

David Lynch décide de retrouver l’univers qu’il avait créé avec Mark Frost et signe l’une des séries TV les plus étranges de tous les temps…
TWIN PEAKS : THE RETURN
2017 – USA
Créée par David Lynch et Mark Frost
Avec Kyle MacLachlan, Sheryl Lee, Michael Horse, Miguel Ferrer, Chrysta Bell, David Lynch, Robert Forster, Kimmy Robertson, Naomi Watts, Laura Dern
THEMA TUEURS I DIABLE ET DÉMONS I DOUBLES I SAGA TWIN PEAKS
Lorsque la série Twin Peaks : The Return est officiellement annoncée, David Lynch a déserté le monde du cinéma depuis plus de dix ans, et le culte qui entourait le monde de la mythique série qu’il créa avec Mark Frost s’est amoindri, peu aidé il est vrai par un long-métrage n’ayant guère fait l’unanimité. Ressusciter ce show 26 ans après la fin de sa seconde saison ressemblait donc à priori à une manœuvre désespérée pour reconquérir le public. Mais ce serait mal connaître Lynch. L’homme a toujours fonctionné à l’instinct. S’il ressent, en 2017, le besoin de replonger dans l’univers de Twin Peaks, c’est qu’il a de nouvelles choses à explorer et à partager. Qu’il ait effectué ce plongeon inattendu, que Mark Frost l’ait suivi dans cette aventure et que la chaîne Showtime ait accepté de diffuser le show est une triple bénédiction. En nous offrant Twin Peaks : The Return, David Lynch signe son ultime chef d’œuvre, une série hallucinante qui se vit presque comme un long-métrage de 18 heures ! Lynch réalise d’ailleurs lui-même l’intégralité du programme en continu, comme s’il s’agissait d’un seul grand bloc, à partir d’un unique scénario, le nombre exact d’épisodes n’étant défini qu’après coup, dans la salle de montage. Cette méthode de travail atypique donne naissance à l’une des séries les plus incroyables et les plus indescriptibles de l’histoire de la télévision.


Twin Peaks : The Return n’est donc pas une troisième saison mais un show à part entière, qui déjoue absolument toutes les attentes des téléspectateurs. Le point de départ se raccorde pourtant à la fin du dernier épisode de Twin Peaks. Dale Cooper est resté coincé dans la Loge Noire, tandis que son double maléfique est lâché dans la nature. Mais une autre version de lui-même réapparaît : le candide Douglas Jones, agent d’assurance devenu amnésique. Kyle MacLachlan se livre ainsi à une performance surprenante qui le pousse à incarner plusieurs facettes du même personnage, notamment un versant très sombre (via une réinterprétation très inquiétante du diabolique Bob) et une variante candide et maladroite qui fait le lent apprentissage du langage, des conventions sociales mais aussi du fonctionnement de son propre corps. Lynch revient jouer son patron Gordon Cole, flanqué de l’agent Albert (Miguel Ferrer). A Twin Peaks, où se déroule une partie seulement des péripéties, des visages familiers réapparaissent, et voir leurs traits vieillis a quelque chose d’étrangement touchant. Beaucoup d’autres « vedettes invitées » viennent se joindre à ces retrouvailles, dont certaines sont déjà familières de l’univers de Lynch : Naomi Watts (qui joue l’épouse de Dale/Dougie), Amanda Seyfried, Tom Sizemore, James Belushi, Harry Dean Stanton (reprenant le rôle qu’il tenait dans Twin Peaks le film), Laura Dern (donnant enfin un visage à la fameuse Diane, tellement invisible jusqu’à présent que nous finissions par douter de son existence), ou encore Tim Roth et Jennifer Jason Leigh (clignant visiblement de l’œil vers le couple qu’ils formaient dans Pulp Fiction).
Evil Dale
Au détour de certaines séquences, Twin Peaks : The Return tisse donc des liens non seulement avec la première série mais aussi avec le long-métrage de 1992. Cet univers composite trouve ainsi une sorte de cohérence globale – quoique chez Lynch, le mot « cohérence » soit bien sûr à prendre avec des pincettes. Plus inspiré que jamais, le réalisateur joue sur le rythme de ses séquences, prenant ses spectateurs à revers : les personnages ne parlent pas ou attendent, et le temps s’étire plus que de raison, provoquant un sentiment presque hypnotique. Cette gestion de l’attente et des silences rappelle le mutisme et l’élégance d’Une histoire vraie. Mais cette série est aussi plus violente que l’originale, ne reculant pas devant quelques écarts gore assurés par l’atelier d’effets spéciaux KNB, sans pour autant renoncer à l’humour qui faisait cruellement défaut à Twin Peaks le film. Les personnages aux comportements bizarres et les situations grotesques abondent, tutoyant parfois le cinéma des frères Coen. Si les effets visuels ne sont pas toujours pleinement convaincants, il est évident que Lynch trouve avec le numérique un nouvel espace de créativité quasi-illimité. L’esthétique de la série reste très réussie – nous sommes loin de la granularité disgracieuse de Inland Empire – et les séquences surréalistes qui s’égrènent au fil des épisodes, notamment dans l’espace mental que représente la Red Room, sont hallucinantes d’inventivité et de folie. L’imagerie digitale permet à Lynch de tout s’autoriser, y compris de saisir l’horrible photogénie d’une explosion nucléaire en plein Nouveau-Mexique. Soudain, la série bascule alors dans l’abstraction pure, via une horreur conceptuelle qui nous ramène aux expérimentations d’Eraserhead. Twin Peaks : The Return revient donc aux sources et boucle la boucle d’une carrière semblable à nulle autre.
© Gilles Penso
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