LES DÉMONS DE LA NUIT (1977)

En revenant dans la maison où elle vécut avec son défunt époux, une femme nouvellement mariée est victime de terribles hallucinations…

SHOCK

 

1977 – ITALIE

 

Réalisé par Mario Bava et Lamberto Bava

 

Avec Daria Nicolodi, David Colin Jr, John Steiner, Ivan Rassimov, Lamberto Bava, Paul Costello, Nicola Salerno

 

THEMA FANTÔMES I ENFANTS

Shock (rebaptisé Beyond the Door II pour sa sortie américaine, laissant abusivement imaginer qu’il s’agit de la suite du Démon aux tripes) est la dernière œuvre cinématographique de Mario Bava, patriarche du fantastique italien et pionnier du giallo. Ce film est donc le testament d’un cinéaste en fin de parcours, usé par les déconvenues industrielles et les trahisons de producteurs. Après les échecs commerciaux de Chiens enragés et Lisa et le diable – remonté sans son consentement pour devenir La Maison de l’exorcisme -, Bava retrouve ici un budget restreint, une équipe réduite et une liberté paradoxalement plus grande. Le scénario de Shock naît d’une idée de Dardano Sacchetti et Francesco Barbieri, inspirée d’un roman de Hillary Waugh. Abandonné une première fois au début des années 1970, le projet ressuscite grâce à Lamberto Bava, fils du cinéaste, qui en réécrit les fondations avec Alessandro Parenzo. Leur ambition est de conjuguer le surnaturel classique à une approche plus psychologique. Le tournage, mené en cinq semaines dans la villa de l’acteur Enrico Maria Salerno, se déroule dans une atmosphère artisanale où le père et le fils collaborent étroitement. Si Lamberto dirige certaines séquences, il laisse la mise en scène principale à son père. En choisissant un cadre contemporain et une tonalité plus réaliste, Bava s’éloigne des flamboyances de ses chefs-d’œuvre gothiques. Ce parti pris annonce le virage du fantastique italien à la fin des années 1970. Shock n’est donc pas un simple baroud d’honneur mais une œuvre de transition, celle d’un maître qui passe le relais à la génération suivante.

Dora Baldini (Daria Nicolodi), récemment sortie d’un hôpital psychiatrique, s’installe avec son nouveau mari Bruno (John Steiner), pilote de ligne, et son fils Marco (David Colin Jr.) dans une maison moderne isolée, construite sur les vestiges de son passé. Car Dora y a autrefois vécu avec son premier mari, Carlo, toxicomane suicidé dans des circonstances troubles. Dès les premières nuits, la quiétude du foyer se fissure : des bruits étranges, des objets qui bougent, des hallucinations… Dora sent la présence du mort hanter les lieux. Plus inquiétant encore, le jeune Marco adopte un comportement instable, comme si une force invisible s’emparait de lui. Les phénomènes se multiplient jusqu’à brouiller la frontière entre la possession et la folie. Dora croit revoir le visage de Carlo dans les reflets, entend sa voix murmurer à travers les murs et perçoit dans le regard de son fils la menace d’une vengeance posthume. Bruno, rationnel et distant, attribue ces visions à la fragilité mentale de son épouse et l’abrutit de calmants. Mais le doute persiste : la maison est-elle hantée ou Dora sombre-t-elle à nouveau dans la démence ?

Hantise ou folie ?

Bava entretient cette ambiguïté avec une rigueur d’orfèvre. Chaque séquence se mue en jeu de miroirs où la réalité se déforme. Dans l’une des scènes les plus mémorables du film, l’enfant court vers sa mère avant de se transformer fugacement en cadavre putréfié – une illusion réalisée sans trucages visuels mais avec une précision diabolique. Ailleurs, un couteau flotte dans l’air avant d’être révélé comme tenu par Dora elle-même. Ce va-et-vient constant entre le surnaturel et le psychique inscrit Shock dans la lignée des œuvres paranoïaques de Roman Polanski (Répulsion, Rosemary’s Baby, Le Locataire) où l’horreur naît de la contamination du réel. Si Shock déroute, c’est parce qu’il refuse les codes attendus du film d’horreur italien. Bava opte pour une palette terne, presque clinique. Ce dépouillement visuel semble vouloir traduire une évolution stylistique assumée. Car ici, le fantastique surgit des fractures intérieures de ses personnages, et la maison devient une excroissance de la psyché malade de Dora. Daria Nicolodi livre ici une performance bouleversante, mêlant la fragilité et l’hystérie contenue. Son visage hanté, filmé en gros plans oppressants, concentre toute la douleur du film. À ses côtés, John Steiner campe un mari glacial, témoin impuissant du naufrage familial, tandis que le jeune David Colin Jr. donne au motif de « l’enfant démoniaque » une intensité troublante. Ainsi s’achève le parcours du maestro Bava.

 

© Gilles Penso

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