LES SORCIÈRES (1990)

Une adaptation mémorable du célèbre roman de Roald Dahl, avec Anjelica Huston en redoutable reine des sorcières

THE WITCHES

 

1990 – GB

 

Réalisé par Nicolas Roeg

 

Avec Anjelica Huston, Mai Zetterling, Jasen Fisher, Jane Horrocks, Rowan Atkinson, Bill Paterson, Brenda Belthyn, Charlie Potter, Angelique Rockas

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après « James et la grosse pêche », « Charlie et la chocolaterie », « Le Bon Gros Géant » et tant d’autres, Roald Dahl alimenta une fois de plus les bibliothèques des têtes blondes avec « Sacrées sorcières », son treizième roman pour enfants. Publié en 1983 et illustré par le fidèle Quentin Blake, le livre commence ainsi : « Dans les contes de fées, les sorcières portent toujours de ridicules chapeaux et des manteaux noirs, et volent à califourchon sur des balais. Mais ce livre n’est pas un conte de fées ». Ce serait même plutôt un conte d’épouvante, serions-nous tentés d’ajouter, l’écrivain s’amusant à alterner l’humour et la terreur au sein d’un récit bien peu rassurant. Car l’apparence humaine sous laquelle se cachent les sorcières n’est qu’un leurre, dissimulant des monstres chauves et griffus qui ne rêvent que d’une chose : la totale éradication des enfants humains. Elles fomentent donc un plan machiavélique sous la direction de leur souveraine suprême, la Grandissime Sorcière. À la fin des années 80, Jim Henson décide d’en produire une adaptation pour le cinéma. Alors en pleine activité télévisuelle (les séries Monstres et merveilles, Muppet Babies, The Ghost of Faffner Hall), le créateur du Muppet Show confie la réalisation du film à Nicolas Roeg, un choix surprenant dans la mesure où le cinéaste britannique, alors en fin de carrière, avait jusqu’alors abordé le genre fantastique sous un angle conceptuel bien peu compatible avec le public familial. C’est d’ailleurs Allan Scott, le scénariste de Ne vous retournez pas, qui est chargé d’adapter le roman de Dahl.

Comme dans le livre, le film commence en Norvège. Le jeune Luke (Jasen Fisher) passe ses vacances chez sa grand-mère Helga (Mai Zetterling) qui passe son temps à lui raconter des histoires de sorcières. Après un accident de voiture qui provoque la mort de ses parents, Luke est définitivement hébergé par Helga, qui l’emmène passer un séjour au bord de la mer dans un grand hôtel en Angleterre. Là se tient une conférence sur la prévention contre la maltraitance des enfants, tenue par une conférencière prestigieuse et hautaine, Miss Eva Ernst (Anjelica Huston). Mais celle-ci s’avère être la Grandissime Sorcière, ce que nous révèle une séquence délirante où elle retire son masque humain pour révéler un faciès monstrueux. La description qu’en donnait Roald Dahl frappait déjà l’imagination : « Jamais je n’avais vu visage si terrifiant, ni si effrayant ! Le regarder me donnait des frissons de la tête aux pieds. Fané, fripé, ridé, ratatiné. On aurait dit qu’il avait mariné dans du vinaigre. Affreux, abominable spectacle. Face immonde, putride et décatie. Elle pourrissait de partout, dans ses narines, autour de la bouche et des joues. Je voyais la peau pelée, versicotée par les vers, asticotée par les asticots… Et ses yeux qui balayaient l’assistance… Ils avaient un regard de serpent ! » À l’écran, cette vision d’horreur se traduit par un maquillage spectaculaire conçu par Steve Norrington (créateur d’effets spéciaux pour Greystoke, Gremlins ou Aliens avant de devenir le réalisateur de Death Machine, Blade et La Ligue des gentlemen extraordinaires). Posé sur le visage d’Anjelica Huston au terme d’une éprouvante séance de maquillage de huit heures consécutives, ce design monstrueux n’est pas sans évoquer celui de la sorcière des marais conçu par Rob Bottin pour Legend. La peau fripée, le crâne glabre, le nez crochu, les doigts démesurés aux ongles acérés, cette Grandissime Sorcière a décidément beaucoup de caractère.

« Ce n'est pas un conte de fées ! »

Pour un film destiné aux enfants, Les Sorcières s’avère plutôt effrayant, fidèle en ce sens au texte qui l’inspire. Le récit bascule même dans le cauchemar lorsqu’une nuée grimaçante et hystérique de sorcières s’en prend au jeune héros, n’hésitant pas à précipiter un landau dans le vide (en un double hommage au Cuirassé Potemkine et aux Incorruptibles ?) pour lui barrer la route. Lorsque le malheureux Luke et un de ses amis se retrouvent transformés en souris, le film adopte dès lors leur point de vue miniaturisé grâce à une série d’astuces habiles permettant d’alterner l’utilisation de rongeurs réels et de marionnettes conçues par le Jim Henson’s Creature Shop. Dans le rôle de la reine des sorcières, Anjelica Huston est tout simplement parfaite, un an avant d’endosser le rôle de l’altière Morticia dans La Famille Addams de Barry Sonenfeld. L’amateur reconnaîtra également Rowan Atkinson (sur le point de démarrer la série Mr Bean), dans le rôle d’un directeur d’hôtel délicieusement pleutre et hypocrite. Porté par une musique lyrique de Stanley Myers (Voyage au bout de l’enfer, Les Yeux de la forêt, Incubus) qui cligne plusieurs fois de l’œil vers celle de Shining, Les Sorcières s’achève sur une gigantesque métamorphose collective qui cligne furtivement de l’œil vers Dark Crystal, avant un épilogue plus positif que celui écrit par Roald Dahl. L’écrivain s’avouera d’ailleurs très mécontent du résultat final. Ironie du sort, Roald Dahl et Jim Henson s’éteindront tous deux en 1990, année de la sortie du film. Très bien reçu par la presse mais un peu boudé par le public, Les Sorcières sera largement réévalué à la hausse quelques années plus tard.

 

© Gilles Penso

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