LA MOUCHE 2 (1989)

Une suite étrange et hybride mise en scène avec beaucoup d’entrain par le roi des effets spéciaux Chris Walas…

THE FLY 2

 

1989 – USA

 

Réalisé par Chris Walas

 

Avec Eric Stolz, Daphne Zuniga, Lee Richardson, John Getz, Frank C. Turner

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA LA MOUCHE

Le succès de La Mouche était inespéré. Certes, il s’agit sans doute du film le plus commercial de David Cronenberg, mais l’inconfort, le malaise et les tabous que ce long-métrage véhicule ne se conforment pas forcément aux canons hollywoodiens classiques. Toujours est-il que le studio décide aussitôt d’enclencher une suite. La première version du scénario est confiée à Mick Garris, qui sort d’un important travail éditorial sur la série Histoires fantastiques produite par Steven Spielberg. « Pour La Mouche 2, je voulais une histoire très adulte dans l’esprit du film de Cronenberg », raconte-t-il. « C’était assez orienté politiquement, avec un discours sur le droit d’avorter. Certains exécutifs du studio appréciaient cette approche, mais d’autres souhaitaient faire un simple film de monstre pour adolescents. Sentant qu’ils n’arriveraient pas à se mettre d’accord, j’ai lâché l’affaire et j’ai saisi une autre opportunité : la réalisation de mon premier film Critters 2. » (1) Exit donc Mick Garris, place à Frank Darabont. Avec à son actif les scénarios de Freddy 3 et Le Blob, le futur réalisateur des Évadés semble être un choix judicieux. Son travail intègre certaines idées de Garris mais peine encore à convaincre le studio, qui demande aux frères Jim et Ken Wheat (Ewoks la bataille d’Endor, Le Cauchemar de Freddy) de le réécrire. Du côté de la mise en scène, c’est aussi les chaises musicales. Cronenberg n’est pas intéressé, Sam Raimi est contacté mais ce qu’il envisage semble trop loufoque pour convaincre les producteurs, et c’est finalement l’as des effets spéciaux Chris Walas qui hérite du poste. Créateur des maquillages spéciaux des Aventuriers de l’arche perdue, concepteur des bestioles de Gremlins et orchestrateur des effets inoubliables du premier La Mouche, Walas saute sur l’occasion et réalise ainsi son premier long-métrage.

Le prégénérique de La Mouche 2 recycle la fameuse scène de cauchemar du premier film dans lequel Geena Davis accouchait d’une espèce de larve peu ragoûtante. Mais ici, ce n’est pas un rêve. Veronica (incarnée cette fois-ci par Saffron Henderson) donne bien naissance à une chose informe et gluante avant de passer de vie à trépas, sous les yeux du tout puissant industriel Anton Bartok (Lee Richardson). À l’intérieur de ce cocon visqueux et boursouflé se trouve un bébé humain bien dodu. Cet enfant semble normal, si ce n’est que sa croissance est très accélérée et son intelligence aiguë. À l’âge de cinq ans, le fils de Seth Brundle a déjà un corps d’adulte. La prestation d’Eric Stolz dans le rôle de Martin Brundle, toute en fraîcheur et en dynamisme, nous donne une idée assez précise du genre de Marty McFly qu’il aurait pu incarner si Robert Zemeckis l’avait conservé sur le tournage de Retour vers le futur. Le couple qu’il forme avec Daphné Zuniga (suggérée par Mel Brooks qui l’avait dirigée dans La Folle histoire de l’espace) s’avère assez irrésistible. Poussé par Bartok, qui s’octroie le rôle de père adoptif, Martin accepte de reprendre les expériences de son père. Mais le jeune homme nourrit une rancœur envers l’industriel depuis le jour où un chien auquel il s’était attaché, victime d’une téléportation ratée, s’est mué en créature pathétique maintenue en vie pendant des années dans un état pitoyable. La scène est déchirante, preuve que Chris Walas était la personne idéale pour muer les effets spéciaux en vecteurs d’émotion. « Notre réaction aux monstres n’est pas intellectuelle », nous confie-t-il. « Ils nous terrifient et nous fascinent. Pour qu’ils possèdent des éléments permettant de nous connecter à eux immédiatement, la réponse émotionnelle doit être contenue dans leur design. » (2)

Un film mutant

De fait, les effets supervisés par l’atelier de Chris Walas s’avèrent très impressionnants : le cocon initial, le chien-monstre, les étapes successives de l’inexorable métamorphose de Martin, le redoutable monstre final et en prime plusieurs effets gore très visqueux qui faillirent coûter au film une interdiction aux moins de 18 ans. À vrai dire, La Mouche 2 est une œuvre assez insaisissable, opérant des ruptures de ton et de style déstabilisantes. Tout commence comme un conte pour enfants, s’oriente vers la comédie romantique pour adolescents puis bascule dans l’horreur graphique et psychologique. Tout se passe comme si ce film en perpétuelle mutation subissait la même croissance accélérée et les mêmes métamorphoses que son personnage principal. Ces changements de cap successifs sont sans doute le reflet des indécisions premières du studio face à la tournure du scénario. Mais elles dotent finalement ce second épisode d’une singularité surprenante qui rend chacun de ses visionnages très appréciables. C’est aussi l’occasion de mesurer le talent de Chris Walas qui, hélas, n’aura pas eu beaucoup d’autres occasions de transformer l’essai derrière la caméra. Aucune Mouche 3 ne verra le jour, mais une suite directe sera publiée en bande dessinée en 2015, reprenant le récit juste après l’épilogue cruellement ironique sur lequel se clôt le film de Walas.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2014

(2) Propos recueillis par votre serviteur en mai 2018

 

© Gilles Penso


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