

Vincent Price tient ici l’un de ses plus grands rôles, celui d’un chasseur de sorcières impitoyable qui sévit dans l’Angleterre du 17ème siècle…
WITCHFINDER GENERAL / THE CONQUEROR WORM
1968 – GB
Réalisé par Michael Reeves
Avec Vincent Price, Ian Ogilvy, Rupert Davies, Hilary Dwyer, Robert Russell, Nicky Henson, Tony Selby, Michael Beint, Bernard Kay, Beaufoy Milton
THEMA TUEURS
Très active à partir du milieu des années 60, la petite maison de production anglaise Tigon a souvent capitalisé sur des sujets d’horreur et de science-fiction. À la fin de la décennie, les mœurs se libèrent, la censure se relâche et de nouvelles histoires axées sur le sexe et la violence deviennent possible. Ainsi naît l’idée de produire un long-métrage consacré à la chasse aux sorcières et à l’inquisition. Michael Reeves, qui a réalisé La Sœur de Satan et La Créature invisible, se voit offrir le job. Malgré son jeune âge (24 ans) et le petit budget mis à sa disposition (moins de 100 000 livres), Reeves a de grandes ambitions et n’entend pas traiter le sujet à la légère. Le scénario adapte un roman de Ronald Basset, lui-même inspiré des exactions d’un inquisiteur bien réel qui se serait rendu responsable de la mort de plus de 300 personnes. Pour le rôle-titre, Reeves rêve de Donald Pleasence, mais le distributeur américain AIP, qui cofinance le film, lui impose Vincent Price, encore auréolé du succès du cycle d’adaptations d’Edgar Poe réalisé par Roger Corman. Ce choix va entraîner de nombreuses disputes sur le plateau. Reeves n’aime pas le jeu de Price, qu’il juge trop excessif, et l’acteur apprécie fort peu le manque de considération de ce jeune réalisateur qu’il trouve insolent. Malgré – où à cause de – ces tensions croissantes, cette collaboration à contrecœur accouchera d’un petit chef d’œuvre.


Le prologue du Grand inquisiteur est glaçant. Une femme est trainée par un groupe de villageois, tandis qu’un prêtre marmonne ses versets d’une voix monotone. La malheureuse est conduite jusqu’à une potence où elle est pendue. La scène est froide, réaliste, presque documentaire, accroissant le malaise provoqué par cette figure pourtant connue du cinéma d’épouvante. Nous sommes en 1645, dans une Angleterre déchirée par la guerre civile. Dans le petit village de Brandeston, le soldat Richard Marshall (Ian Ogilvy) profite d’une permission pour aller rendre visite à Sara (Hilary Dwyer), qu’il s’apprête à épouser avec la bénédiction de l’oncle de cette dernière, le prêtre John Lowes (Rupert Davies). Mais John a été accusé abusivement de sorcellerie par les villageois. L’inquisiteur impitoyable Matthew Hopkins (Vincent Price) débarque alors, flanqué de son cruel assistant John Streane (Robert Russell), et décide de vérifier s’il est effectivement un adorateur de Satan, quitte à employer la torture. L’engrenage de la violence et de l’horreur s’enclenche alors…
Les fanatiques
Remarquablement mis en scène par un jeune cinéaste au sommet de son art, Le Grand inquisiteur se hisse sans mal au niveau des deux mètres-étalons du genre que sont Les Diables et La Marque du diable. Vincent Price y est parfait, dans un registre moins grandiloquent que d’habitude, plus sobre, plus sérieux et beaucoup plus inquiétant. L’acteur reconnaîtra d’ailleurs après coup les qualités de directeur d’acteur de Reeves et oubliera ses rancunes. Le visage sévère, plein de duplicité et de perversions enfouies, il fait froid dans le dos à chacune de ses apparitions, se cachant derrière la loi pour justifier ses actes. Lorsque Sara accepte de le laisser abuser d’elle pour sauver son oncle, un malaise profond nous saisit. Son bras droit ne vaut pas mieux, incarné à merveille par un Robert Russell impressionnant sous la défroque de cet homme dépravé qui torture pour le plaisir et plonge dans le stupre avec délectation. Le fanatisme religieux est ici montré sous ses atours les plus hideux : la cruauté, l’hypocrisie, la manipulation, la frustration et la perfidie y jouent le coude à coude en un véritable catalogue de travers et de perversions. Une fois n’est pas coutume dans cette histoire de sorcellerie, l’horreur n’est donc pas surnaturelle mais désespérément humaine. Porté par une somptueuse musique orchestrale de Paul Ferris, Le Grand inquisiteur s’achève sur un final nihiliste qui fait froid dans le dos. Reeves ne pourra hélas pas transformer l’essai. Victime d’un mauvais dosage d’alcool et de somnifères, il s’éteindra quelques mois à peine après la sortie du film.
© Gilles Penso
À découvrir dans le même genre…
Partagez cet article