LA LLORONA (1960)

Le spectre d’une femme maudite et vengeresse hante la vie d’une famille dont le jeune enfant est en danger de mort…

LA LLORONA

 

1960 – MEXIQUE

 

Réalisé par Rene Cardona

 

Avec Maria Elena Marqués, Eduardo Fajardo, Luz Maria Aguilar, Carlos López Moctezuma, Mauricio Garcés, Marina Banquells, Juan José Martinez Casado

 

THEMA FANTÔMES

La légende de la Llorona (« la femme qui pleure ») est ancrée dans la culture populaire latino-américaine depuis la nuit des temps. Proche du mythe de la mère infanticide et maudite Médée, ce motif alimente de nombreux films fantastiques mexicains depuis les années trente et ne cesse depuis d’être décliné et réadapté sous les formes les plus diverses. Cette histoire de fantôme – équivalent lointain de notre « Dame blanche » – prend ses racines dans la tragédie d’une femme métisse qui trahit son peuple en devenant la maîtresse d’un conquistador, ôte la vie de ses enfants dans un élan de désespoir et se mue dès lors en spectre larmoyant avide de vengeance. En 1960, le scénariste Adolfo Torres Portillo en écrit une nouvelle adaptation, directement inspirée par la pièce qu’en tira Carmen Toscano, et le film entre en production chez la compagnie Producciones Bueno. Grand habitué du cinéma fantastique mexicain (L’Idole vivante, Bat Woman, Santo et le trésor de Montezuma, Sex Monsters et une centaine d’autres), Rene Cardona se voit confier la mise en scène de ce long-métrage à cheval entre deux époques (le 17ème siècle et les années 1960) et deux genres : le mélodrame et le film d’épouvante.

Une voix off pleine d’emphase et de poésie, qui n’est pas sans annoncer celle qui introduira L’Échine du diable de Guillermo del Toro, sert de prologue à La Llonora, tandis qu’une voiture roule à travers les rues sinueuses de la vieille ville de Guanajato. « L’homme passe », nous dit ce narrateur invisible. « Il vient de l’inconnu et retourne à l’inconnu. Et entre ces deux inconnues, entre la vie et la mort, il laisse une trace pour échapper à l’oubli. » Margarita (Luz Maria Aguilar) épouse Felipe (Mauricio Garcés), malgré une malédiction ancestrale qui, selon son père, le lui interdit. Un garçon naît bientôt de cette union, avec lequel Margarita se met à entretenir une relation fusionnelle quasi-obsessionnelle, au grand dam de son époux. Un flash-back nous transporte alors trois siècles dans le passé et nous conte l’histoire d’amour née entre une native sud-américaine (Maria Elena Marqués) et un conquistador espagnol (Eduardo Fajardo), qui commence de manière très romantique pour s’achever dans les larmes et le sang. C’est là que naît la malédiction de la « pleureuse » qui hante Margarita…

Des larmes et du sang

Dès l’entame, Cardona convoque les grands sentiments, la grandiloquence et une théâtralisation extrême qui, en d’autres circonstances, pourraient faire sourire par leur naïveté surannée. Mais cette approche sied à merveille à l’univers du film et au folklore dans lequel s’inscrit la légende de « la pleureuse ». Tout ici transpire la tragédie antique, avec son cortège de damnations et de remords éternels. La mise en scène s’appuie sur une belle photographie en noir et blanc de l’américain Jack Draper jouant à merveille sur les contrastes. Mais c’est surtout Maria Elena Marqués qui irradie l’écran, tour à tour radieuse, triste et effrayante. D’un simple regard, la star du Romeo et Juliette de 1943 passe de la douceur maternelle à une douleur insondable. Parfois, un effet spécial habile transforme progressivement son visage via une série de fondus enchaînés, altérant sa beauté altière pour faire ressortir les traits creusés d’une créature d’outre-tombe. D’une simple pantomime, l’actrice mue ses mains en griffes menaçantes, que René Cardona place à l’avant-plan de sa caméra pour accentuer le sentiment de menace. Le dernier tiers du film multiplie les séquences de suspense, dans la mesure où le spectre vengeur s’est introduit dans la maison sous les traits d’une nounou avenante, et que la mort menace de frapper à chaque seconde — avec même une séquence qui annonce le passage le plus traumatisant de Simetierre. La Llorona ne cherche pas pour autant à capitaliser sur les codes du cinéma d’épouvante, conservant la plupart du temps une approche relativement réaliste. Là repose une grande partie de son originalité : une tragédie surnaturelle, certes, mais enracinée dans une douleur bien humaine, celle d’une mère brisée, condamnée à errer entre les vivants et les morts.

 

© Gilles Penso

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