

Neil Jordan détourne l’imagerie du Petit chaperon rouge pour conter l’éveil à la sexualité d’une adolescente confrontée à des hommes-loups…
THE COMPANY OF WOLVES
1984 – GB/USA
Réalisé par Neil Jordan
Avec Angela Lansbury, David Warner, Graham Crowden, Brian Glover, Sarah Patterson, Kathryn Pogson, Stephen Rea
THEMA LOUPS-GAROUS
Sacré « meilleur jeune réalisateur de l’année » en 1982 grâce à son premier long-métrage Angela, le metteur en scène irlandais Neil Jordan s’attaque avec La Compagnie des loups à l’adaptation libre d’une nouvelle d’Angela Carter publiée dans le recueil The Bloody Chamber en 1979. Les intentions du film, écrit à quatre mains par Jordan et Carter, sont clairement établies : une approche psychanalytique des contes de fées en général et du Petit chaperon rouge en particulier, dans la droite lignée des travaux de Bruno Bettelheim, avec comme influence majeure La Belle et la Bête de Jean Cocteau, le tout saupoudré de séquences horrifiques prolongeant celles d’Hurlements et du Loup-Garou de Londres. Sur le papier, c’est donc très excitant. A l’écran, ça l’est un peu moins, tant la structure narrative du film s’avère déstabilisante et insaisissable. D’où le sentiment mitigé qui nous saisit face à ce conte lupin chargé de symboles. La Compagnie des loups s’amorce dans une chambre peuplée d’animaux en peluche, où la jeune Rosaleen (Sarah Patterson), adolescente mélancolique en proie à des tourments intérieurs, s’endort d’un sommeil agité. Et la fantaisie de s’inviter aussitôt dans le monde réel.


Le rêve de Rosaleen la transporte dans un village médiéval niché au cœur d’une forêt de conte, où vit une autre version d’elle-même. Là, les bois sombres et sinistres se referment autour de sa sœur Alice (Georgia Slowe). Cette dernière voit briller dans les bois d’inquiétantes lueurs avant que ne surgisse une meute de loups affamés qui la dévorent. Notre jeune héroïne assiste alors à son enterrement puis écoute sa grand-mère (Angela Lansbury, alors star de la série Arabesque) lui conter des histoires étranges de métamorphoses. « Méfie-toi des hommes dont les sourcils se rejoignent », lui dit-elle. Rosaleen rencontre elle-même un homme-loup avant de devenir à son tour une lycanthrope. Notre jeune héroïne finira par s’éveiller brusquement de sa chambre, à l’issue d’une odyssée onirique peuplée de fantasmes et de symboles freudiens. Mais ce retour à la norme dépasse celui – devenu archétypal – d’Alice au Pays des Merveilles, dans la mesure où ici le rêve déborde physiquement sur la réalité…
Alice au pays des lycanthropes
Ne sachant pas trop comment appréhender cette collection de vignettes surréalistes s’enchaînant sur un rythme languissant, le spectateur se réfugie dans les beaux décors de cette forêt de studio, signés Anton Furst (déjà à l’œuvre sur Moonraker et Alien), et dans les séquences étonnantes mettant en scène les effets spéciaux de Christopher Tucker (créateur de l’inoubliable Elephant Man). Pour éviter de rivaliser avec les métamorphoses révolutionnaires conçues par Rick Baker et Rob Bottin, Tucker opte pour la singularité et le jamais vu. Des langues immenses se secouent hors de bouches grandes ouvertes, des dos remuent comme des vagues, des peaux humaines se déchirent pour laisser apparaître les tissus musculaires avant que ne surgissent des traits bestiaux, des gueules de loups jaillissent hors des bouches humaines… Ces visions inédites rivalisent d’innovations, même si les mouvements s’avèrent souvent trop mécaniques, les gueules de loup trop rigides et les plans trop longs, trahissant à la longue la nature des effets utilisés. Mais cette artificialité joue presque en faveur de ces monstruosités dont elle a tendance à renforcer le caractère onirique. Filtré par le prisme d’une sexualité naissante, d’une féminité en construction et des peurs liées à l’âge adulte, ce conte horrifique reste une variante fascinante – même si elle n’est pas pleinement convaincante – autour du thème du lycanthrope. La Compagnie des loups remportera en 1985 le Prix Spécial du Jury du Festival d’Avoriaz.
© Gilles Penso
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