LE COLOSSE DE NEW YORK (1958)

Après la mort d’un scientifique de génie, son cerveau est ranimé et intégré dans le corps d’un robot monumental

THE COLOSSUS OF NEW YORK

 

1958 – USA

 

Réalisé par Eugène Lourié

 

Avec John Baragrey, Mala Powers, Otto Kruger, Robert Hutton, Ross Martin, Ed Wolff, Charles Herbert

 

THEMA ROBOTS

C’est un peu malgré lui qu’Eugène Lourié, talentueux directeur artistique et fidèle collaborateur de Jean Renoir, s’est spécialisé dans la science-fiction. Les quatre longs-métrages qu’il a réalisés se rattachent en effet au genre, avec une prédilection pour les cités dévastées par des monstres préhistoriques imaginaires : le « rhédosaure » du Monstre des temps perdus, le « paléosaure » de The Giant Behemoth et les dinosaures fictifs de Gorgo. Au milieu de ce bestiaire antédiluvien fantaisiste, Le Colosse de New York fait presque figure d’exception, puisque les créatures reptiliennes géantes cèdent ici le pas à un robot d’un genre très particulier. Le scénario de cette fable de SF est écrit par Thelma Moss (une future parapsychologue de renom) d’après une histoire de William Goldbeck (qui avait écrit Freaks pour Tod Browning). Quant au producteur William Alland, il s’agit d’un spécialiste du genre puisqu’on le retrouve au générique de plusieurs œuvres phares de Jack Arnold comme Le Météore de la nuit, L’Étrange créature du lac noir ou Tarantula. Les premières séquences du Colosse de New York nous familiarisent avec le génial scientifique Jeremy Spensser incarné par Ross Martin, le futur Artemus Gordon de la série Les Mystères de l’ouest. Alors qu’il est sur le point d’éradiquer la faim dans le monde grâce à une découverte révolutionnaire, un accident le laisse sans vie. Il laisse derrière lui une famille éplorée et une communauté scientifique dévastée. Mais tout n’est peut-être pas perdu…

William Spensser, le père de Jeremy, est un grand chirurgien. Refusant cette perte déchirante, il récupère dans le plus grand secret le cerveau de son fils qu’il installe dans son laboratoire et relie à des instruments de mesure. Pour tester la vaillance de cette matière grise encore en activité, le savant lui dicte des exercices de mathématique et de physique. Mis dans la confidence, Henry Spensser, le frère aîné du défunt, s’offusque légitimement. « C’est mal » s’écrie-t-il. Mais la réponse de son père illuminé est sans appel : « c’est empêcher Jeremy de travailler qui est mal ». Car Spensser Sr se comporte bientôt comme un docteur Frankenstein, tellement obnubilé par ses recherches qu’il en oublie toute répercussion éthique ou morale. Ce père, qui semble moins d’attacher au lien affectif avec son fils qu’à la perte d’un cerveau scientifique de grande valeur, est sans conteste le personnage le plus intéressant du film, incarné avec conviction par Otto Kruger (La Cinquième colonne, Le Train sifflera trois fois). Maintenant que le cerveau a prouvé qu’il fonctionnait correctement, William veut que son fils, spécialiste de l’automatisation, lui donne un corps artificiel. Or ce dernier est en proie à des émotions contraires. Jaloux depuis toujours de son cadet, il convoite aujourd’hui sa veuve Anne…

Un nouveau Golem

Le premier quart d’heure du Colosse de New York souffre d’une mise en scène statique, un peu théâtrale, les comédiens s’inscrivant dans des cadres figés pour débiter des dialogues un peu trop écrits pour sonner juste. Cette sensation est accentuée par une bande originale qui sera entièrement jouée au piano durant toute la durée du métrage, sans le recours à d’autres instruments. Ce choix étrange est moins artistique que logistique, puisque nous sommes alors en pleine grève des musiciens. Le compositeur Nathan Lang Van Cleave (Robinson Crusoe sur Mars, la Quatrième dimension) interprète donc seul sa partition au clavier. Mais lorsque le robot intervient, Eugène Lourié retrouve son sens de la stylisation, dès ce plan fixe d’un laboratoire vide sur le mur duquel se projette une grande ombre humanoïde encore énigmatique. La caméra se déplace vers un téléphone, empoigné par le frère, qui se redresse pour être cadré dans le même plan que l’ombre du colosse. Une coupe nous révèle alors un gros plan du robot. Si la science a remplacé l’alchimie, cette créature a tous les atours physiques du Golem des vieilles légendes juives, un retour aux sources que nous rappelle sans cesse cette bande originale minimaliste ancrée plusieurs décennies dans le passé. Son allure est impressionnante : une carcasse métallique immense (endossée par le cascadeur Ed Wolff), flanquée d’une espèce de toge qui renforce son caractère atemporel. Sa voix électronique est à la fois effrayante et pathétique, notamment lorsqu’il prononce son premier mot : « father ». Le père, le créateur, l’éternel Prométhée moderne.  Et de fait, l’éveil à la vie du robot et ses premiers pas évoquent beaucoup le Frankenstein de James Whale. Quant au hurlement électronique qu’il pousse en découvrant son reflet dans un miroir, il est glaçant. Le potentiel du Colosse de New York est donc immense et plusieurs séquences s’avèrent fascinantes, notamment celles qui lient la créature et Billy, le fils de Jeremy. Mais le film souffre d’un cruel manque de moyens, amenuisant considérablement l’impact de sa séquence finale. La figuration chiche, le décor d’une désarmante sobriété et quelques flagrants raccords de montage mettent sérieusement à mal ce climax, qui aurait mérité beaucoup plus de panache. Ce qui n’enlève rien aux qualités de cette nouvelle variante sur le thème éternel de l’apprenti-sorcier.

 

© Gilles Penso

 

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