L’HOMME SANS OMBRE (2000)

Paul Verhoeven se réapproprie le thème de l’homme invisible et transforme Kevin Bacon en psychopathe transparent

HOLLOW MAN

 

2000 – USA

 

Réalisé par Paul Verhoeven

 

Avec Kevin Bacon, Elizabeth Shue, Josh Brolin, Kim Dickens, Greg Grunberg, Joey Slotnick, Mary Randle, William Devane

 

THEMA HOMMES INVISIBLES

Le projet d’une version violente et sulfureuse des aventures de l’homme invisible sous la direction de Paul Verhoeven était extrêmement alléchant. Jusqu’alors, la science-fiction avait été un terrain d’expression idéal pour le cinéaste, s’appuyant esthétiquement sur les codes du genre pour mieux les torpiller de l’intérieur et en livrer une vision toute personnelle. Personne d’autre que lui n’aurait réalisé Robocop, Total Recall ou Starship Troopers de la même manière. Mais L’Homme sans ombre n’est clairement pas de la même étoffe. En guise de subversion, le scénario faussement provocateur d’Andrew Marlowe (Air Force One, La Fin des temps) n’ose jamais aller plus loin que celui du chef d’œuvre de 1933, face auquel il fait bien pâle figure. Car chez James Whale, Jack Griffin était déjà un assassin psychopathe gagné peu à peu par la folie et rêvant de profiter de ses pouvoirs pour commettre les pires crimes, y compris le viol. 70 ans plus tard, l’auteur des vénéneux La Chair et le sang et Basic Instinct ne parvient guère à transcender les ambitions de son illustre modèle. Certes, le sang y coule avec plus de panache et l’érotisme y est nettement plus suggestif, mais dans les normes raisonnables de l’inflation du sexe et de la violence à l’écran en sept décennies de films de genre. Même la scène du viol de la belle voisine par le lubrique savant transparent est pudiquement éludée. C’était pourtant l’un des points forts de la promotion de cet Homme sans ombre vendu comme une version radicale et définitive du mythe popularisé par H.G. Wells. Elles sont bien loin, les éprouvantes agressions de Barbara Hershey par l’entité translucide de L’Emprise

Visiblement parvenu au bout d’un cycle de films hollywoodiens, le réalisateur semble moins concerné que d’habitude et surtout moins spontané. En désespoir de cause, il se rabat sur les effets spéciaux qui, pour le coup, osent toutes les audaces et les surprises. Dès la scène d’introduction, le ton est donné avec ce malheureux rongeur mis en pièce par une bête invisible dont on devine peu à peu les traits simiesques grâce au sang qui recouvre progressivement ses crocs et ses griffes. La suite est à l’avenant, notamment la métamorphose douloureuse du docteur Sebastian Caine (Kevin Bacon), cobaye humain volontaire dont la peau disparaît peu à peu pour révéler les muscles, puis les organes, et enfin le squelette… Ces effets impressionnants, conçus par le Tippett Studio, poursuivent à grande échelle les expérimentations visuelles de John P. Fulton sur Le Retour de l’homme invisible. « J’ai eu beaucoup de plaisir à collaborer une fois de plus avec Phil Tippett, après Robocop et Starship Troopers », raconte Verhoeven. « Mais sur L’Homme sans ombre, les effets visuels étaient moins révolutionnaires. Ils s’appuyaient sur des procédés plus classiques. » (1) Le scénario lui-même ne se permet aucune digression véritable sur les implications éthiques et psychologiques d’une telle expérience humaine. 

La peur de l'invisible

Quant au final, il sacrifie aux normes ultra balisées du slasher traditionnel, l’homme sans ombre se comportant comme n’importe quel tueur psychopathe aux pouvoirs soudain démesurés, voire comme un extra-terrestre échappé d’Alien ou un des raptors de Jurassic Park ! Certes, on attendait bien un film de monstre, mais sous un éclairage tout de même plus subtil. C’est d’autant plus dommage que le potentiel horrifique d’un tel sujet était bel et bien là, comme en témoigne cette déclaration d’E.T.A. Hoffmann datant de 1820 : « Alors que je me sens capable de bien supporter la soudaine frayeur que m’inspirerait quelque terrifiante apparition, les manifestations inquiétantes d’un être qui demeurerait invisible me rendraient immanquablement fou. » Même le compositeur Jerry Goldsmith, dont le talent n’a jamais été à prouver, se met au diapason de l’œuvre et signe une partition tonitruante dénuée de la moindre finesse. Le réalisateur de Robocop est donc clairement passé à côté de son sujet, car au lieu de raconter l’histoire d’un homme névrosé transformé en monstre indestructible grâce à son invisibilité, il eut été mille fois plus audacieux de démontrer que n’importe qui, si équilibré fut-il, est promis à la tentation criminelle et à la déviance dominatrice s’il parvient à se soustraire au regard d’autrui. Une séquelle destinée au marché vidéo sera réalisée six ans plus tard par Claudio Fah, avec Christian Slater dans le rôle-titre. Quant à Verhoeven, il regagnera sa Hollande natale pour réaliser une œuvre bien plus personnelle, le remarquable Black Book.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 2017

 

© Gilles Penso

 

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