zéro le travail sur la séquence d’ouverture suite à l’ajout d’une chanson.

Cette séquence figure parmi les plus grandes réussites du studio. S’ouvrant sur une représentation divine des tours de Notre-Dame émergeant au-dessus des nuages pour tutoyer le paradis, le plan plonge ensuite sans coupe jusqu’au ras des pavés d’une rue animée de Paris dans laquelle les habitants déversent leur déchets, révélant en fin de course une vue en contre-plongée de la cathédrale, signifiant cette fois le point de vue terrestre et humain, une dichotomie au cœur de l’histoire, Quasimodo étant lui-même perçu comme un monstre issu des enfers et un ange salvateur. La suite de la séquence est à l’avenant : les cadres et l’animation, alliés à une partition et un texte au lyrisme d’une ambition narrative rare, contribuent à poser le ton du récit, d’un sérieux et d’une noirceur que les apartés comiques hors-sujet des gargouilles (la faute à Kirk Wise, plus porté sur le « cartoon » que le drame pur) ne parviendront jamais vraiment à éliminer. Les frères Brizzi réalisent une seconde séquence chantée mettant en scène Frollo en proie à ses démons intérieurs et son désir luxurieux réprimé pour Esmeralda (et bien que Disney ait pris soin de faire de reconvertir Frollo d’archevêque en juge, il n’en conserve pas moins une autorité cléricale). La partition d’Alan Menken (La Petite boutique des horreurs, La Petite sirène, Aladdin, La Belle et la Bête) et Stephen Schwartz (parolier et compositeur de Broadway à qui l’on doit Wicked) extrapolait déjà sur le « Dies Irae » lors de l’ouverture, soutenu par des cloches battant la mesure comme pour célébrer une messe. Pour la chanson « Hellfire » de Frollo, le même thème est repris dans une tonalité lugubre illustrant la dualité du personnage, son dilemme intérieur, entre vertu et instincts inavouables. De grandes figures encagoulées jettent l’opprobre sur le pêcheur alors que le feu dans la cheminée dessine la silhouette d’Esmeralda dansant lascivement ; dans le storyboard des Brizzi elle était nue, mais on ne s’étonnera pas que son anatomie soit cachée dans la version finale, la production anticipant les recommandations de la MPAA (qui ne demandera in fine qu’à atténuer la respiration aux accents lubriques du juge lorsqu’il renifle les cheveux d’Esmeralda) pour échapper à une classification PG (Parental Guidance) plutôt que U (tous publics) qui porterait préjudice à la carrière du film.

Il est venu le temps des cathédrales

Bien qu’une production Disney doive toujours se plier à un cahier des charges strict autour des thématiques jugées trop adultes, le choix de Demi Moore pour prêter sa voix à la flamboyante brune s’avère des plus évocateurs, car elle venait de tourner Proposition indécente, Harcèlement et Strip-Tease, sorti aussi en 1996, une façon de caractériser le personnage en utilisant des références connues des seuls parents. Si la contribution des frères Brizzi est essentielle, le reste du métrage ne démérite pas. Le Paris historique bénéficie notamment d’un degré de finition remarquable. L’animation est soignée, et l’on notera la qualité du travail de James Baxter (animateur de Belle et Rafiki) sur Quasimodo, dont les proportions ne facilitent pas le dessin sous des angles complexes. Voir par exemple l’excellente tenue de l’animation lors de la séquence « Out There » lorsque le personnage escalade ou glisse le long d’une cathédrale modélisée en 3D permettant d’amples mouvements de caméra. Le numérique viendra aussi renforcer les rangs des figurants lors de la fête des fous – ceux-ci paraissent bien rudimentaires aujourd’hui, mais la gestion de foule suivant une panoplie de mouvements standards annonce déjà le travail de WETA et leur logiciel Massive sur Le Seigneur des Anneaux. Le Bossu de Notre-Dame n’est pas le film d’animation Disney le plus populaire, mais après Pocahontas, il témoigne de l’émancipation artistique de la nouvelle génération d’animateurs en place depuis Basil, détective privé, mettant l’accent sur des histoires plus dramatiques centrées sur des personnages adultes plutôt que les éléments « disneyens » habituels. Une approche qui explique peut-être, en plus de la concurrence des films d’animations numériques Pixar et Dreamworks, le succès déclinant de l’animation traditionnelle. Le duo Trousdale/Wise se reformera une ultime fois pour Atlantide, l’empire perdu, une autre réussite inspirée de l’œuvre d’un autre auteur français, Jules Verne.

 

© Jérôme Muslewski

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