

Cette comédie délirante, l’une des plus folles de l’histoire du cinéma, a influencé des générations entières de cinéastes et d’humoristes…
HELLZAPOPPIN
1941 – USA
Réalisé par H.C. Potter
Avec Ole Olsen, Chic Johnson, Martha Raye, Hugh Herbert, Jane Frazee, Robert Paige, Mischa Auer, Richard Lane, Lewis Howard, Clarence Kolb, Nella Walker
THEMA DIABLE ET DÉMONS
À la fin des années 30, Hellzapoppin’ est un phénomène scénique hors normes. Créée à Broadway en 1938 par le duo comique Olsen et Johnson, la revue est un chaos jubilatoire, truffé de sketches absurdes, de gags visuels et d’interactions déjantées avec le public. Son succès est tel que Hollywood ne tarde pas à flairer l’opportunité : en 1941, Universal Pictures décide d’en produire une adaptation cinématographique. Le défi est immense. Comment capturer sur pellicule une œuvre aussi incontrôlable, construite sur l’improvisation et la rupture des conventions ? Pour relever ce pari fou, le studio confie la réalisation à H.C. Potter, connu pour ses comédies classiques. Mais rapidement, Potter comprend qu’il ne s’agit pas de faire une simple captation : Hellzapoppin’ doit éclater les règles du langage cinématographique comme il a dynamité celles du théâtre. Le scénario, coécrit avec Nat Perrin et Warren Wilson, s’autorise toutes les folies. Chaque scène devient un prétexte pour déconstruire le cinéma lui-même. Potter, loin de freiner cette anarchie créative, l’encourage, usant de montages frénétiques et d’effets spéciaux ingénieux pour traduire l’esprit surréaliste du spectacle original. Or le studio impose des éléments plus conventionnels : une romance chantée, quelques numéros musicaux et une intrigue tournant autour d’un spectacle en préparation. Potter et les scénaristes tournent ce compromis à leur avantage en muant ces « passages obligatoires » en vecteurs supplémentaires de parodies.


Hellzapoppin’ est un film qui défie toute forme de narration classique. Louie (Shemp Howard), projectionniste du Universal Theatre, lance la projection d’un grand spectacle musical avec des danseuses dévalant un escalier. Mais la scène tourne rapidement au chaos lorsque l’escalier s’effondre, se transformant en toboggan et envoyant les danseuses tout droit en enfer, où elles sont torturées par des démons. C’est dans ce tourbillon de folie que Ole Olsen et Chic Johnson (interprétant leurs propres rôles) font leur entrée, débarquant en taxi et se mêlant au chaos ambiant. Après quelques gags burlesques, nous découvrons qu’ils se trouvent en réalité sur un plateau de tournage de cinéma. Très vite, le réalisateur du film (Richard Lane) leur explique que leur humour débridé ne correspond pas aux attentes d’Hollywood, tandis que le scénariste timide Harry Selby (Elisha Cook, Jr.) propose d’adapter la pièce théâtrale en une romance traditionnelle. Ole et Chic, mécontents de voir leur revue transformée en un film classique hollywoodien, commencent à perturber le déroulement de l’intrigue et à saboter la romance centrale par tous les moyens possibles…
La fusion de Tex Avery, les ZAZ, Mel Brooks, les Monty Pythons et les Nuls
Hellzapoppin’ est un cas unique dans l’univers du cinéma comique, un phénomène isolé dont l’écho ne se fera entendre que quarante ans plus tard, grâce au trio Zucker-Abrahams-Zucker. Ces derniers avoueront sans détour l’influence évidente du film en reprenant littéralement un gag dans Y’a-t-il un pilote dans l’avion ? (« Prenons des photos ! »). Hellzapoppin’ convoque le nonsense des burlesques muets et l’énergie frénétique des dessins animés de Tex Avery, notamment lorsqu’un panneau demande à un spectateur de quitter la salle. Ce dernier, sous la forme d’une ombre chinoise projetée à l’écran, se lève et quitte effectivement les lieux ! Une scène tout aussi délirante intervient lorsque la projection du film se dérègle et que l’image, inversée, nous dévoile le bas de l’écran en haut. Dans une ambiance qui fait écho aux grands musicals hollywoodiens (chorégraphies, chansons et acrobaties dans une piscine), le film semble n’exister que pour accumuler une avalanche de gags, reléguant l’intrigue à un rôle accessoire. Certains de ces gags sont devenus des classiques, comme cette scène où les personnages discutent tranquillement alors que des flèches se plantent derrière eux, ou encore ces changements de tenues au gré des décors, parfois accompagnés de trucages inventifs signés John P. Fulton (L’Homme invisible). La revue musicale, elle aussi remplie d’incidents absurdes, préfigure les maladresses hilarantes de Peter Sellers dans les films de Blake Edwards. Sans oublier le plongeon dans les Enfers ou l’apparition fugitive du monstre de Frankenstein. Hellzapoppin’ reste une œuvre presque expérimentale, sacrifiant son scénario sur l’autel d’un comique surréaliste. Son influence sur le cinéma comique est immense : ni Mel Brooks, ni les Monty Pythons, ni le trio ZAZ, ni les Nuls n’auraient été ce qu’ils sont sans ce film.
© Gilles Penso
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