IT FOLLOWS (2014)

Après avoir couché avec son petit ami, la jeune Jay est poursuivie par une entité maléfique pouvant changer d’apparence…

IT FOLLOWS

 

2014 – USA

 

Réalisé par David Robert Mitchell

 

Avec Maika Monroe, Lili Sepe, Jake Weary, Keir Gilchrist, Greg Hannigan, Olivia Luccardi, Daniel Zovatto

 

THEMA MORT

Depuis la sortie de Scream et son approche « méta », les néo-slashers se sont sentis obligés de jouer avec les codes du genre pour lui prouver leur allégeance et flatter un public supposé connaisseur. Il est ainsi de bon ton pour les réalisateurs de citer à tour de bras Halloween, La Dernière maison sur la gauche et ou Les Griffes de la nuit. Malgré ces bonnes intentions, le 21ème siècle n’avait pas encore accouché d’une nouvelle œuvre digne de figurer au rang de classique du slasher jusqu’à la sortie de It Follows en 2014. Rien ne semble pourtant le distinguer des formules dérivatives habituelles, sur le fond comme sur la forme : Eros et Thanatos sont toujours au rendez-vous, mais contrairement aux nombreuses itérations de Halloween ou Vendredi 13, leur fatale alliance ne fait pas ici partie du sous-texte mais constitue la trame principale. Un peu comme si David Robert Mitchell revenait aux fondements de nos peurs existentielles plutôt que d’en reprendre les formes métaphoriques utilisées habituellement dans l’horreur. Bien qu’il ne s’agisse que de son second film, le réalisateur n’est pourtant pas un jeunot, puisqu’il est âgé de 40 ans au moment de la sortie de It Follows. Le recul lié à sa maturité lui permet de dresser une peinture réaliste de l’adolescence, loin des clichés des pom-pom girls et des joueurs de football du teen-cinéma. Il teinte aussi son film d’une mélancolie ne pouvant que provenir des réflexions d’un quadragénaire puisant dans ses propres souvenirs. De ce fait, l’influence du cinéma de John Carpenter (Cinemascope et musique synthétique de rigueur) tient plus de la filiation assumée que de la simple émulation servile d’un fan-boy.

David Robert Mitchell ouvre le film par un effet de mise en scène qui ponctuera le film : un lent panoramique circulaire à 360 degrés dans un lieu anodin, provoquant une insécurité sourde pour le spectateur qui guette la moindre anomalie sous le calme apparent. La première séquence est aussi sobre qu’efficace : respectant le cahier des charges du slasher classique, l’action démarre sans aucune forme d’introduction avec une jeune fille fuyant un poursuivant invisible. Nous la retrouverons morte une minute plus tard, dans une posture défiant les règles élémentaires de l’anatomie. La véritable héroïne, Jay (Maike Monroe), est introduite dans la scène suivante comme la parfaite innocente victime. Classique. Sauf que Jay et ses amis ne sont pas des adolescents « cool ». Mitchell montre l’oisiveté érigée en mode de vie dans ce quartier résidentiel de la banlieue de Détroit ou tout parait immuable, hors du temps. D’ailleurs, nous ne savons pas en quelle année le film se passe, la direction artistique brouillant habilement les pistes en mêlant des éléments des années 70 jusqu’aux années 2000. Jay a un petit ami avec qui elle se rend au cinéma le soir même. Pendant la séance, celui-ci aperçoit une fille que Jay jure ne pas voir et lui demande de quitter la salle. Le lendemain, après avoir couché avec Jay, il lui avoue lui avoir transmis une malédiction : Elle sera désormais poursuivie par une « chose » pouvant prendre l’apparence de n’importe qui pour la tuer. Le seul moyen de s’en débarrasser est de la transmettre à son tour en couchant avec quelqu’un d’autre. Si elle ne le fait pas, la chose la poursuivra sans relâche… Tout le talent de Mitchell est de ne jamais chercher à faire plus compliqué que nécesssaire. Si ses personnages sont décrits avec un réel souci d’économie, ils n’en sont que d’autant plus crédibles. Quant au récit, il avance au même rythme que la Mort qui marche à la poursuite de Jay – lentement mais surement ! Il se dégage une certaine forme de langueur tout au long du film, qui préfère à l’habituel tour de montagne russe l’installation d’une ambiance délayée dans le temps.

La Mort aux trousses

La mise en scène semble avoir été pensée dans son entièreté : Mitchell cadre toujours Jay en plein centre de l’image, dégageant les côtés du cadre pour créer un sentiment anxiogène.  Car si cette « distance de sécurité » devrait nous permettre d’anticiper toute intrusion de la Mort dans le cadre, elle développe aussi une forme de paranoïa chez le spectateur, qui participe de façon presque interactive au récit en scrutant en permanence les arrière-plans. Le moindre figurant traversant la rue devient suspect. L’usage systématique du grand angle en extérieur ne fait qu’augmenter la taille de l’espace à surveiller. Il écrase aussi nos héros dans un environnement trop grand pour eux, une métaphore visuelle d’un monde dans lequel ils n’ont pas encore pris leurs marques. Cette opposition constitue d’ailleurs le thème central de It Follows. La relation sexuelle, rite de passage symbolique à l’âge adulte, est associée à la prise de conscience de sa propre mortalité et déclenche le compte-à-rebours inéluctable de la vie/mort. Car l’entité qui poursuit Jay, même si elle n’est jamais désignée comme telle, symbolise la Grande Faucheuse. Touchant à l’œdipe, elle prendra même l’apparence de la mère d’un voisin qui en sera temporairement la cible. Les dialogues sont aussi riches de sens : lors de leur sortie au cinéma, le petit ami de Jay, se sachant poursuivi avant d’avoir pu coucher avec elle, observe un petit garçon avec ses parents et explique qu’il aimerait « être à sa place car il a encore toute la vie devant lui ». C’est cette angoisse de mort et son inéluctabilité qui constituent la véritable menace d’It Follows. Autre image édifiante : après avoir échappé une première fois à ce Terminator freudien, Jay trouve refuge dans un parc pour enfants où elle reprend ses esprits, assise sur une balançoire. Mais elle doit continuer d’avancer avec – littéralement – la Mort aux trousses. Et lorsque ses amis décident de fuir en voiture pour gagner du temps, ils traversent des quartiers de Détroit désolés, délabrés, peuplés de sans-abris. Une ville fantôme, vision horrifique du monde réel – le monde adulte – hors de la bulle que constituait leur banlieue pour classe moyenne. David Robert Mitchell réussit son pari d’instaurer un malaise sur la longueur plutôt que de jouer sur les effets-chocs. Cerise sur le gâteau, il parvient à clore son histoire de façon cohérente et satisfaisante, là où la résolution de nombreux films d’horreur les fait dégringoler avant d’atteindre leur pinacle.

 

© Jérôme Muslewski

 

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