MARCHE OU CRÈVE (2025)

Cette adaptation sans concession d’un des récits les plus brutaux de Stephen King réunit 50 concurrents pour une compétition sanglante…

THE LONG WALK

 

2025 – USA

 

Réalisé par Francis Lawrence

 

Avec Cooper Hoffman, David Jonsson, Garrett Wareing, Tut Nyuot, Charlie Plummer, Ben Wang, Jordan Gonzalez, Joshua Odjick, Mark Hamill

 

THEMA POLITIQUE FICTION I SAGA STEPHEN KING

Parmi les centaines d’histoires inventées par Stephen King, la grande majorité semblait destinée à être portée très vite à l’écran. C’est Carrie – premier roman publié et premier film adapté – qui ouvrit le bal. D’autres, en revanche, ont longtemps rôdé en coulisses. Marche ou crève appartient à cette seconde catégorie. Écrit dans la jeunesse de l’auteur, ce texte féroce est demeuré pendant des décennies l’un de ses romans « impossibles à adapter ». Lorsque King imagine ce conte cruel à la fin des années 1960, il n’est encore qu’un jeune professeur arrondissant ses fins de mois avec des nouvelles éditées dans des magazines de seconde zone. Trop cru, trop violent, le manuscrit restera inédit jusqu’à la fin des années 1970, où il paraîtra sous le pseudonyme de Richard Bachman. Le fait que ce nom d’emprunt ait aussi servi pour Running Man n’est sans doute pas innocent, ces deux romans partageant la même plume acerbe et le même portrait d’une Amérique à la dérive où la compétition se transforme en cauchemar. Ici, nous voilà face à une sorte d’épreuve sportive insensée : cent adolescents marchent jusqu’à l’épuisement, surveillés par des soldats qui abattent les retardataires. Seul le dernier survivant sera récompensé. 

En portant ce récit à l’écran, Francis Lawrence insiste sur l’épuisement physique, filmant les tremblements, la sueur, les crampes, tout en adoptant une mise en scène volontairement minimaliste. Les jeunes comédiens eux-mêmes sont poussés à l’extrême : leurs visages marqués et leurs gestes alourdis sont corollaires du véritable marathon auquel ils ont dû se prêter sur le tournage. Une question finit par traverser le récit : qui regarde ? La Longue Marche est conçue comme un spectacle destiné à galvaniser une nation. Mais le film lui-même place le spectateur dans cette même position de voyeur. Assis dans son fauteuil, il observe ces jeunes corps s’effondrer les uns après les autres, pris entre fascination et malaise. En cela, Marche ou crève ne parle pas seulement d’une dystopie fictive : il nous renvoie au miroir de nos propres consommations d’images violentes, de télé-réalités humiliantes ou de compétitions déshumanisées. Face à l’autorité représentée par le personnage du major (Mark Hamill), les adolescents ne peuvent se raccrocher qu’à leur solidarité de fortune, leurs conversations brisées par la fatigue, leurs rêves murmurés entre deux halètements. 

Un pied dans la tombe

Si Marche ou crève résonne autant aujourd’hui, c’est que sa cruauté symbolise parfaitement notre époque. Les compétitions absurdes, la pression de la performance, la valorisation de l’endurance sans fin sont autant de réalités qui hantent nos vies quotidiennes, du monde du travail aux logiques de divertissement. On peut penser à Squid Game, Battle Royale ou Hunger Games, bref à ces fictions où la survie devient un jeu. Mais ici, l’épure est totale : pas de futurisme, pas d’arène spectaculaire, seulement une route et cinquante adolescents condamnés à avancer. Nous sommes finalement plus proches du glaçant Punishment Park. Cette simplicité radicale rend le propos d’autant plus universel. En divisant par deux le nombre de marcheurs par rapport au livre, en évitant toute scène de foule, en ne nous montrant jamais l’impact de cet événement national sur la population, Lawrence privilégie une sorte d’épure qui mue quasiment le récit en allégorie. Après des décennies de faux départs (George Romero, Frank Darabont, André Øvredal ont envisagé à tour de rôle de porter ce roman à l’écran), Marche ou crève s’impose comme l’une des adaptations les plus singulières – et les plus réussies ? – de Stephen King. C’est en tout cas le sommet de la carrière d’un cinéaste qui, avec Constantine, Je suis une légende et la saga Hunger Games, n’avait pas encore montré toute l’étendue de son talent. Voilà chose faite.

 

© Benjamin Braddock

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