WALLACE ET GROMIT : LE MYSTÈRE DU LAPIN-GAROU (2005)

Le génial duo créé par les joyeux drilles d’Aardman affronte un lapin géant mutant au beau milieu du concours de la plus belle carotte…

WALLACE AND GROMIT : THE CURSE OF THE WERE-RABBIT

 

2005 – GB

 

Réalisé par Steve Box et Nick Park

 

Avec les voix de Peter Sallis, Ralph Fiennes, Helena Bonham Carter, Peter Kay, Nicholas Smith, Liz Smith, John Thomson, Mark Gatiss, Vincent Ebrahim

 

THEMA MAMMIFÈRES

Avec Le Mystère du lapin-garou, Wallace et Gromit quittent enfin le format court pour s’aventurer dans un long-métrage digne de la folie douce que nous leur connaissons. Après les cultissimes Une grande excursion, Un mauvais pantalon et Rasé de près, le duo le plus british de l’histoire de l’animation en pâte à modeler s’offre donc une grande aventure à la fois absurde, attachante et délicieusement rétro. Il ne s’agit certes pas du premier long du studio Aardman – Chicken Run avait ouvert la voie cinq ans plus tôt -, mais après ce galop d’essai indiscutablement réussi, Wallace, l’inventeur lunaire accro au fromage, et Gromit, son chien flegmatique et muet, partent enfin à la conquête des salles de cinéma (même si leurs aventures courtes avaient eu l’occasion d’être présentées sur grand écran à la faveur de compilations de plusieurs pépites d’Aardman). Nichés dans leur village anglais gentiment caricatural, les deux compères gèrent Anti-Pesto, une entreprise de dératisation éthique spécialisée dans la capture des lapins qui menacent les potagers du coin. Mais à l’approche du grand concours annuel de légumes, une créature étrange – gigantesque, poilue, et mystérieusement attirée par les carottes – commence à ravager les récoltes. Le « lapin-garou » est lâché dans la nature, et seuls Wallace et Gromit semblent en mesure de l’arrêter…

Nick Park et Steve Box orchestrent ce récit déjanté comme une comédie d’aventure teintée de film d’horreur à l’ancienne. On y retrouve donc des échos de Frankenstein, Le Loup-garou ou King Kong, auxquels le film rend des hommages assumés. Chaque décor regorge de détails savoureux – affiches absurdes, mécanismes improbables, objets détournés – et la mise en scène déborde d’élégance et de rythme. Merveilleux jeu d’équilibre entre l’artisanat – induit par la technique de l’animation image par image – et les codes du blockbuster d’animation, Le Mystère du lapin-garou ne perd jamais de vue son atout majeur : ses personnages. Gromit, sans prononcer un mot, exprime plus par un regard ou un soupir qu’une ribambelle de dialogues. Wallace, quant à lui, continue d’explorer la science avec le même mélange d’enthousiasme et d’inconscience. Et c’est justement une de ses inventions, le Mind-O-Matic, qui va déclencher le chaos.

Gare au garou !

La finesse du casting vocal est la cerise sur le gâteau, ou plutôt sur la carotte. Peter Sallis reprend son rôle de Wallace avec la bonhommie qu’on lui connaît, tandis que Ralph Fiennes et Helena Bonham Carter donnent vie à deux nouveaux personnages hauts en couleurs : le vaniteux Lord Quartermaine, caricature du mâle alpha obsédé par la chasse, et Lady Tottington, passionnée de nature et sensible au charme de Wallace. Ce triangle improbable offre au film un soupçon de romance naïve, tout en consolidant sa critique joyeuse des archétypes britanniques. Modèle de narration et d’humour visuel, ce premier Wallace et Gromit version longue alterne avec brio gags burlesques et références cinéphiles, avec un sens du tempo impeccable. Récompensé par l’Oscar du meilleur film d’animation en 2006, le film est aussi un exploit technique : cinq années de production, plus de cent animateurs, des décors miniatures hallucinants. Un travail de patience et de minutie pour obtenir en moyenne trois secondes utiles par jour. Aujourd’hui encore, l’émerveillement reste intact. En rupture technologique assumée avec les productions Pixar ou DreamWorks qui crevaient les écrans à la même époque, Wallace et Gromit : le Mystère du lapin-garou n’a pas pris une ride. Un second long-métrage lui succèdera deux décennies plus tard : Wallace et Gromit : la palme de la vengeance.

 

© Gilles Penso

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PRINCE D’ÉGYPTE (LE) (1998)

Le studio Dreamworks réinvente Les Dix Commandements et produit à cette occasion l’un de ses plus beaux longs-métrages d’animation…

THE PRINCE OF EGYPT

 

1998 – USA

 

Réalisé par Brenda Chapman, Steve Hickner, Simon Wells

 

Avec les voix de Val Kilmer, Ralph Fiennes, Michelle Pfeiffer, Sandra Bullock, Jeff Goldblum, Danny Glover, Patrick Stewart, Helen Mirren, Steve Martin, Martin Short

 

THEMA DIEU, LA BIBLE, LES ANGES

Le Prince d’Égypte n’est pas un dessin animé comme les autres. Il s’inscrit clairement dans la volonté du studio Dreamworks d’aborder avec les films d’animation des sujets plus complexes et plus adultes qu’à l’accoutumée. Cette tendance, amorcée avec Fourmiz, atteint ici son apogée. Les épisodes les plus crus de l’histoire de Moïse – la dureté de l’esclavage, l’horreur des dix plaies d’Égypte – y sont abordés sans détour, et les rapports humains priment sur la reconstitution à grand spectacle. Ce traitement permet également à Dreamworks de s’éloigner du style entériné par les productions animées Disney depuis Blanche Neige et les sept nains. « Nous ne cherchons pas à faire de la concurrence à Disney », nous confiait à ce propos Jeffrey Katzenberg, co-fondateur de Dreamworks et responsable du département animation. « J’aime le style Disney. Il me plaisait lorsque j’y travaillais et il me plaît toujours. Je trouve notamment Mulan très réussi. Mais si l’on fait un petit calcul, on se rend compte que chaque année, on produit plus de longs métrages traditionnels qu’il n’y a eu de films d’animation depuis l’invention du cinéma ! Et 95 % de ces longs métrages animés adoptent le style Disney. Je suis persuadé qu’on peut traiter d’autres histoires, et sur d’autres tons, sans se priver pour autant de moyens conséquents et de visions spectaculaires. » (1) C’est de toute évidence la voie qu’ont choisie les coréalisateurs Brenda Chapman, Steve Hickner et Simon Wells.

Jusqu’alors, la référence ultime en termes de retranscriptions sur grand écran des aventures de Moïse et de ses prises de bec homériques avec son demi-frère Ramsès était Les Dix Commandements de Cecil B. De Mille. Le Prince d’Égypte lui emboîte le pas sans rougir, assumant totalement l’influence incontournable ce prestigieux prédécesseur pour mieux s’en défaire et offrir une vision neuve. Guidés à la fois par l’esthétique des gravures de Gustave Doré, des peintures de Claude Monet, des films de David Lean et Steven Spielberg, les trois cinéastes osent des images surréalistes inédites, comme les bancs de poissons et les baleines qui nagent à travers les murs d’eau de la mer Rouge fendue en deux ou une poursuite de chars ébouriffante à faire pâlir Ben-Hur. Techniquement, Le Prince d’Égypte fait d’ailleurs figure d’exception puisqu’à l’époque, aucun long métrage animé n’avait autant mis à contribution les effets spéciaux numériques et les images de synthèse, sans pour autant retirer au film son look de dessin animé en 2D. Nous ne sommes pas dans Fourmiz ou dans Shrek.

« Deliver us ! »

Mais si Le Prince d’Égypte a tant marqué les mémoires, c’est moins pour la qualité de ses séquences spectaculaires que pour sa capacité à saisir la fibre émotionnelle des spectateurs. Pour y parvenir, le film s’appuie sur un scénario en béton, un casting vocal de très haut niveau et une superbe bande originale co-écrite par Hans Zimmer (pour la musique) et Stephen Schwartz (pour les chansons). Le pari n’était pourtant pas gagné. « Les gens étaient un peu effrayés par le concept au départ », confirme la productrice Penney Finkelman Cox. « Le mariage entre la Bible, la musique et le cartoon ne les rassurait guère. » (2) Investir 80 millions de dollars dans un tel projet a dû provoquer quelques frissons en haut lieu. Mais le résultat en valait largement la peine. Les chansons se greffent d’ailleurs de manière organique à la narration, à tel point qu’elles interviennent souvent en amont du scénario et des storyboards afin que la dramaturgie puisse les intégrer directement. « Nous avons tenu à ne jamais interrompre le récit pour laisser place aux chansons, contrairement aux comédies musicales classiques », explique Schwartz. « Les chansons font partie intégrante de la narration. C’est notamment ce qui permet de faire tenir une aussi longue histoire sur seulement 90 minutes. Une chanson permet de grandes ellipses. » (3). Réentendre aujourd’hui les voix des chanteurs et des comédiens s’entremêler tout au long de ce drame biblique aux répercussions universelles procure toujours autant de frissons. Avant d’être un grand film d’animation, Le Prince d’Égypte est un grand film, tout simplement. Et qui n’a pas pris une ride.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 1998

 

© Gilles Penso

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ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (1951)

En cherchant à adapter la prose insolite de Lewis Carroll, Walt Disney se lance dans un film animé bizarre qui déroutera les spectateurs à sa sortie…

ALICE IN WONDERLAND

 

1951 – USA

 

Réalisé par Clyde Gernonimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske

 

Avec les voix de Kathryn Beaumont, Ed Wynn, Richard Haydn, Sterling Holloway, Jerry Colonna, Verna Felton, J. Pat O’Malley, Bill Thompson, Heather Angel

 

THEMA CONTES

L’ombre d’Alice plane sur Disney depuis ses balbutiements. Bien avant que Blanche-Neige ne croque sa pomme ou que Cendrillon ne perde sa pantoufle, Walt Disney avait déjà tenté d’apprivoiser la petite fille en robe bleue dans une série de courts-métrages muets, les Alice Comedies. Mais adapter Alice au pays des merveilles en long-métrage animé s’avérera une autre paire de gants. Car là où les contes classiques obéissent à une morale et une progression linéaire, le chef-d’œuvre de Lewis Carroll explose les cadres, se moque des conventions narratives et plonge tête la première dans un absurde jubilatoire. Ce sera le pari très risqué du studio en 1951, celui de tenter effrontément de discipliner le chaos. Le résultat est un ovni visuel, un prototype psychédélique avant l’heure, désavoué à sa sortie, boudé par le public, et même renié par Walt Disney lui-même. Pourtant, ce film étrange, composite et déroutant s’imposera dès la décennie suivante comme un classique culte, adulé par une nouvelle génération de spectateurs bien décidés à suivre Alice dans son trip coloré.

Il faut dire que le développement du film tient du parcours d’obstacles. Les scénaristes, dépassés par la structure éclatée du roman, jettent l’éponge les uns après les autres. Trop de personnages, trop de dialogues absurdes, trop d’irrévérence. Même les premières tentatives de story-board, confiées à David Hall, flirtent dangereusement avec l’horreur : un chat du Cheshire cauchemardesque, un Chapelier Fou armé de ciseaux… On comprend vite que l’adaptation fidèle est impossible. Il faut inventer une autre Alice. Ce sera celle de Mary Blair, artiste moderniste, dont les aplats de couleurs et les décors stylisés imposent une rupture esthétique radicale. Exit les gravures victoriennes de John Tenniel, place à une Alice pop avant l’heure, évoluant dans un monde aux contours mouvants, saturé de couleurs irréelles et de formes grotesques. Rarement Disney aura autant flirté avec l’avant-garde. Avec ses cinq réalisateurs (dont trois seulement seront crédités au générique), sa structure éclatée et son absence manifeste de logique narrative, Alice au pays des merveilles se vit quasiment comme un rêve éveillé…

Psychédélique avant l’heure

Ce foisonnement visuel masque mal une impasse dramatique. Car sans réel fil conducteur, Alice traverse les séquences comme un fantôme curieux, passive face aux événements absurdes qui s’enchaînent. Mais c’est précisément dans cette errance que le film trouve sa force. Alice au pays des merveilles ne cherche pas à plaire, il dérange, amuse, déconcerte. Il est l’antithèse du « happy ending » balisé, une fête foraine mentale où les règles sont pulvérisées à chaque tournant. Voilà qui explique pourquoi le public de 1951 ne s’y retrouve pas. Pas de chansons mémorables comme chez Cendrillon, pas d’émotion à fleur de peau comme dans Dumbo, juste un étrange ballet d’absurdités. Mais le temps donnera raison à cette curiosité maladroite. Car Alice, l’enfant rebelle qui refuse de grandir, devient l’icône parfaite d’un cinéma qui cherche à sortir du cadre, d’une animation qui ose perdre le contrôle. Aujourd’hui, Alice au pays des merveilles est reconnu pour ce qu’il est : un chef-d’œuvre marginal, un objets curieux qui a su faire rimer expérimental avec enchantement. C’est aussi une nouvelle preuve des audaces artistiques parfois inconscientes dont fit souvent preuve Walt Disney, trop souvent considéré comme un businessman avisé féru de formules prudentes et codifiées. Qui d’autre que lui aurait osé des folies telles que Fantasia ou cette Alice irrévérencieuse ?

 

© Gilles Penso

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CHICKEN RUN (2000)

Pour son premier long-métrage, le studio Aardman raconte la tentative d’évasion rocambolesque des pensionnaires d’un poulailler…

CHICKEN RUN

 

2000 – USA

 

Réalisé par Nick Park et Peter Lord

 

Avec les voix de Julia Sawalha, Mel Gibson, Phil Daniels, Lynn Ferguson, Rony Haygarth, Jane Horrocks, Miranda Richardson, Timothy Spall, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Avec Chicken Run, le studio Aardman frappe un grand coup. Connus jusque-là pour leurs courts-métrages (notamment trois aventures désopilantes de Wallace & Gromit), Nick Park et Peter Lord osent en 2000 le pari du long-métrage en stop-motion, avec l’appui du studio DreamWorks. Le concept naît d’une boutade : « La Grande évasion avec des poules ! » L’intrigue se déroule dans une ferme anglaise qui ressemble davantage à un camp de prisonniers qu’à un paisible poulailler. Ginger, poule aussi courageuse que lucide, rêve de s’enfuir. Mais ses multiples tentatives échouent, jusqu’au jour où débarque Rocky, un coq américain littéralement venu du ciel, puisqu’il a été catapulté par un cirque ambulant. Macho en diable, l’oiseau prétend savoir voler, et Ginger y voit aussitôt le moyen de libérer toutes ses congénères. Le problème, c’est que Rocky roule des mécaniques et fait le fier, mais il n’a jamais volé de sa vie ! En surface légère et burlesque, cette histoire se double d’un sous-texte lié à la liberté, la résistance et l’émancipation. Car la glaciale fermière Tweedy voit ses poules non comme des êtres vivants, mais comme une ressource à rentabiliser. Lassée des œufs, elle investit dans une machine à tourtes et transforme ainsi le poulailler en abattoir programmé. C’est là que l’intrigue bascule…

En décidant de mettre en scène des personnages inédits plutôt que les très populaires Wallace et Gromit, Nick Park et Peter Lord prennent un risque calculé, persuadés que les volailles ont un potentiel comique énorme, tout en s’avérant capables de susciter l’empathie des spectateurs. On s’amusera d’ailleurs à noter les points communs physiologiques que ces gallinacées ont avec Wallace (y compris les dents !). Chicken Run aura nécessité trois ans et demi de travail, intégrant même une période de recherches sur le terrain, notamment la visite d’un élevage de poules dans le Yorkshire. Quand on sait à quel point le procédé de la stop-motion est long et minutieux, même si l’on multiplie les plateaux de tournage pour optimiser les plannings, on ne s’étonne pas outre-mesure de ce temps de gestation. « Nous avons passé les deux premières années et demie à concevoir les personnages et à faire le storyboard », raconte Peter Lord. « Le tournage, lui, a duré 18 mois. Au départ, nous n’étions que deux à écrire dans une pièce tranquille, et à la fin, nous travaillions avec un groupe d’environ 250 personnes. C’était donc un véritable travail d’équipe à grande échelle. » (1) Un travail payant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Poule position

Le casting vocal joue beaucoup dans le lien qui se tisse entre le public et les personnages. À ce titre, choisir Mel Gibson pour incarner Rocky est une sacrée trouvaille. « Peter et moi l’avons rencontré pour la première fois lors d’une cérémonie des Oscars, et il nous a invités à déjeuner dans son restaurant favori », raconte Nick Park. « Nous avons alors découvert qu’il était fan de Wallace et Gromit. Plus tard, lorsque nous avons regardé Maverick, son personnage n’était pas très éloigné de Rocky. Nous avons testé ses répliques en volant celles de Maverick et en les animant avec sa voix. Nous avons alors compris qu’il serait parfait. » (2) Julie Sawalha ne démérite pas dans le rôle de Ginger. Judicieusement, la version française choisit Gérard Depardieu et Valérie Lemercier pour les remplacer. Si le film a su marquer les esprits, c’est surtout parce qu’il ne prend jamais son public de haut. Il amuse les enfants et délecte les adultes sans jamais sacrifier ni l’un ni l’autre. Le cinéphile, lui, se régalera de l’infinité de références dont se gorge le film – principalement puisées dans le cinéma de guerre et d’aventure de l’âge d’or hollywoodien. Avec Chicken Run, Aardman pose la première pierre d’une filmographie unique en son genre. Drôle, inventif, palpitant, ce film d’évasion en argile n’a rien perdu de sa saveur, la stop-motion ayant l’inestimable avantage de moins vieillir que les images de synthèse, puisqu’il s’agit d’une technique artisanale résolument atemporelle et universelle.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview réalisée pour la BBC en 2000.

 

© Gilles Penso

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CENDRILLON (1950)

Mis à mal par la Seconde Guerre mondiale, le studio Disney renaît de ses cendres grâce à ce conte de fée qui servira de modèle à tous les autres…

CINDERELLA

 

1950 – USA

 

Réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske

 

Avec les voix de Ilene Woods, James G. MacDonald, Eleanor Audley, Rhoda Williams, Lucille Bliss, Luis Van Rooten, Verna Felton, William Phipps, June Foray

 

THEMA CONTES

Quand Cendrillon sort sur les écrans en 1950, le studio Disney n’a plus droit à l’erreur. Presque une décennie s’est écoulée depuis Bambi, et les caisses ne sont plus autant remplies qu’avant. La Seconde Guerre mondiale a condamné l’empire de Mickey à multiplier les films à sketchs (Mélodie Cocktail, Coquin de printemps…), tandis que Fantasia et Pinocchio, malgré leur génie artistique, ont plombé les finances. Le conte de Perrault, resté longtemps en suspens, devient alors une mission de sauvetage. Car si cette production à trois millions de dollars ne rameute pas le public en masse, c’est la fin de l’animation chez Disney. Heureusement, la magie opère. Cendrillon marque en effet un retour triomphal aux longs-métrages animés et, plus encore, au conte de fées purs et durs. Car le film reprend l’équation gagnante de Blanche-Neige et les sept nains : une héroïne douce et persécutée, un château scintillant à l’horizon, un bestiaire attachant et des chansons qui font avancer le récit. Mais loin d’être une simple redite, Cendrillon affine la formule, la rend plus lisible, plus fluide, plus «disneyenne» en somme.

Si la mise en scène peut sembler sage comparée à l’inventivité visuelle des opus précédents, c’est que chaque plan a été savamment pensé en amont. Près de 90 % des séquences ont été tournées en prises de vue réelles avant d’être animées, un procédé économique mais aussi terriblement efficace. La scène du bal, par exemple, tire sa force de cette précision millimétrée qui transforme une valse en quasi-rituel magique. La robe de Cendrillon, surgissant sous les étincelles de la bonne fée, devient une icône instantanée de l’imaginaire collectif. Mais la vraie trouvaille du film, ce sont les souris. Jacques et Gus-Gus, fripouilles au grand cœur, volent la vedette dans des séquences de cartoon pur. À travers eux, l’humour s’invite dans un conte souvent moralisateur. Le chat Lucifer, pantin du mal domestique, en est le parfait contrepoint : sournois, grotesque, savoureusement cruel. Ces scènes animalières, qui auraient pu alourdir le récit, donnent au contraire un relief burlesque qui équilibre le classicisme du reste.

L’empire Disney contre-attaque

Sur le plan narratif, le film joue la simplicité : pas de quête épique, juste l’espoir d’échapper à une vie de servitude. Le prince, pour sa part, est réduit à un pur symbole : il n’a ni nom, ni personnalité, juste une fonction. Et c’est bien Cendrillon qui porte le film. Sa résilience silencieuse et sa douceur sans mièvrerie en font l’archétype même de la princesse Disney, matrice de toutes celles qui suivront. Bien sûr, la symbolique de l’ascension sociale de notre héroïne – rendue possible à condition de gentiment se conformer aux usages princiers et à une future vie de femme au foyer qu’on imagine docile – semble aujourd’hui très datée. Nous sommes alors au début des années 50, et Cendrillon est le reflet logique des mentalités de l’époque. Il n’empêche qu’au moment de sa sortie en salles, le film est un succès colossal, sauve les studios, relance le merchandising, et marque l’entrée de Disney dans une nouvelle ère. En coulisses, Walt se détache peu à peu du dessin animé pour se tourner vers la télévision, les films live, et un certain parc à thème en Californie. Mais Cendrillon reste la pierre angulaire de ce tournant, une œuvre-charnière, à la fois fin d’un cycle et promesse du retour triomphal d’un empire vacillant.

 

© Gilles Penso

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GÉANT DE FER (LE) (1999)

Le premier long-métrage de Brad Bird est un chef d’œuvre de SF contant dans l’Amérique des années 50 l’amitié entre un jeune garçon et un robot…

THE IRON GIANT

 

1999 – USA

 

Réalisé par Brad Bird

 

Avec les voix de Eli Marienthal, Harry Connick Jr., Jennifer Aniston, Vin Diesel, James Gammon, Cloris Leachman, Christopher McDonald, John Mahoney

 

THEMA ROBOTS

À la fin des années 90, un vent d’audace souffle sur les studios Warner. Tandis que Disney domine le marché avec ses comédies musicales animées, un projet radicalement différent voit le jour : Le Géant de fer. À sa tête, Brad Bird, un ancien de chez Mickey désireux de faire bouger les lignes, après être passé par Les Simpsons où il aiguise sa narration et son sens du rythme. L’idée vient du roman The Iron Man, écrit par le poète Ted Hughes à l’attention de ses enfants. Embauché par Warner qui en a acquis les droits d’adaptation, Brad Bird propose de transposer l’histoire dans l’Amérique paranoïaque des années 50, au beau milieu de la guerre froide. Il injecte dans le scénario une vision personnelle, plus dramatique, en supprimant les chansons prévues initialement. Pas question pour lui de faire du Géant de fer une comédie musicale. Le film bénéficie d’une liberté créative rare pour un film de studio. Affichée sur les murs pendant la production, la question « Et si une arme avait une âme… et refusait de tuer ? » finit par devenir le mantra de tous les artistes à l’œuvre sur le film, reflétant la volonté de l’équipe de donner une dimension humaine au robot vedette. Loin des standards du genre, Le Géant de fer se dessine alors comme un OVNI. Ni conte musical, ni comédie familiale, il s’agira d’une fable pacifiste portée par une mise en scène d’une rare maturité.

Rockwell, Maine, 1957. Une nuit, un objet mystérieux tombe du ciel et s’écrase dans la mer. Le jeune Hogarth Hughes, rêveur invétéré et amateur de science-fiction, finit par le retrouver. C’est un robot géant, de plusieurs mètres de haut, aux yeux expressifs et à la curiosité d’enfant. Amnésique, pacifique et affamé de ferraille, le colosse devient l’ami improbable du garçon, qui s’efforce de le garder caché du monde. Avec l’aide de Dean, un ferrailleur marginal au look de beatnik, Hogarth installe le robot dans une décharge, où il peut s’alimenter sans alerter les autorités. Mais un agent du gouvernement, Kent Mansley, débarque en ville, bien décidé à enquêter sur les phénomènes étranges rapportés par les pêcheurs. Il flaire le mensonge du garçon et s’installe même chez les Hughes pour mieux le surveiller. À mesure que leur amitié se renforce, Hogarth découvre les capacités extraordinaires du géant… mais aussi ses zones d’ombre. Lorsqu’il est menacé, le robot semble activer un mode défensif redoutable, révélant une technologie de guerre enfouie. Qui est-il vraiment ? Une arme ? Un être pensant capable de choisir sa voie ?

« Et si une arme avait une âme ? »

À sa sortie en 1999, Le Géant de fer passe presque inaperçu. Et pourtant, vingt-cinq ans plus tard, il est devenu culte, considéré par beaucoup comme l’un des plus beaux films d’animation de tous les temps. Porté par une mise en scène d’une étonnante sobriété, le premier long-métrage de Brad Bird touche par ce qu’il évite : pas d’humour forcé, pas de clins d’œil appuyés, pas de morale assénée. À la place, une élégance discrète et une émotion à fleur de peau. Le design du robot, œuvre du talentueux Joe Johnston — maître d’œuvre de plusieurs concepts visuels de la première trilogie Star Wars et réalisateur de Rocketeer — est un modèle de lisibilité graphique. Son apparente simplicité, avec ses formes géométriques rétro et ses yeux lumineux, cache une expressivité bouleversante. Le géant n’a ni bouche ni sourcils, et pourtant il « joue », à la manière d’un acteur silencieux du muet. La musique de Michael Kamen accompagne ce ballet d’acier avec une douceur inattendue. Le compositeur livre ici une œuvre ample, mélodique, lyrique, qui épouse les émotions du récit. Enfin, difficile de ne pas saluer la finesse de l’écriture. Les personnages secondaires — notamment Dean, l’artiste outsider et Annie, mère courage — sont dessinés avec tendresse, tandis que le regard porté sur l’Amérique des années 50 évite la caricature. Le Géant de fer parle de choix, de peur, de sacrifice… mais aussi, et surtout, d’humanité. Un chef-d’œuvre discret qui continue de grandir avec le temps.

 

© Gilles Penso

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VOYAGE DE CHIHIRO (LE) (2001)

Après Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki imagine l’aventure initiatique d’une fillette perdue dans un monde à la fois magique et cauchemardesque…

SEN TO CHIHIRO NO KAMIKAKUSHI

 

2001 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Rumi Hiiragi, Miyu Irino, Mari Natsuki, Takashi Naitô, Yasuko Sawaguchi, Tatsuya Gashûin, Ryûnosuke Kamiki, Yumi Tamai, Yô Ôizumi

 

THEMA CONTES

En 1997, après l’immense aventure Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki songe à prendre du recul. L’homme, perfectionniste jusqu’à l’obsession, sort exténué de la production. Son rêve ? Se consacrer au musée Ghibli et enfin laisser les jeunes prendre le relais. Mais la disparition prématurée de Yoshifumi Kondō, pressenti comme son successeur, le bouleverse. L’idée de raccrocher s’éloigne… Peu à peu, un nouveau projet prend forme. À l’origine, Miyazaki pense adapter La Cité des brumes oubliées de Sachiko Kashiwaba, l’histoire d’une fillette prisonnière d’un monde étrange. Si le projet est d’abord refusé, l’idée reste tapie dans un coin de sa tête. Tout change lorsqu’il séjourne chez un ami à la montagne. Là, cinq fillettes en vacances mettent son imagination en ébullition. L’une d’elles, discrète, un peu renfermée, l’inspire particulièrement. Miyazaki comprend qu’il n’a encore jamais directement parlé aux enfants de cet âge. Il décide de leur offrir une héroïne à leur image. Ainsi naît Chihiro. Le décor du film, une maison peuplée de créatures mythologiques, s’ancre dans un imaginaire japonais ancien. Miyazaki y injecte aussi une dimension plus personnelle. Car cette fourmilière en perpétuelle activité évoque le quotidien du studio Ghibli lui-même, avec sa hiérarchie, ses responsabilités, son rythme effréné. Le personnage de Yubaba ? Un clin d’œil à Toshio Suzuki, le producteur. Kamaji, l’homme-araignée du sous-sol ? Un double à peine déguisé de Miyazaki. Mais au-delà de l’autoportrait et de l’hommage au folklore nippon, Le Voyage de Chihiro sera avant tout une quête universelle.

Chihiro, dix ans, est en route vers sa nouvelle maison quand ses parents s’égarent et découvrent un parc à l’abandon. Attirés par la nourriture d’un étrange stand désert, ils s’empiffrent sans retenue… et se changent en porcs. Terrifiée, Chihiro se retrouve piégée dans un univers parallèle, un monde d’esprits où la magie et la tradition se mêlent à la cruauté. Pour survivre, elle doit accepter un contrat dans la maison de Yubaba. Son nom lui est arraché, son identité effacée : elle devient « Sen ». Dans cet univers codifié, on ne s’impose qu’à la force du labeur et du courage. Nettoyer un dieu-pollué, supporter les caprices d’un bébé géant, résister aux illusions de l’or, autant d’épreuves qui, à chaque étape, forgent son caractère. Autour d’elle gravitent des figures ambivalentes : Kamaji le grincheux au grand cœur, Haku l’ambigu serviteur-dragon, l’effrayant Sans-Visage, créature qui révèle ce que chacun veut y voir. Tous incarnent des leçons de vie : la loyauté, la perte, l’attachement au nom. En regagnant son identité, Chihiro se sauvera elle-même et sauvera ses parents, métaphore évidente de l’enfant qui doit grandir pour libérer ceux qui l’ont élevé.

Chihiro au pays des merveilles

Si Le Voyage de Chihiro semble si déconnecté des codes du cinéma mondial, c’est d’abord parce que Miyazaki l’a construit sans script finalisé, laissant le récit se façonner au fil du storyboard. Cette méthode organique, si risquée en termes de production, se traduit à l’écran par une fluidité presque instinctive. L’animation mêle avec brio dessin traditionnel et retouches numériques subtiles (liquides, reflets, jeux de lumière…). Mention spéciale au travail minutieux de la coloriste Michiyo Yasuda et à la partition envoûtante de Joe Hisaishi, qui offre au film une dimension émotionnelle intense. Avec plus de 20 millions d’entrées au Japon, le film est un triomphe qui détrône même Titanic. À l’international, il dépasse les 200 millions de dollars avant même sa sortie américaine. La critique est unanime. Certains y voient un Alice au pays des merveilles version shintoïste, d’autres saluent la subtilité de son discours écologique, spirituel et féministe. Mais au-delà de l’analyse, Le Voyage de Chihiro touche une corde universelle. C’est l’histoire de l’enfance qui se transforme, du nom qu’on oublie pour mieux se retrouver. C’est un conte, mais aussi une leçon de dignité, une ode au travail, au respect des traditions et à la persévérance. Couronné de l’Oscar du meilleur film d’animation en 2003, lauréat de l’Ours d’or à Berlin – une première pour un dessin animé -, Chihiro hisse l’anime au rang d’art majeur et prouve une fois de plus que Miyazaki est décidément un artiste unique en son genre.

 

© Gilles Penso

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BOSSU DE NOTRE-DAME (LE) (1996)

Les studios Disney proposent une nouvelle adaptation du classique de Victor Hugo, une de leurs productions les plus adultes

THE HUNCHBACK OF NOTRE-DAME

 

1996 – USA

 

Réalisé par Gary Trousdale et Kirk Wise

 

Avec les voix de Tom Hulce, Demi Moore, Kevin Kline, Tony Jay, Jason Alexander, Mary Wickes, Frank Welker

 

THEMA FREAKS

Les années 90 constituèrent le second âge d’or des studios Disney : sur le plan artistique, avec une nouvelle génération d’animateurs, mais aussi quantitativement, sous la direction de Jeffrey Katzenberg qui imposa la production d’un long-métrage animé par an dès 1988. Tel un rouleau compresseur, chaque millésime dominait le box-office international et s’accompagnait d’un raz-de-marée de produits dérivés qui déferlèrent dans les linéaires de nos supermarchés jusqu’aux menus enfants des fast-food. Une nouvelle adaptation de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo par Disney, aussi aseptisée allait-elle pouvoir être, constituait donc un projet osé de par l’absence de figures princières ou animalières se prêtant facilement à la production de poupées et jouets. Inconscience ou courage, c’est pourtant Katzenberg lui-même qui valide le projet et choisit judicieusement de le confier à Gary Trousdale et Kirk Wise, réalisateurs de La Belle et la Bête qui offrit aux studios Disney une nomination à l’Oscar dans la catégorie du meilleur film, et qui leur valut d’être déjà acclimatés à une certaine sensibilité française. Avec un rythme de productions requérant de travailler sur plusieurs films en parallèle, des studios satellites virent le jour pour soutenir les équipes principales de Californie, en Floride mais également en France, ce qui s’avéra payant pour le projet. Paul et Gaetan Brizzi, réalisateurs/animateurs sur les films d’animation Astérix des années 70 puis La Bande à Picsou pour Disney, se retrouvent ainsi à la tête du studio de Montreuil. Leur première mission sur Le Bossu de Notre-Dame est de reprendre à zéro le travail sur la séquence d’ouverture suite à l’ajout d’une chanson.

Cette séquence figure parmi les plus grandes réussites du studio. S’ouvrant sur une représentation divine des tours de Notre-Dame émergeant au-dessus des nuages pour tutoyer le paradis, le plan plonge ensuite sans coupe jusqu’au ras des pavés d’une rue animée de Paris dans laquelle les habitants déversent leur déchets, révélant en fin de course une vue en contre-plongée de la cathédrale, signifiant cette fois le point de vue terrestre et humain, une dichotomie au cœur de l’histoire, Quasimodo étant lui-même perçu comme un monstre issu des enfers et un ange salvateur. La suite de la séquence est à l’avenant : les cadres et l’animation, alliés à une partition et un texte au lyrisme d’une ambition narrative rare, contribuent à poser le ton du récit, d’un sérieux et d’une noirceur que les apartés comiques hors-sujet des gargouilles (la faute à Kirk Wise, plus porté sur le « cartoon » que le drame pur) ne parviendront jamais vraiment à éliminer. Les frères Brizzi réalisent une seconde séquence chantée mettant en scène Frollo en proie à ses démons intérieurs et son désir luxurieux réprimé pour Esmeralda (et bien que Disney ait pris soin de faire de reconvertir Frollo d’archevêque en juge, il n’en conserve pas moins une autorité cléricale). La partition d’Alan Menken (La Petite boutique des horreurs, La Petite sirène, Aladdin, La Belle et la Bête) et Stephen Schwartz (parolier et compositeur de Broadway à qui l’on doit Wicked) extrapolait déjà sur le « Dies Irae » lors de l’ouverture, soutenu par des cloches battant la mesure comme pour célébrer une messe. Pour la chanson « Hellfire » de Frollo, le même thème est repris dans une tonalité lugubre illustrant la dualité du personnage, son dilemme intérieur, entre vertu et instincts inavouables. De grandes figures encagoulées jettent l’opprobre sur le pêcheur alors que le feu dans la cheminée dessine la silhouette d’Esmeralda dansant lascivement ; dans le storyboard des Brizzi elle était nue, mais on ne s’étonnera pas que son anatomie soit cachée dans la version finale, la production anticipant les recommandations de la MPAA (qui ne demandera in fine qu’à atténuer la respiration aux accents lubriques du juge lorsqu’il renifle les cheveux d’Esmeralda) pour échapper à une classification PG (Parental Guidance) plutôt que U (tous publics) qui porterait préjudice à la carrière du film.

Il est venu le temps des cathédrales

Bien qu’une production Disney doive toujours se plier à un cahier des charges strict autour des thématiques jugées trop adultes, le choix de Demi Moore pour prêter sa voix à la flamboyante brune s’avère des plus évocateurs, car elle venait de tourner Proposition indécente, Harcèlement et Strip-Tease, sorti aussi en 1996, une façon de caractériser le personnage en utilisant des références connues des seuls parents. Si la contribution des frères Brizzi est essentielle, le reste du métrage ne démérite pas. Le Paris historique bénéficie notamment d’un degré de finition remarquable. L’animation est soignée, et l’on notera la qualité du travail de James Baxter (animateur de Belle et Rafiki) sur Quasimodo, dont les proportions ne facilitent pas le dessin sous des angles complexes. Voir par exemple l’excellente tenue de l’animation lors de la séquence « Out There » lorsque le personnage escalade ou glisse le long d’une cathédrale modélisée en 3D permettant d’amples mouvements de caméra. Le numérique viendra aussi renforcer les rangs des figurants lors de la fête des fous – ceux-ci paraissent bien rudimentaires aujourd’hui, mais la gestion de foule suivant une panoplie de mouvements standards annonce déjà le travail de WETA et leur logiciel Massive sur Le Seigneur des Anneaux. Le Bossu de Notre-Dame n’est pas le film d’animation Disney le plus populaire, mais après Pocahontas, il témoigne de l’émancipation artistique de la nouvelle génération d’animateurs en place depuis Basil, détective privé, mettant l’accent sur des histoires plus dramatiques centrées sur des personnages adultes plutôt que les éléments « disneyens » habituels. Une approche qui explique peut-être, en plus de la concurrence des films d’animations numériques Pixar et Dreamworks, le succès déclinant de l’animation traditionnelle. Le duo Trousdale/Wise se reformera une ultime fois pour Atlantide, l’empire perdu, une autre réussite inspirée de l’œuvre d’un autre auteur français, Jules Verne.

 

© Jérôme Muslewski

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PRINCESSE MONONOKE (1997)

La quête d’équilibre entre l’homme et la nature est au cœur de ce conte somptueux et tragique, peut-être l’une des plus belles œuvres d’Hayao Miyazaki…

MONONOKE-HIME

 

1997 – USA

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Yôji Matsuda, Yuriko Ishida, Yûko Tanaka, Kaoru Kobayashi, Masashiko Nishimura, Tsunehiko Kamijô, Sumi Shimamoto, Tetsu Watanabe

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I CONTES

Princesse Mononoke est le fruit d’une gestation longue et complexe, débutée dès la fin des années 1970 dans les carnets de croquis de Hayao Miyazaki. Initialement envisagée comme une adaptation sombre de La Belle et la Bête, l’histoire évolue au fil des années pour devenir une épopée mythologique ancrée dans l’ère Muromachi (1333-1573), une période charnière de l’histoire japonaise. Le projet est mis de côté pendant plusieurs années, notamment en raison de son ton jugé trop sombre pour une adaptation télévisée destinée aux enfants. Ce n’est qu’en 1995 que Miyazaki reprend le projet, transformant radicalement l’intrigue et les personnages pour aboutir à une œuvre plus complexe et ambitieuse. Le personnage principal devient Ashitaka, un jeune prince en quête de rédemption, tandis que la princesse San est élevée par des loups et incarne la lutte pour la préservation de la nature. La production du film s’annonce comme un véritable défi technique. Avec plus de 140 000 dessins à réaliser, dont 80 000 retouchés personnellement par Miyazaki, Princesse Mononoke repousse les limites de l’animation traditionnelle. Le film intègre également environ 10 % d’images de synthèse, principalement pour les effets de fluides et de particules, une première pour le Studio Ghibli.

L’histoire s’ouvre sur Ashitaka, un jeune prince d’une tribu reculée, qui est maudit après avoir tué un dieu sanglier devenu démoniaque. Condamné à une mort certaine, il part vers l’ouest à la recherche d’un remède. Son voyage le mène à la rencontre de Dame Eboshi, dirigeante de la forge des forges, une communauté industrielle qui exploite les ressources de la forêt pour prospérer. Eboshi est une femme forte et déterminée, offrant refuge à des femmes autrefois marginalisées et à des lépreux, mais sa quête de progrès menace l’équilibre naturel. Ashitaka découvre également San, une jeune femme élevée par des loups, qui lutte pour protéger la forêt et ses esprits contre les incursions humaines. Pris entre ces deux mondes, Ashitaka cherche à instaurer un dialogue et à rétablir l’harmonie entre l’homme et la nature. Le conflit atteint son paroxysme lorsque les forces humaines et les esprits de la forêt s’affrontent, menaçant de détruire tout sur leur passage. Ashitaka et San doivent alors faire des choix cruciaux pour l’avenir de leur monde.

Danse avec les loups

Rarement film d’animation aura su mêler avec autant de justesse le souffle du grand récit et la complexité morale d’une œuvre adulte. Il ne s’agit pas ici d’une simple lutte entre le bien et le mal, dans la mesure où tous les personnages agissent selon leur propre logique. San, l’héroïne sauvage, incarne la voix de la nature blessée, mais n’est pas exempte de rage destructrice. Dame Eboshi, pourtant responsable de la déforestation, est aussi une figure progressiste, émancipatrice, tournée vers un avenir meilleur pour les opprimés. Quant à Ashitaka, il n’est ni sauveur ni élu. C’est un médiateur imparfait, dont la quête de réconciliation est traversée de doutes. En cela, le film refuse le confort manichéen habituel du récit héroïque. Visuellement, Princesse Mononoke impressionne encore aujourd’hui par la richesse de son animation. Chaque plan fourmille de détails, chaque créature, du Dieu-cerf au sanglier corrompu, est animée avec puissance et subtilité. Le travail sur les textures, les sons organiques, le rythme hypnotique de certaines séquences confèrent au film une dimension quasi spirituelle. La sublime musique de Joe Hisaishi, sous l’influence assumée de la bande originale composée par James Horner pour Braveheart, amplifie cette impression de tragédie antique. Miyazaki livre ici un cri d’alarme percutant sur la rupture entre l’humain et la nature. Mais loin d’un discours pessimiste ou moralisateur, il y injecte des éclats de beauté, d’espoir et de grâce. Princesse Mononoke est un film sans victoire définitive, mais plein de promesses pour ceux qui cherchent à comprendre au lieu de dominer. À sa sortie en 1997, le film rencontre un succès phénoménal au Japon. Très impressionné, James Cameron y puisera allègrement pour bâtir les univers d’Avatar.

 

© Gilles Penso

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LILO ET STITCH (2002)

Une créature mutante, conçue par un savant fou extra-terrestre, s’échappe de sa planète et atterrit à Hawaï où elle rencontre une petite orpheline…

LILO & STITCH

 

2002 – USA

 

Réalisé par Dean DeBlois et Chris Sanders

 

Avec les voix de Daveigh Chase, Chris Sanders, Toa Carrere, David Ogden Stiers, Kevin McDonald, Ving Rhames, Zoe Caldwell, Jason Scott Lee, Susan Hegarty

 

THEMA EXTRA-TERRESTRE

Au début des années 2000, la machine Disney commence à battre de l’aile. Les tentatives de renouveau opérées avec des films comme Kuzco, l’empereur mégalo (2000) ou Atlantide, l’empire perdu (2001) ne remplissent pas les caisses comme prévu. Michael Eisner, alors à la tête de la firme aux grandes oreilles, cherche donc une idée inspirée sans doute par le triomphe de Dumbo qui, en 1941, avait réussi à faire oublier les échecs successifs de Pinocchio et Fantasia. Il décide donc de mettre en chantier un film peu coûteux mais qui puisse marquer les esprits. C’est dans cette optique qu’est exhumé un personnage oublié, griffonné en 1985 par un certain Chris Sanders pour un livre jeunesse jamais publié : Stitch, un « vilain petit canard » extraterrestre, à mi-chemin entre les Gremlins et Godzilla, affublé de la bouille d’un koala psychopathe. Ainsi naît Lilo et Stitch, qui sera orchestré par une équipe réduite bénéficiant d’une très grande liberté créative, mais – revers de la médaille – obligée de composer avec des moyens modestes. Après avoir initialement envisagé le Kansas, les coscénaristes et coréalisateurs Dean DeBlois et Chris Sanders décident de mettre le cap sur l’île de Kauai, à Hawaï, un décor à la fois paradisiaque et inédit dans l’histoire de l’animation Disney. Ce choix ne sera pas qu’esthétique. La culture hawaïenne imprègnera en effet le film en profondeur.

L’expérience 626, créature de laboratoire invincible conçue pour détruire tout ce qu’elle touche, échappe à ses geôliers intergalactiques et s’écrase sur la planète Terre, plus précisément, sur l’île de Kauai. En tombant sur ce mutant turbulent, Lilo, petite fille farouche et marginale, croit adopter un chien bizarre, le baptise Stitch et en fait son nouveau meilleur ami. Mais entre les catastrophes en série provoquées par la créature, les crises à répétition et les services sociaux qui menacent de séparer Lilo de sa grande sœur Nani, la cohabitation s’annonce explosive. Et ce ne sont pas Jumba et Pleakley, deux aliens bizarres chargés de récupérer Stitch, qui viendront apaiser les choses. Le film joue donc sans cesse la carte des contrastes. Au vernis SF pop et à la galerie de monstres cartoonesques répond une chronique familiale intime et mélancolique. Lilo n’est pas une héroïne Disney traditionnelle. Elle est peu sociable, excentrique, capricieuse. Stitch, lui, est un monstre agressif et brutal. Leurs douleurs respectives – solitude, rejet, peur d’être abandonnés – les rapprochent. Ensemble, ils vont apprendre à redéfinir ce qu’est une famille.

Grands écarts et anachronismes

Visuellement, Lilo et Stitch surprend dès les premières images. Car si la mise en couleur du film bénéficie des outils numériques et si la modélisation 3D permet notamment de concevoir les envolées des vaisseaux spatiaux, Sanders tient à employer la gouache traditionnelle, comme à l’époque de Blanche Neige et Pinocchio. Ce grand écart technologique n’est pas la moindre originalité de Lilo et Stitch, qui semble vouloir renforcer ce caractère singulier en invitant furtivement quelques éléments en prises de vues réelles (des photos d’Elvis Presley, des extraits du film The Spider) au beau milieu de l’animation. Les séquences de science-fiction pure – notamment celles du prologue – sont rehaussées par la musique orchestrale d’Alan Silvestri, tandis que l’ombre anachronique d’Elvis plane sur toute la BO. Lilo et Stitch s’impose donc à l’époque comme un ovni dans le monde formaté de Disney : pas de prince, pas de château, pas de chansons pour révéler les états d’âme des personnages. À la place, nous découvrons une chronique sociale sur la précarité, la résilience, le deuil et la reconstruction. Le film ose ainsi évoquer frontalement des blessures que le studio avait rarement osé explorer. Avec 145 millions de dollars au box-office américain, Lilo et Stitch offre au studio son plus gros succès depuis Tarzan (1999). Nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation (finalement battu par Le Voyage de Chihiro de Miyazaki), le film marque un tournant, celui d’un Disney plus personnel, moins codifié, capable de mêler science-fiction exubérante, comédie débridée et chronique sociale sans jamais perdre sa cohérence.

 

© Gilles Penso

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