

Udo Kier incarne le célèbre médecin aux deux visages dans cette version sulfureuse et décadente du mythe créé par Robert Louis Stevenson…
DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES
1981 – FRANCE / ALLEMAGNE
Réalisé par Walerian Borowczyk
Avec Udo Kier, Marina Pierro, Patrick Magee, Clement Harari, Howard Vernon, Gérard Zalcberg, Jean Mylonas, Eugene Braun Munk, Louis Colla, Catherine Coste
THEMA JEKYLL ET HYDE
Udo Kier fut tour à tour le docteur aux méthodes contre-nature de Chair pour Frankenstein et le vampire souffreteux de Du sang pour Dracula, sous la direction de Paul Morrissey. Pour faire bonne mesure, il endosse cette fois-ci la blouse du docteur Jekyll, dans cette variante tout aussi déviante du mythe classique, même si Walerian Borowczyk préfère au gore et aux effets de style du cinéma d’exploitation une exploration plus insidieuse et « ouatée » des travers humains. C’est en découvrant la comédie Sir Henry at Rawlinson End de Steve Roberts (1980) que Borowczyk choisit de solliciter l’acteur Patrick Magee (inoubliable dans Orange mécanique), et le directeur de la photographie Martin Bell. Mais le rythme de travail extrêmement lent de ce dernier ne convainc pas le réalisateur, qui le remplace au bout de trois jours par Noël Véry, l’homme qui mit en images pour lui Contes immoraux et Collections privées. Le titre souhaité par Borowczyk, Le Cas étrange du Dr. Jekyll et Miss Osbourne, mettait en avant la perspective duale du récit. C’est pourtant sous le titre Docteur Jekyll et les femmes, imposé par le distributeur UGC, que le film sortira en salle, au grand regret du réalisateur.


Dans le Londres du XIXe siècle, le haut du panier de la société londonienne se rend aux fiançailles du Dr Henry Jekyll (Udo Kier) et de Miss Fanny Osbourne (Marina Pierro). Les robes de soirées et les costumes élégants froufroutent dans une ambiance feutrée, la mère du fiancé esquisse une valse au piano en déclenchant des petites applaudissements polis, une jeune fille en ballerines offre à l’assistance quelques jolis entrechats. Bref, tout est propre et convenable. Pendant le dîner, la discussion s’anime un peu lorsque le docteur Lanyon (Howard Vernon) dénigre les théories scientifiques de Jekyll autour de la médecine transcendantale, qu’il juge fallacieuses. Soudain, les convives apprennent qu’une fillette a été violemment agressée dans la rue, à deux pas de chez Jekyll, par un inconnu qui l’a presque battue à mort et a tenté de la violer. Qui serait capable de telles horreurs ? Or l’obsédé sexuel responsable de cette agression s’est introduit dans la fête, transformant les fiançailles en un tourbillon cauchemardesque de meurtres et de débauche. Le monstre reste insaisissable, puisqu’après chaque exaction, il redevient le très respectable Jekyll…
Mon double, ma femme et moi
La musique atonale de Bernard Parmegiani, couplée à une photographie cotonneuse, noyée dans une sorte de brume, comme pour évoquer les peintures de Wermer, contribue à bâtir une atmosphère angoissante et éthérée, presqu’irréelle. Après la scène d’agression glaçante qui ouvre le film, Borowczyk prolonge le malaise en insérant dans la soirée mondaine des Jekyll des images furtives de meurtres, d’agressions, de corps dévêtus et mutilés. Ici, la nudité et les actes sexuels sont à peine dissimulés (en ce domaine, on sait Borowczyk volontiers démonstratif). Hyde semble d’ailleurs posséder un pouvoir quasi hypnotique sur les femmes, comme en témoigne la soumission soudaine et langoureuse de la fille du général qui exulte sous ses assauts devant son père horrifié (un Patrick Magee qui excelle comme toujours dans le registre de l’excès théâtral). Le cinéaste semble surtout vouloir moquer la bourgeoisie guindée et son hypocrisie. Le film finit par brouiller les pistes avec la réalité, dans la mesure où son Jekyll s’inspire en partie de Robert Louis Stevenson lui-même et de ses addictions à la morphine et au laudanum. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le nom que le scénario donne à sa promise (Fanny Osbourne) est celui de la vraie fiancée de l’écrivain. La séquence de suspense au cours de laquelle celle-ci espionne le bon docteur – qui sert de support visuel au poster du film – marque un point de non-retour dans l’intrigue, puisque c’est le moment où elle découvre son secret et où nous assistons à la métamorphose. Jekyll s’y plonge dans un bain de liquide coloré où il s’agite comme une bête. À l’issue de ce rituel qu’on peut interpréter comme un double symbole de naissance et de baptême (et que le réalisateur filme dans un étonnant plan-séquence fixe), il change d’apparence physique et de comportement. L’acteur Gérard Zalcbreg se substitue alors à Udo Kier avant de s’écrier avec une voix gutturale : « Remplis-moi de haine ! » C’est le prélude à un climax chaotique et violent. Au moment de sa sortie, Docteur Jekyll et les femmes remportera le prix de la meilleure réalisation au Festival du film fantastique de Sitges en 1981.
© Gilles Penso
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