COLD SKIN (2017)

Deux hommes isolés sur une île déserte luttent contre une horde de créatures hybrides qui infestent le rivage

COLD SKIN

 

2017 – FRANCE / ESPAGNE

 

Réalisé par Xavier Gens

 

Avec David Oakes, Ray Stevenson, Aura Garrido, John Benfield, Winslow M. Iwaki, Ben Temple, Ivan Gonzalez, Alejandro Rod, Julien Blaschke, Israel Bodero

 

THEMA MONSTRES MARINS

Sorti en 2002, le roman catalan « La Peau froide » (« La Pell freda ») d’Albert Sánchez séduit le réalisateur Xavier Gens, qui aimerait bien le porter à l’écran après son film d’action Hitman. Mais un projet d’adaptation est déjà en cours chez la société de production Babieka, la réalisation étant confiée à David Slade (Hard Candy, 30 jours de nuit). Lorsque finalement ce dernier se désiste pour partir œuvrer sur la série TV Hannibal, la place est vacante et Gens s’engouffre dans la brèche. Le projet semble bien engagé, mais il mettra finalement six ans à se concrétiser. Son financement n’est pas simple, les nombreux effets spéciaux requis par le script compliquent les choses et le lieu du tournage reste encore à trouver. Entretemps, Xavier Gens a le temps de réaliser The Divide, un segment de The ABCs of Death et The Crucifixion. Lorsqu’enfin Cold Skin est lancé, le choix se porte sur un tournage en extérieurs à Lanzarote, cette île volcanique des Canaries qui servit de décor préhistorique au mythique Un million d’années avant JC. Avec un budget de huit millions d’euros, le cinéaste ne peut se payer le luxe de superstars. Il opte donc pour deux comédiens principaux solides, charismatiques et convaincants : David Oakes (vu notamment dans les séries The Borgias, The White Queen et Victoria) et Ray Stevenson (gladiateur dans Rome et troisième incarnation du Punisher à l’écran). La production peut tout de même se permettre la construction d’un phare factice de 17 mètres de haut et surtout la création d’une armée de créatures très surprenantes.

Nous sommes à l’automne 1914, alors que la première guerre mondiale a déjà commencé en Europe. Un jeune climatologue débarque sur une île déserte située dans l’océan austral pour y travailler pendant un an. Sur place, il rencontre le gardien de phare, un personnage étrange, bourru et taciturne. Chacun occupe sa place d’un bout à l’autre de l’île, l’un dans sa bicoque, l’autre dans son phare, se jaugeant de loin, cohabitant sans se côtoyer. Mais il semble qu’un lourd secret pèse sur les lieux… Par bien des aspects, la situation semble annoncer The Lighthouse de Robert Eggers. Même si le film adopte un rythme aérien et fluide, les choses se mettent en place rapidement, sans longue exposition, sans caractérisation détaillée. Et bien que la voix off du narrateur nous accompagne tout au long du métrage, c’est dans l’action que les protagonistes vont se définir. Le roman de Sánchez motivait un peu plus la volonté d’isolement du climatologue, échappant à la société de ses semblables après avoir combattu pour l’indépendance de l’Irlande. Ici, sa voix se contente d’affirmer : « je recherchais la paix au milieu du néant, j’ai trouvé un enfer infesté de monstres » Car les deux hommes ne sont pas seuls sur l’île. Dès que décline le jour, une nuée de créatures amphibiennes surgit des eaux pour grouiller sur la terre. Notre héros en fait l’expérience dès le premier soir, sa cabane étant assaillie de toutes parts par une horde sauvage et visqueuse. Mais comment lutter contre une telle menace ?

L’autre forme de l’eau

L’époque à laquelle se déroule le récit, la voix off du narrateur et la nature hybride des créatures aquatiques qui hantent l’île évoquent fortement l’univers de H.P. Lovecraft, une référence parfaitement assumée. Mais bien vite, les hommes-poissons qui hantent les lieux dépassent leur statut de simples monstres pour agir comme des révélateurs. En substance, Cold Skin brouille les frontières entre l’humanité et l’animalité et nous interroge sur la notion d’« homme civilisé ». La misanthropie du gardien de phare n’est-elle pas un aveu d’impuissance, de renoncement définitif à la civilisation ? Robert Louis Stevenson est d’ailleurs l’autre référence littéraire majeure du film, et il n’est pas interdit d’adopter une grille de lecture à travers laquelle nos « héros » seraient la parabole de colons blancs se heurtant à une peuplade qu’ils jugent primitive et donc hostile. La force du récit passe par la crédibilité de ses créatures, magnifiquement conçues par le designer Arturo Balseiro (L’Échine du diable, Arachnid, Dagon, Fragile, Le Labyrinthe de Pan). Leur apparence hybride étonnante n’est pas sans nous évoquer les draags de La Planète sauvage. Pour leur donner corps, un impressionnant travail de maquillages spéciaux, « augmentés » digitalement en post-production, s’est avéré nécessaire, selon une technique voisine à celle employée dans La Forme de l’eau. Hasard des calendriers, la fable de Guillermo del Toro est sortie en même temps que le film de Xavier Gens, l’éclipsant involontairement. En France, Cold Skin sera distribué en DVD et en Blu-Ray sans passer par la case cinéma. C’est d’autant plus dommage qu’il s’agit certainement d’un des films les plus beaux, les plus troublants et les plus puissants de son réalisateur.

 

© Gilles Penso



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