LE SANG DES INNOCENTS (2001)

Dario Argento revient à ses premières amours pour concocter un thriller redoutablement efficace à mi-chemin entre l'enquête policière et le récit d'horreur

NON HO SONNO

2001 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Max Von Sydow, Stefano Dionisi, Chiara Caselli, Gabriele Lavia, Roberto Zibetti, Gabriele Lavia, Paolo Maria Scalondro

THEMA TUEURS I SAGA DARIO ARGENTO

Avec la régularité d’un métronome, Dario Argento revient cycliquement à ses premières amours horrifico-policières entre deux films plus volontiers portés sur le fantastique pur. Ainsi, comme Ténèbres après Inferno, comme Terreur à l’Opéra après Phenomena, comme Trauma après Deux yeux maléfiques, ce Sang des Innocents vient-il succéder à un Fantôme de l’Opéra qui n’avait pas convaincu grand monde. Après dix-sept ans d’absence, Giacomo revient à Turin. Il avait quitté la ville après le meurtre atroce de sa mère, sous ses yeux. Giacomo n’avait pu identifier l’assassin, et la disparition du suspect, un nain amateur de comptines enfantines, avait clos l’enquête. Aujourd’hui, les meurtres en série reprennent. Aidé d’un commissaire à la retraite, interprété par ce bon vieux Max Von Sydow, Giacomo décide de traquer le tueur…

Derrière un titre original un tantinet hors-sujet (« Non Ho Sonno », autrement dit « Je ne peux pas dormir »), traduit en France par un étrange et poétique Le Sang des Innocents, se cache une petite pièce d’orfèvrerie, ni plus ni moins. Et c’est donc avec un enthousiasme non dissimulé qu’on retrouve Dario Argento au faîte de son talent, brassant ici toutes les composantes et toutes les obsessions qui firent le succès de ses premiers films, L’Oiseau au plumage de cristal en tête. Ainsi retrouve-t-on ici l’enfance traumatisée, le tueur ganté de noir, le détail crucial perdu dans un trou de mémoire, l’enquête policière jonchée de fausses pistes, les actrices fort photogéniques promises à des morts sanglantes et graphiques… Comme pour marquer davantage ce retour aux sources, le grand Dario a intégralement tourné dans son Italie natale, avec son équipe habituelle, notamment le père Claudio Argento à la production, les prolifiques Goblin derrière les synthétiseurs et les guitares électriques et l’inventif Sergio Stivaletti aux effets spéciaux. Celui-ci nous vaut quelques écarts gore assez gratinés, comme ce meurtre au cor anglais ou cette tête fracassée contre un mur sans le moindre ménagement.

« Je ne peux pas dormir… »

Dès la séquence d’introduction, une ébouriffante course-poursuite dans un train nocturne quasi-désert mettant en vedette une prostituée interprétée par Barbara Lerici, Le Sang des Innocents tient en haleine et surprend. «J’aime commencer mes films par une scène forte », nous explique le cinéaste. « Elle n’est d’ailleurs pas très réaliste et ressemble presque à un cauchemar, dans la mesure où le train est quasiment vide, comme si le tueur et sa victime étaient les seuls êtres vivants qui l’occupent. J’aimais bien l’idée d’isoler le personnage central de la scène dans des plans larges. C’est un style visuel qui me plaît. Mais ça nous a sérieusement compliqué la tâche, car il fallait filmer de loin un train en mouvement, en suivant une chorégraphie très précise. Nous avons loué le train pour trois nuits consécutives. Il faisait sans cesse des allers-retours sur le même tronçon en passant d’une station à l’autre. » (1) La révélation finale du film, quant à elle, remet Scream et tous ses imitateurs à leur juste place, et ce même si les folies visuelles de l’œuvre passée d’Argento, en particulier celles de Suspiria et Inferno, avaient plus de panache et d’excès baroque. Si Argento se laisse volontiers aller à l’auto-citation et à la redite (le film reprend presque à la lettre certains éléments de Les Frissons de l’Angoisse, Ténèbres et Inferno), Le Sang des Innocents restera dans les mémoires ne serait-ce que grâce à une poignée de scènes fort audacieuses. Notamment ce long travelling sur un tapis qui s’achève sur une décapitation en gros plan, et qui rappelle les plans-séquences vertigineux de Brian de Palma, les deux cinéastes ayant toujours partagé certains de leurs effets de style les plus explicites.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

© Gilles Penso

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