EGŌ (2022)

Une préadolescente découvre un œuf dans la forêt et décide de le ramener chez elle, sans se douter des terribles conséquences de ce geste…

PAHANHAUTOJA

 

2022 – FINLANDE

 

Réalisé par Hanna Bergholm

 

Avec Siiri Solalinna, Sophia Heikkila, Jani Volanen, Reino Nordin, Oiva Ollila, Saija Lentonen, Ida Maattanen

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES I MUTATIONS I ENFANTS I DOUBLES

Egō est le premier long-métrage de la réalisatrice finlandaise Hanna Bergholm, signataire d’une demi-douzaine de courts-métrages et d’une dizaine d’épisodes de séries TV. Tout est parti de l’idée d’une jeune fille effrayée à l’idée de décevoir sa mère et mettant tout en œuvre pour être acceptée telle qu’elle est. De peur que l’amour maternel s’étiole, cette héroïne encore enfant doit cacher ses émotions et les enfouir au plus profond de son âme. Tel est le point de départ de Pahanhautoja (un terme finlandais qui évoque le fléau et l’intention malveillante), titre que les Américains ont choisi de traduire par Hatching (« Éclosion ») et les Français par Egō. Plus elle travaille cette idée, plus Hanna Bergholm sent qu’il lui faut utiliser le filtre de la métaphore pour la développer pleinement. D’où le recours à l’épouvante et l’horreur. Peu familière avec le genre, la réalisatrice s’immerge dans une grande quantité de films emblématiques, parmi lesquels plusieurs lui font forte impression, notamment Grave de Julia Ducournau, Mister Babadook de Jennifer Kent, Morse de Tomas Alfredson, Les Autres d’Alejandro Amenabar ou encore le Suspiria de Luca Guadagnino. Egō courait alors le risque de n’être qu’une compilation de ce tissu d’influence. Or il n’en est rien. Le premier long-métrage de Bergholm est une œuvre coup de poing qui se distingue justement par sa singularité.

Les premières images du film dressent le tableau idyllique d’une famille finlandaise heureuse. Tinja (Siiri Solalinna), 12 ans, pratique la gymnastique, sous le regard admiratif de sa mère (Sophia Heikkila) qui filme leur quotidien pour l’exposer fièrement sur son blog très populaire. Le père (Jani Volanen) est jovial, le petit frère (Oiva Ollila) malicieux, leur maison de banlieue est belle et bien décorée. Bref tout va bien dans ce joli cocon. Mais soudain l’intrusion d’un corbeau met à mal ce bel équilibre – physiquement mais aussi psychologiquement. Le volatile croasse en cassant tout sur son passage. Les verres se brisent, le beau lustre tombe, la table basse explose. Toutes ces fêlures matérielles annoncent celles qui vont se dessiner dans les esprits des personnages. Car cette vision souriante du foyer nordique parfait n’est bien sûr qu’une façade. Les sourires sont forcés, les véritables sentiments profondément enfouis. Il y a là de l’hypocrisie, de la frustration, du mensonge, de la jalousie… Lorsque le corbeau est capturé par Tinja, tué par la mère et jeté à la poubelle, les choses devraient rentrer dans l’ordre. Mais c’est trop tard. Réveillée au milieu de la nuit par d’horribles croassements, la jeune fille découvre dans la forêt voisine un œuf qu’elle décide de ramener chez elle et qu’elle cache sous son oreiller. Or l’œuf va grandir de manière inattendue…

Éclosion

Egō joue sans cesse sur l’ambiguïté des émotions et l’ambivalence des sentiments, à l’image de Tinja qui sourit de toutes ses dents face à sa mère puis arbore soudain une mine sombre lorsqu’elle a le dos tourné. La forme du film se laisse contaminer par le fond et adopte aussi des ruptures de ton étonnantes. Lorsque la jeune héroïne se familiarise avec l’étrange créature surgie de son œuf (une très belle création animatronique conçue par Gustav Hoegen, pilier de la saga Star Wars depuis Le Réveil de la Force), plusieurs séquences de E.T. nous reviennent en mémoire. Mais l’on se doute insidieusement que le caractère merveilleux de la situation s’apprête à basculer dans l’horreur. De fait, une autre référence moins paisible finit par prendre le relais : Incidents de parcours de George Romero. Car cette créature s’apprête à devenir le Mister Hyde de Tinja, sa part sombre et bestiale, le monstre qui sommeille en elle… mais aussi en chacun de nous. La jeune fille finit donc par s’inquiéter de ses propres pensées, susceptibles de s’avérer hors de contrôle et destructrices. C’est là une passionnante métaphore de l’entrée dans l’adolescence, de la métamorphose du corps et du comportement, mais aussi et surtout du décalage entre ce que les adultes attendent de leurs enfants et ce que ces derniers sont au fond d’eux-mêmes. La douce tyrannie exercée par la mère de Tinja (qui vit à travers elle sa frustration de ne pas avoir été elle-même une championne de patinage artistique) est au cœur de ce drame monstrueux qui semble sans issue. Porté par la double prestation impressionnante de Siiri Solalinna et Sophia Heikkila, Egō a remporté le Grand Prix et le Prix du Jury Jeunes au Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2022. Une double récompense amplement méritée.

 

© Gilles Penso


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