MULAN (1998)

Vers la fin des années 90, le studio Disney retrouve un nouveau souffle en se réappropriant avec flamboyance une vieille légende chinoise…

MULAN

 

1998 – USA

 

Réalisé par Tont Bancroft et Barry Cook

 

Avec les voix de Ming-Na Wen, Lea Salonga, Eddie Murphy, Mike Myers, B.D. Wong, Donny Osmond, Miguel Ferrer, James Hong, Jerry Tondo, Gedde Watanabe

 

THEMA SORCELERIE ET MAGIE I CONTES I DRAGONS

En 1998, Disney tourne une page de son histoire en se plongeant dans un univers encore inexploré : la Chine impériale. Après les résultats en demi-teinte du Bossu de Notre-Dame, le studio cherche à reconquérir le cœur du public par l’exotisme et la nouveauté. Mulan s’impose alors comme un pari audacieux, celui d’un conte à la fois guerrier et féministe, porté par une héroïne asiatique dont la quête dépasse le simple cadre du mythe. Car au début des années 1990, la concurrence devient sérieuse. DreamWorks s’apprête à frapper fort avec Le Prince d’Égypte, tandis que le cinéma d’animation japonais, mené par Hayao Miyazaki, impose une nouvelle exigence artistique avec Princesse Mononoké. Sans parler de l’émulation provoquée en interne par le studio Pixar, dont Toy Story et 1001 Pattes ont défrayé la chronique. Pour rester dans la course, Disney doit se réinventer, explorer d’autres territoires, d’autres cultures. C’est à ce moment qu’apparaît le nom de Hua Mulan, héroïne d’un ancien poème chinois. Le projet initial, intitulé China Doll, mettait en scène une jeune Chinoise sauvée par un prince occidental. Robert D. San Souci, auteur de contes pour enfants, est alors sollicité pour réorienter le récit. C’est lui qui propose de revenir à la légende originale, celle d’une fille se déguisant en homme pour prendre la place de son père à l’armée. Une histoire d’honneur et de courage qui offre un terrain idéal pour une relecture moderne.

L’équipe de Disney opte pour une esthétique épurée, inspirée des lithographies chinoises, où les lignes se simplifient et où les couleurs pastel remplacent les teintes saturées des précédentes productions. Certaines scènes de bataille s’inspirent du cinéma épique de David Lean, notamment dans l’usage de la profondeur de champ et du gigantisme. Grâce aux progrès de l’imagerie numérique, les animateurs peuvent désormais générer des armées entières de Huns, offrant au film des séquences d’une ampleur inédite, notamment celle de l’avalanche. Si Mulan aborde des thèmes sérieux – la guerre, la loyauté, le poids des traditions -, Disney n’en oublie pas sa mission première : divertir. Le studio cherche un ton plus léger que celui de Pocahontas, sans retomber dans la comédie pure d’Hercule. Ce fragile équilibre s’incarne dans la figure de Mushu, petit dragon bavard et maladroit, doublé avec un enthousiasme contagieux par Eddie Murphy (et par un José Garcia survolté dans la version française). Véritable ressort comique du film, Mushu contrebalance la rigueur de l’univers martial et donne à Mulan un compagnon de route aussi imparfait qu’attachant. Mais c’est bien l’héroïne qui donne sa force au récit. Contrairement à la majorité des princesses Disney, Mulan n’attend pas d’être sauvée : elle agit, doute, échoue parfois, mais se relève toujours. Son déguisement masculin n’est pas une trahison de soi mais une affirmation d’identité. Sa volonté de prouver sa valeur dans un monde où les femmes sont invisibles pousse d’ailleurs le film à se réapproprier l’une des séquences du Yentl de Barbara Streisand.

Une nouvelle voix

Mulan est aussi un film de passage pour Disney. D’un côté, il perpétue la tradition musicale du studio. La chanson « Réflexion », interprétée par Lea Salonga (et relancée par Christina Aguilera dans la version pop), s’inscrit ainsi dans la lignée des grands refrains introspectifs chers au studio. De l’autre, c’est la dernière comédie musicale animée de la maison de Mickey jusqu’à La Princesse et la Grenouille en 2009. Le studio semble manifestement à chercher une nouvelle voix, en confiant notamment à l’immense compositeur Jerry Goldsmith – peu coutumier de ce type de film – les rênes de la bande originale. Au-delà de sa réussite technique, Mulan séduit par sa portée symbolique. En choisissant une héroïne qui s’impose dans un milieu masculin, Disney anticipe l’évolution de son propre univers narratif. Ce changement résonne aussi avec l’ouverture culturelle du studio, qui cherche à représenter la diversité sans tomber dans le cliché. Certes, la vision de la Chine reste occidentalisée, filtrée par le prisme d’un studio américain. Mais l’effort d’adaptation et la recherche d’équilibre entre le respect et l’universalité font mouche. À la fois conte, film de guerre et comédie initiatique, le film parvient à parler à tous les publics : les enfants séduits par les facéties de Mushu, les adolescents inspirés par l’héroïne, les adultes sensibles à la beauté visuelle et au message d’émancipation. Mulan connaîtra une suite conçue pour le marché vidéo en 2004, puis un remake en prises de vues réelles en 2020, mais aucun n’arrivera à la cheville de cette œuvre matricielle qui résiste sacrément bien à l’épreuve du temps.

 

© Gilles Penso

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