MEURTRE AU 43ème ÉTAGE (1978)

John Carpenter filme l’angoisse quotidienne d’une jeune femme qu’un maniaque épie et traque sans relâche…

SOMEONE’S WATCHING ME !

 

1978 – USA

 

Réalisé par John Carpenter

 

Avec Lauren Hutton, David Birney, Adrienne Barbeau, Charles Cyphers, Grainger Hines, Len Lesser, John Mahon, James Murtaugh

 

THEMA TUEURS I SAGA JOHN CARPENTER

Après une demi-douzaine de films courts amateurs, John Carpenter tourne coup sur coup deux longs-métrages très remarqués, le space-opera parodique Dark Star et le western urbain Assaut. Le studio Warner s’intéresse alors à ce free-lance au style déjà très marqué et lui propose d’écrire le scénario de High Rise, un thriller horrifique inspiré d’un fait divers. Au fil des mois, le projet évolue, se transforme en téléfilm et change de titre : Someone’s Watching Me ! (« Quelqu’un m’observe ! »). Même si le petit écran semble moins adapté à son univers que le cinéma, Carpenter voit là l’occasion de réaliser son premier long-métrage pour un studio et accepte avec enthousiasme la proposition d’écrire et de diriger ce qui va s’annoncer comme une sorte d’embryon de La Nuit des masques. Tourné en 18 jours, Meurtre au 43ème étage s’intéresse à Leigh Michaels (Lauren Hutton), une jeune femme qui a fui son ancienne vie sur la côte Est pour s’installer à Los Angeles. Elle emménage dans une résidence huppée de 2000 habitants qui lui offre une vue imprenable sur la ville. « J’ai l’impression d’être dans le tiroir du haut d’une boîte en verre » dit-elle en souriant à l’agent immobilier. Le décor étant planté, Carpenter ne tarde pas à faire basculer son intrigue jusqu’à un point de non-retour. Tout commence par des appels téléphoniques inquiétants, puis des cadeaux énigmatiques déposés à son attention. Visiblement, quelqu’un l’observe depuis l’immeuble d’en face, pénètre chez elle, la suit partout… Persuadée qu’un maniaque veut la pousser à bout, Leigh contacte en vain la police avant de décider de poursuivre elle-même cet homme mystérieux qui la harcèle.

Le choix d’une héroïne célibataire, dynamique et indépendante permet d’emblée d’évacuer le cliché traditionnel de la victime hurlante et passive qui se soumet bien vite à la tyrannie de son agresseur. Leigh impose d’emblée une personnalité forte, tant dans sa vie professionnelle (elle travaille en tant que réalisatrice dans une station de télévision locale) que personnelle (dans les bars, c’est elle qui drague les hommes et impose le jeu de la séduction). Sa meilleure amie devient d’ailleurs Sophie (Adrienne Barbeau), une fille tout aussi émancipée et lesbienne de surcroît. Incarnée à la perfection par Lauren Hutton, cette femme libre et un peu excentrique prend le monde avec recul et humour. Ce qui ne l’empêche évidemment pas d’être terrorisée par cette menace invisible qui ne cesse de se rapprocher. Mais c’est à bras le corps qu’elle décide de se mesurer au danger, quitte à se jeter elle-même dans la gueule du loup, armée d’un couteau dérisoire dans une de ces tours modernes déshumanisant ses habitants jusqu’à les muer en entités anonymes. Ce choix d’affronter seule le psychopathe devient une nécessité lorsque ses appels répétés à la police finissent par la faire passer pour une folle doublée d’une paranoïaque.

Sueurs froides

Alfred Hitchcock étant la source d’inspiration majeure de Meurtre au 43ème étage, John Carpenter décide d’assumer ouvertement cette filiation dès le générique de début qui cite celui de La Mort aux trousses : les mêmes lignes géométriques traversant l’écran, la même rythmique nerveuse dans la bande originale d’Harry Sukman. Mais c’est surtout Fenêtre sur cour que convoque le scénario du film, à travers le jeu croisé des télescopes qui permettent d’observer – ou d’être observé par – le voisinage, en un jeu de miroir inquiétant où Lauren Hutton finit par se substituer à Grace Kelly et Adrienne Barbeau à James Stewart. D’autres allusions au maître du suspense jalonnent Meurtre au 43ème étage, comme ce travelling compensé « emprunté » à Sueurs froides ou cette manière très particulière de donner du caractère aux objets (Carpenter filme sous une multitude d’angles de prise de vue un paquet mystérieux déposé dans l’appartement de Leigh, exactement comme Hitchcock avec l’enveloppe pleine de billets dans la chambre de Marion Crane dans Psychose). Les autres clins d’œil sont plus ludiques : un personnage qui se nomme Leone en hommage au grand Sergio et la tour qui porte le nom de Arkham Tower pour évoquer H.P. Lovecraft. Malgré toutes ces références, John Carpenter s’affranchit habilement de ses mentors en imposant un certain nombre d’effets de style qui deviendront ses marques de fabriques. A l’instar du Steven Spielberg de Duel, il transforme même les contraintes de l’exercice télévisé (coupures publicitaires régulières, format 4/3, décors limités) en vecteurs de suspense. La peur s’insinue dans les arrière-plans (la silhouette qui apparaît furtivement derrière Lauren Hutton au téléphone), dans les entrées de champ inattendues où dans des couloirs sombres filmés en caméra subjective. Diffusé sur NBC le 29 novembre 1978, Meurtres au 43ème étage fait entrer Carpenter dans la cour des grands et lui permet de rencontrer son épouse Adrienne Barbeau, que l’on retrouvera dans Fog et New York 1997. Deux semaines plus tard, le cinéaste enchaîne avec le tournage de Halloween.

 

© Gilles Penso

 

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