FRANKENWEENIE (2012)

Tim Burton réinvente l’un de ses courts-métrages de jeunesse sous forme d’un film d’animation monstrueusement généreux…

FRANKENWEENIE

 

2012 – USA

 

Réalisé par Tim Burton

 

Avec les voix de Catherine O’Hara, Martin Short, Martin Landau, Charlie Tahan, Atticus Shaffer, Winona Ryder, Robert Capron, James Hiroyuki Liao

 

THEMA FRANKENSTEIN I MAMMIFÈRES I MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il réalisa le court-métrage Frankenweenie en 1982, Tim Burton envisageait dans un premier temps de recourir à l’animation image par image, comme pour son film précédent Vincent. C’était à ses yeux le mode d’expression le mieux adapté à cette relecture canine du mythe de Frankenstein, d’autant que cette technique est elle-même intrinsèquement liée au thème développé par Mary Shelley : donner vie à une matière inerte. Mais la création d’un film de 25 minutes en stop-motion était hors de sa portée, pour des raisons de budget et de timing, et il adapta donc son idée à des prises de vues réelles. Trente ans plus tard, jugeant qu’il est temps de donner une seconde vie à ce concept, le cinéaste décide de proposer à Disney une relecture de Frankenweenie au format long-métrage d’animation en noir et blanc. Et le studio accepte. Le logo d’ouverture du film annonce la couleur : le château de la Belle au Bois dormant et la version orchestrale de « When You Wish Upon a Star », qui sont devenus depuis longtemps les marques de fabrique de Disney, se transforment soudain. L’image vire au noir et blanc, muant le beau bâtiment en sombre bâtisse gothique, et la symphonie s’achève sur un accord brutal à l’orgue. Le ton est donné. Burton s’apprête à casser les codes du studio pour y insérer son propre univers. Cette démarche passera par des choix très marqués, tant d’un point de vue artistique (le noir et blanc, l’animation en volume) que narratif, comme s’il fallait inconsciemment rattraper les fautes de goût d’Alice au pays des merveilles.

La première partie du film calque assez fidèlement ses péripéties sur le court-métrage. Tout commence par un film amateur en super-8 dans lequel le jeune Victor a reconstitué dans son jardin et avec ses jouets une sorte de remake du Rodan de Inoshiro Honda. Un ptérodactyle en plastique sème la terreur, jusqu’à ce qu’une sorte de Godzilla canin n’intervienne. Celui-ci est incarné par Sparky, le chien de Victor, son seul véritable ami, compagnon de jeu fidèle et indéfectible. Mais la vie du jeune garçon bascule lorsque Sparky meurt, écrasé accidentellement par une voiture. Inconsolable, Victor traîne dès lors sa morosité sans retrouver sa joie de vivre, jusqu’au jour où son professeur de sciences montre en plein cours comment une grenouille morte s’anime lorsqu’elle est soumise à des rayons électriques. Impressionné, Victor décide de reproduire ce phénomène à plus grande échelle. Il déterre donc Sparky et le transporte discrètement dans son grenier reconverti en laboratoire de savant fou. Une table à repasser sert de table d’opération, un vélo, une horloge, un ventilateur, un tourne-disque, un grille-pain et des cerfs-volants lui servent à capter l’électricité venue de la foudre. A l’issue de cette relecture « domestique » de la fameuse expérience du premier Frankenstein de James Whale, le défunt chien est frappé de plein fouet par un éclair… et ressuscite ! Les personnages de Frankenweenie s’inscrivent avec cohérence dans l’univers graphique auquel Tim Burton nous a familiarisés. Victor et ses parents présentent une évidente filiation avec le héros de Vincent, Sparky est une sorte de croisement entre le chien de L’Étrange Noël de Monsieur Jack et celui des Noces funèbres, le professeur de sciences ressemble à une caricature de Vincent Price. Quant aux élèves, ils semblent tous échappés d’un film d’horreur (l’un ressemble au monstre de Frankenstein, un autre au bossu Igor, une troisième à un fantôme blafard).

« It’s alive ! »

Le caractère fantastique du monde familier du jeune Victor fait écho à la vision du monde que Tim Burton lui-même avait lorsqu’il était enfant. Frankenweenie insiste d’ailleurs symboliquement sur la manière dont la perception de la réalité est altérée chez Victor. C’est ce qu’atteste cette séquence dans laquelle ses parents regardent à la télévision un extrait du Cauchemar de Dracula. Dans cet univers en stop-motion, les extraits du classique de Terence Fisher sont les seules images en prises de vue réelle, comme si les films d’horreur étaient plus réels que le reste du monde aux yeux du jeune héros. En un sens, Frankenweenie se positionne ainsi comme l’un des longs-métrages les plus autobiographiques de son auteur. Le film regorge d’idées visuelles cartoonesques désopilantes, comme l’eau qui fuit par les cicatrices de Sparky lorsqu’il boit de l’eau, ou la « crinière » de la chienne de la voisine qui est frappée par l’électricité et ressemble soudain aux cheveux d’Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein. Mais c’est surtout au cours du dernier acte de Frankenweenie que le délire bat ouvertement son plein. Prolongeant les péripéties racontées dans son court-métrage, Tim Burton imagine de nouveaux rebondissements liés aux camarades de Victor qui, ayant découvert la résurrection de Sparky, décident de reproduire la même expérience avec d’autres animaux dans l’espoir de remporter un prix scientifique. Les conséquences sont évidemment désastreuses et permettent à Burton de multiplier les hommages au cinéma qu’il aime. Avec cette succession de monstres référentiels superbement animés sous la supervision de Trey Thomas, Tim Burton semble presque prendre une revanche sur Mars Attacks !, rendant enfin hommage à la SF des années 50 avec la technique adéquate.

 

© Gilles Penso


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