

Wim Wenders donne une suite à son succès planétaire Les Ailes du désir et continue à mêler le destin des humains avec celui des anges…
IN WEITER FERNE, SO NAH !
1993 – ALLEMAGNE
Réalisé par Wim Wenders
Avec Otto Sander, Peter Falk, Horst Buchholz, Mikhail Gorbachev, Nastassja Kinski, Heinz Rühmann, Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Rüdiger Vogler, Lou Reed
Après le succès critique des Ailes du désir, l’idée d’une suite se met naturellement à germer chez Wim Wenders, d’autant que le contexte historique offre un prétexte idéal. La chute du Mur de Berlin en 1989 bouleverse en effet la géographie de la ville. Le monde que contemplaient Daniel et Cassiel dans le premier film n’est plus le même. Fasciné par ce tournant, le cinéaste décide donc de retrouver ses anges pour explorer un Berlin réunifié, où l’espoir côtoie les désillusions. En écrivant Si loin, si proche ! avec Richard Reitinger et Ulrich Zieger, il prend soin de faire évoluer le point de vue. Cette fois, c’est Cassiel (Otto Sander) qui deviendra humain. Pour donner vie à son projet, Wenders fait à nouveau appel à son fidèle directeur photo Henri Alekan (malgré son âge avancé) pour retrouver l’atmosphère si particulière du premier film, ce subtil jeu de lumière et de textures entre noir et blanc et couleur. La bande originale est confiée à de nombreux artistes, dont Lou Reed, Nick Cave ou U2, reflétant l’ouverture internationale de Berlin après la chute du mur. Le casting rassemble plusieurs visages familiers : Otto Sander reprend son rôle de Cassiel, Bruno Ganz fait un retour discret sous les traits de Daniel, Solveig Dommartin joue à nouveau Marion, tandis que Peter Falk, devenu l’incontournable ange déchu, vient à nouveau illuminer l’ensemble. À leurs côtés, Willem Dafoe rejoint l’aventure dans un rôle énigmatique, celui d’une personnification du temps. Henri Alekan lui-même apparaît brièvement en capitaine, sur un navire baptisé « Alekhan ».


Le Mur de Berlin est donc tombé. Les anges, témoins de cette révolution, continuent d’errer parmi les hommes, invisibles et silencieux. Cassiel, toujours fidèle observateur, lit par-dessus l’épaule de Michail Gorbatchev, captant les pensées du dirigeant. Mais il sent croître en lui le désir d’expérimenter la vie humaine. Raphaela (Nastassja Kinski), son ange compagnon, perçoit que leur lien s’effrite. Lorsqu’une petite fille chute du balcon de son immeuble, Cassiel se précipite pour la sauver. Dans cet acte d’amour, il franchit la frontière : il devient humain sans l’avoir désiré. Désorienté, sans argent ni papiers, il passe sa première nuit terrestre en prison. Sous le nom de Karl Engel, il tente de s’adapter à cette vie nouvelle, découvrant la faim, la peur, la douleur… et les complications du monde moderne. Il retrouve son ancien compagnon Damiel, désormais heureux propriétaire d’une pizzeria, marié à Marion et père d’une petite fille, Doria. Mais la transformation de Cassiel, poussée par un excès de zèle incontrôlable, n’est pas sans danger…
Le zèle du désir
Quand on dispose d’un sujet aussi passionnant que celui des Ailes du désir et qu’on a déjà tout dit en un film, est-il nécessaire de lui donner une suite ? La réponse semble s’imposer d’elle-même, et la vision de Si loin, si proche ! ne fait que la confirmer. Car cette séquelle s’étire inutilement dans une rallonge bavarde et confuse. La fraîcheur et la force émotionnelle que Wenders avait réussi à capter, malgré les défauts du premier film, disparaissent ici presque totalement. Certes, la maîtrise technique est toujours au rendez-vous : les transitions entre le noir et blanc des anges et la couleur des mortels restent d’une grande élégance, et quelques scènes brillent par leur inventivité visuelle. Mais Wenders retombe dans ses travers, privilégiant à nouveau massivement le verbe. Dialogues, monologues, voix off, discours en plusieurs langues viennent alourdir un récit qui devient vite indigeste. En filigrane se dessine une intrigue très confuse liée à des enfants sauvés pendant la seconde guerre mondiale et à un trafic d’armes. Certaines bonnes idées surnagent pourtant, comme Peter Falk simulant la préparation d’un nouvel épisode de Columbo, ou les acrobates qui transportent les caisses d’armes dans des exercices de haute voltige au milieu d’un tunnel d’égout – une scène qui semble presque échappée de Batman le défi. Le casting reste irréprochable, même si le rôle joué par Willem Dafoe aurait mérité d’être mieux défini. Si loin, si proche ! est donc une œuvre symptomatique d’une certaine tendance du cinéma de Wenders : sous des dehors très denses, il accumule les discours au détriment de l’épure émotionnelle, perdant au passage l’essentiel de son impact. Trop long (2h30), trop verbeux, parfois confus, le film laisse le goût amer d’une belle idée étouffée sous le poids de ses propres prétentions.
© Gilles Penso
À découvrir dans le même genre…
Partagez cet article