

Spencer Tracy incarne un aviateur de la deuxième guerre mondiale qui, après avoir été abattu, revient visiter sa bien-aimée sous forme d’ange-gardien…
Deux ans après Docteur Jekyll et Mister Hyde, Victor Fleming et Spencer Tracy se retrouvent sur une note moins grave, quoique la légèreté d’Un nommé Joe ne soit qu’apparente. En 1942, alors que les États-Unis viennent d’entrer en guerre, la MGM décide de produire un film de propagande optimiste à destination des soldats et de leurs familles. Contre toute attente, c’est Dalton Trumbo, connu pour ses prises de position pacifistes et ses engagements à gauche, qui est choisi pour écrire l’histoire. L’écrivain surprend tout le monde en livrant en une nuit un scénario achevé, dicté aussitôt à deux secrétaires, sans qu’aucune réécriture ne soit nécessaire. À la réalisation, Fleming imprime son style classique et efficace, tandis que Tracy, très impliqué dans le projet, apporte de nombreuses idées. Une réplique entendue auprès d’un militaire (« Ce n’est pas dur de voler, c’est s’écraser qui est dur ») trouve ainsi naturellement sa place dans le script. Mais l’acteur peine à s’accorder avec sa partenaire Irene Dunne, lui préférant Katharine Hepburn, qu’il n’a pas réussi à faire engager. Le tournage est ensuite bouleversé par un accident grave de Van Johnson, jeune premier à peine embauché par le studio. Malgré la tentation de le remplacer, Fleming et Tracy défendent son maintien au casting, quitte à suspendre la production. Quatre mois plus tard, Johnson reprend le rôle, tandis qu’une seconde équipe profite de l’interruption pour filmer des scènes aériennes en Floride.


En pleine Seconde Guerre mondiale, Pete Sandidge (Spencer Tracy) est un pilote de bombardier audacieux, tête brûlée peu respectueux de l’autorité. Il partage avec Dorinda Durston (Irene Dunne), pilote elle aussi, une histoire d’amour faite de piques, de fierté et de passion rentrée. Trop orgueilleux pour lui avouer ses sentiments, Pete préfère les compliments disons imagés (« Tu es belle comme une hélice neuve ») et tente de la convaincre de rester au sol, loin des dangers du ciel. Car notre homme est un brin macho. Mais c’est justement le tempérament fort et indépendant de la jeune femme qui l’attire. Un jour, juste après un mauvais pressentiment de Dorinda, Pete meurt en mission, abattu par des chasseurs allemands. Alors qu’il se retrouve dans un au-delà paisible et brumeux (une vaste étendue céleste dans laquelle il semble marcher au milieu des nuages), Pete reçoit une nouvelle mission : revenir sur Terre, invisible aux vivants, pour guider un jeune pilote prometteur, Ted Randall (Van Johnson). Pete accepte, sans se douter que Ted croisera Dorinda et tombera amoureux d’elle…
Ghost in the machine
Sous ses airs de romance patriotique, Un nommé Joe creuse une veine surtout émotive, presque métaphysique. Le concept, particulièrement original, part du principe que chaque pilote vivant vole avec, en lui, la mémoire active des morts. La jalousie posthume du héros, le deuil en suspens et les sentiments refoulés sont alors au cœur du récit. Tout repose sur l’équilibre fragile entre pudeur et lyrisme. Les séquences où les interventions de Pete – que personne ne voit ou n’entend – s’intercalent au milieu des dialogues des vivants bénéficient d’un formidable sens du timing. Précise comme une horlogerie, la mise en scène de Victor Fleming n’en est pas pour autant ostentatoire, son faux classicisme se mettant pleinement au service des comédiens, du récit et des dialogues brillants de Dalton Trumbo. Entre deux moments de drame ou de comédie, Fleming nous offre quelques scènes de batailles aériennes très spectaculaires, conçues à l’aide de véritables cascades en vol, de maquettes, de rétro-projections et d’effets pyrotechniques. C’est du grand art. Initialement dotée d’une fin plus tragique, la version finale conserve pourtant une puissance intacte. Steven Spielberg, qui découvrit le film enfant, en signa un remake en 1989, Always, transposant l’histoire dans un contexte contemporain.
© Gilles Penso
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