

Pour séduire un prince qu’elle rêve d’épouser, une jeune femme est prête à tous les sacrifices, quitte à altérer douloureusement son corps…
DEN STYGGE STESØSTEREN
2025 – NORVÈGE / POLOGNE / DANEMARK / SUÈDE
Réalisé par Emilie Blichfeldt
Avec Lea Myren, Ane Dahl Torp, Thea Sofie Loch Næss, Flo Fagerli, Isac Calmroth, Malte Gårdinger, Ralph Carlsson, Isac Aspberg, Albin Weidenbladh, Oksana Czerkasyna
THEMA CONTES
Emilie Blichfeldt commence à développer The Ugly Stepsister alors qu’elle travaille sur son projet de fin d’études à l’École de cinéma de Norvège. À l’origine, son scénario met en scène une femme dotée d’une vulve parlante qui lui confie sa solitude ! Une version féminine de Lui et moi, en quelque sorte. Mais finalement, Blichfeldt s’appuie sur Aschenputtel, la version sombre du conte de Cendrillon écrite par les frères Grimm, et en imagine une relecture dérangeante. Peu familière du principe du « body horror », elle découvre en 2015 Crash de David Cronenberg, une véritable révélation qui va guider ses partis pris esthétiques, puis complète sa culture du genre avec les œuvres de Dario Argento et de Lucio Fulci. Grave de Julia Ducournau et la filmographie érotique du cinéaste polonais Walerian Borowczyk viennent s’ajouter à ce tissu d’influences. Le scénario de The Ugly Stepsister puise également dans l’expérience personnelle de la réalisatrice, marquée par ses propres troubles liés à l’image de soi. La cinéaste sait bien que le personnage de Cendrillon incarne l’idéal féminin vu sous un angle patriarcal. Douce, modeste, effacée, belle, elle subit sans se rebeller, attendant qu’un homme puissant vienne la « sauver » en l’épousant. Avec The Ugly Stepsister, Emilie Blichfeldt décide de se confronter frontalement à ces symboliques pour réaliser une sorte d’anti-conte d’une férocité acerbe.


Elvira (Lea Myren) et Alma (Flo Fagerli) sont des sœurs dont la mère veuve, Rebekka (Ane Dahl Torp), a épousé Otto (Ralph Carlsson), un homme plus âgé, dans l’espoir d’obtenir richesse et privilèges. Par le biais de ce mariage, Rebekka devient la belle-mère de la jeune Agnès (Thea Sofie Loch Næss). Mais Otto meurt avant même de consommer sa nuit de noces. La famille recomposée apprend alors qu’il était sans le sou, qu’il avait épousé Rebekka pour sa richesse et qu’Agnès méprisait ces « pièces rapportées » à cause de leur statut inférieur. Inquiète pour les finances du ménage, Rebekka décide de marier coûte que coûte Elvira au prince Julian (Isac Calmorth), quitte à repousser le financement des obsèques d’Otto. Mais Rebekka est consciente que sa fille est laide et n’a que peu de chances de séduire Julian, surtout si la belle Agnès doit rivaliser pour attirer son attention. Pour rendre Elvira plus désirable, Rebekka la soumet alors à une série de chirurgies plastiques douloureuses et primitives pratiquées par le très réputé « docteur Esthétique » (Adam Lundgren), tandis que la jeune femme décide d’avaler un ver solitaire pour perdre du poids…
L’inversion des rôles
C’est un raccord dans l’axe – presqu’un « jump cut » – qui marque visuellement le point de non-retour du destin d’Elvira et le basculement du scénario. Après plusieurs hésitations, la « belle sœur laide » accepte de soumettre son corps à une « cure d’amaigrissement » qu’on devine dangereuse, pour ne pas dire malsaine. Le cadrage se resserre d’un coup. L’engrenage est enclenché. Sans fard ni entrave, Emilie Blichfeldt se préoccupe bien peu de la bienséance, quitte à montrer des fesses, des pénis et des coulées de sperme en gros plan pour décrire une sexualité brute. L’influence de Cronenberg se ressent à travers les maquillages spéciaux remarquables de Thomas Foldberg (Le Dernier voyage du Demeter, Alien Romulus) qui mettent à mal les corps avec un réalisme douloureux. Les scènes chirurgicales sont orchestrées par un médecin qui rappelle les frères Mantle de Faux semblant, les mutilations font écho à celles de Crash, tandis que le ténia qui se love dans l’anatomie d’Elvira nous évoque les monstres parasites de Frissons. Sans oublier la vision récurrente du cadavre du père, dans un état de décomposition de plus en plus avancée. L’inversion à mi-parcours des rôles de la protagoniste et de l’antagoniste n’est pas la moindre des singularités du film. La belle Agnes/Cendrillon devient souillon, la laide Elvira devient désirable, et les codes s’inversent en même temps que l’empathie du spectateur. Assumant les éléments les plus magiques du conte (la citrouille, les souris, l’intervention féerique) pour mieux les dynamiter, Emilie Blichfeldt invite donc les spectateurs à interroger leurs rapports à la beauté et aux normes à travers ce film choc volontairement provocateur, dont les thématiques ne sont pas sans rappeler celles de The Substance.
© Gilles Penso
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