PRINCESSE MONONOKE (1997)

La quête d’équilibre entre l’homme et la nature est au cœur de ce conte somptueux et tragique, peut-être l’une des plus belles œuvres d’Hayao Miyazaki…

MONONOKE-HIME

 

1997 – USA

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Yôji Matsuda, Yuriko Ishida, Yûko Tanaka, Kaoru Kobayashi, Masashiko Nishimura, Tsunehiko Kamijô, Sumi Shimamoto, Tetsu Watanabe

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I CONTES

Princesse Mononoke est le fruit d’une gestation longue et complexe, débutée dès la fin des années 1970 dans les carnets de croquis de Hayao Miyazaki. Initialement envisagée comme une adaptation sombre de La Belle et la Bête, l’histoire évolue au fil des années pour devenir une épopée mythologique ancrée dans l’ère Muromachi (1333-1573), une période charnière de l’histoire japonaise. Le projet est mis de côté pendant plusieurs années, notamment en raison de son ton jugé trop sombre pour une adaptation télévisée destinée aux enfants. Ce n’est qu’en 1995 que Miyazaki reprend le projet, transformant radicalement l’intrigue et les personnages pour aboutir à une œuvre plus complexe et ambitieuse. Le personnage principal devient Ashitaka, un jeune prince en quête de rédemption, tandis que la princesse San est élevée par des loups et incarne la lutte pour la préservation de la nature. La production du film s’annonce comme un véritable défi technique. Avec plus de 140 000 dessins à réaliser, dont 80 000 retouchés personnellement par Miyazaki, Princesse Mononoke repousse les limites de l’animation traditionnelle. Le film intègre également environ 10 % d’images de synthèse, principalement pour les effets de fluides et de particules, une première pour le Studio Ghibli.

L’histoire s’ouvre sur Ashitaka, un jeune prince d’une tribu reculée, qui est maudit après avoir tué un dieu sanglier devenu démoniaque. Condamné à une mort certaine, il part vers l’ouest à la recherche d’un remède. Son voyage le mène à la rencontre de Dame Eboshi, dirigeante de la forge des forges, une communauté industrielle qui exploite les ressources de la forêt pour prospérer. Eboshi est une femme forte et déterminée, offrant refuge à des femmes autrefois marginalisées et à des lépreux, mais sa quête de progrès menace l’équilibre naturel. Ashitaka découvre également San, une jeune femme élevée par des loups, qui lutte pour protéger la forêt et ses esprits contre les incursions humaines. Pris entre ces deux mondes, Ashitaka cherche à instaurer un dialogue et à rétablir l’harmonie entre l’homme et la nature. Le conflit atteint son paroxysme lorsque les forces humaines et les esprits de la forêt s’affrontent, menaçant de détruire tout sur leur passage. Ashitaka et San doivent alors faire des choix cruciaux pour l’avenir de leur monde.

Danse avec les loups

Rarement film d’animation aura su mêler avec autant de justesse le souffle du grand récit et la complexité morale d’une œuvre adulte. Il ne s’agit pas ici d’une simple lutte entre le bien et le mal, dans la mesure où tous les personnages agissent selon leur propre logique. San, l’héroïne sauvage, incarne la voix de la nature blessée, mais n’est pas exempte de rage destructrice. Dame Eboshi, pourtant responsable de la déforestation, est aussi une figure progressiste, émancipatrice, tournée vers un avenir meilleur pour les opprimés. Quant à Ashitaka, il n’est ni sauveur ni élu. C’est un médiateur imparfait, dont la quête de réconciliation est traversée de doutes. En cela, le film refuse le confort manichéen habituel du récit héroïque. Visuellement, Princesse Mononoke impressionne encore aujourd’hui par la richesse de son animation. Chaque plan fourmille de détails, chaque créature, du Dieu-cerf au sanglier corrompu, est animée avec puissance et subtilité. Le travail sur les textures, les sons organiques, le rythme hypnotique de certaines séquences confèrent au film une dimension quasi spirituelle. La sublime musique de Joe Hisaishi, sous l’influence assumée de la bande originale composée par James Horner pour Braveheart, amplifie cette impression de tragédie antique. Miyazaki livre ici un cri d’alarme percutant sur la rupture entre l’humain et la nature. Mais loin d’un discours pessimiste ou moralisateur, il y injecte des éclats de beauté, d’espoir et de grâce. Princesse Mononoke est un film sans victoire définitive, mais plein de promesses pour ceux qui cherchent à comprendre au lieu de dominer. À sa sortie en 1997, le film rencontre un succès phénoménal au Japon. Très impressionné, James Cameron y puisera allègrement pour bâtir les univers d’Avatar.

 

© Gilles Penso

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LILO ET STITCH (2002)

Une créature mutante, conçue par un savant fou extra-terrestre, s’échappe de sa planète et atterrit à Hawaï où elle rencontre une petite orpheline…

LILO & STITCH

 

2002 – USA

 

Réalisé par Dean DeBlois et Chris Sanders

 

Avec les voix de Daveigh Chase, Chris Sanders, Toa Carrere, David Ogden Stiers, Kevin McDonald, Ving Rhames, Zoe Caldwell, Jason Scott Lee, Susan Hegarty

 

THEMA EXTRA-TERRESTRE

Au début des années 2000, la machine Disney commence à battre de l’aile. Les tentatives de renouveau opérées avec des films comme Kuzco, l’empereur mégalo (2000) ou Atlantide, l’empire perdu (2001) ne remplissent pas les caisses comme prévu. Michael Eisner, alors à la tête de la firme aux grandes oreilles, cherche donc une idée inspirée sans doute par le triomphe de Dumbo qui, en 1941, avait réussi à faire oublier les échecs successifs de Pinocchio et Fantasia. Il décide donc de mettre en chantier un film peu coûteux mais qui puisse marquer les esprits. C’est dans cette optique qu’est exhumé un personnage oublié, griffonné en 1985 par un certain Chris Sanders pour un livre jeunesse jamais publié : Stitch, un « vilain petit canard » extraterrestre, à mi-chemin entre les Gremlins et Godzilla, affublé de la bouille d’un koala psychopathe. Ainsi naît Lilo et Stitch, qui sera orchestré par une équipe réduite bénéficiant d’une très grande liberté créative, mais – revers de la médaille – obligée de composer avec des moyens modestes. Après avoir initialement envisagé le Kansas, les coscénaristes et coréalisateurs Dean DeBlois et Chris Sanders décident de mettre le cap sur l’île de Kauai, à Hawaï, un décor à la fois paradisiaque et inédit dans l’histoire de l’animation Disney. Ce choix ne sera pas qu’esthétique. La culture hawaïenne imprègnera en effet le film en profondeur.

L’expérience 626, créature de laboratoire invincible conçue pour détruire tout ce qu’elle touche, échappe à ses geôliers intergalactiques et s’écrase sur la planète Terre, plus précisément, sur l’île de Kauai. En tombant sur ce mutant turbulent, Lilo, petite fille farouche et marginale, croit adopter un chien bizarre, le baptise Stitch et en fait son nouveau meilleur ami. Mais entre les catastrophes en série provoquées par la créature, les crises à répétition et les services sociaux qui menacent de séparer Lilo de sa grande sœur Nani, la cohabitation s’annonce explosive. Et ce ne sont pas Jumba et Pleakley, deux aliens bizarres chargés de récupérer Stitch, qui viendront apaiser les choses. Le film joue donc sans cesse la carte des contrastes. Au vernis SF pop et à la galerie de monstres cartoonesques répond une chronique familiale intime et mélancolique. Lilo n’est pas une héroïne Disney traditionnelle. Elle est peu sociable, excentrique, capricieuse. Stitch, lui, est un monstre agressif et brutal. Leurs douleurs respectives – solitude, rejet, peur d’être abandonnés – les rapprochent. Ensemble, ils vont apprendre à redéfinir ce qu’est une famille.

Grands écarts et anachronismes

Visuellement, Lilo et Stitch surprend dès les premières images. Car si la mise en couleur du film bénéficie des outils numériques et si la modélisation 3D permet notamment de concevoir les envolées des vaisseaux spatiaux, Sanders tient à employer la gouache traditionnelle, comme à l’époque de Blanche Neige et Pinocchio. Ce grand écart technologique n’est pas la moindre originalité de Lilo et Stitch, qui semble vouloir renforcer ce caractère singulier en invitant furtivement quelques éléments en prises de vues réelles (des photos d’Elvis Presley, des extraits du film The Spider) au beau milieu de l’animation. Les séquences de science-fiction pure – notamment celles du prologue – sont rehaussées par la musique orchestrale d’Alan Silvestri, tandis que l’ombre anachronique d’Elvis plane sur toute la BO. Lilo et Stitch s’impose donc à l’époque comme un ovni dans le monde formaté de Disney : pas de prince, pas de château, pas de chansons pour révéler les états d’âme des personnages. À la place, nous découvrons une chronique sociale sur la précarité, la résilience, le deuil et la reconstruction. Le film ose ainsi évoquer frontalement des blessures que le studio avait rarement osé explorer. Avec 145 millions de dollars au box-office américain, Lilo et Stitch offre au studio son plus gros succès depuis Tarzan (1999). Nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation (finalement battu par Le Voyage de Chihiro de Miyazaki), le film marque un tournant, celui d’un Disney plus personnel, moins codifié, capable de mêler science-fiction exubérante, comédie débridée et chronique sociale sans jamais perdre sa cohérence.

 

© Gilles Penso

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GHOST IN THE SHELL (1995)

Dans un monde futuriste où l’homme fusionne de plus en plus avec la machine, une femme cyborg s’interroge sur sa propre identité…

KÔKAKU KIDÔTAI

 

1995 – JAPON

 

Réalisé par Mamoru Oshii

 

Avec les voix de Atsuko Tanaka, Akiko Ôtsuka, Kôichi Yamadera, Yutaka Nakaono, Tamio Ôki, Tesshô Genda, Namaki Masakazu, Masato Yamanouchi, Shinji Ogawa

 

THEMA FUTUR I ROBOTS

Publié à partir de 1989, le manga cyberpunk Ghost in the Shell de Masamune Shirow se distingue par son mélange d’action, de philosophie et de spéculations technologiques. L’éditeur japonais Kodansha flaire le potentiel cinématographique de l’œuvre et s’associe à Production I.G pour l’adapter à l’écran. Manga Entertainment UK, société britannique spécialisée dans l’import et la production de films d’animation japonaise, accepte de cofinancer le film et mise sur Mamoru Oshii, déjà reconnu pour Patlabor et son approche introspective de la science-fiction. Ce choix s’avère déterminant : Oshii s’empare du matériau original pour le réinventer sous un jour plus contemplatif et plus philosophique. L’équipe technique mêle des vétérans de l’animation traditionnelle et des pionniers du numérique. Car Ghost in the Shell s’annonce comme avant-gardiste en bien des domaines, fusionnant le dessin animé traditionnel et les effets numériques (sollicités notamment pour visualiser les interfaces informatiques et les séquences d’invisibilité). La production va mobiliser environ 70 animateurs et s’étendre sur près de deux ans. Si l’animation est principalement réalisée à Tokyo, la supervision du projet prend vite une dimension internationale, avec des échanges réguliers entre Production I.G, Kodansha et Manga Entertainment. Ghost in the Shell est clairement pensé pour le marché mondial.

Dans un futur proche, la frontière entre l’humain et la machine s’estompe. Les avancées cybernétiques permettent désormais aux individus d’augmenter leur corps avec des implants robotiques et, parfois, de transférer leur conscience dans des coquilles artificielles — les « shells ». Le « ghost », quant à lui, représente ce qui reste de l’âme ou de l’esprit. Au cœur de cette société technologique évolue le major Motoko Kusanagi, une agente d’élite de la Section 9, unité gouvernementale spécialisée dans la cybersécurité et l’antiterrorisme. Le major incarne à elle seule les paradoxes de son époque : un corps entièrement artificiel, mais habité par un esprit humain qui doute, s’interroge et cherche un sens à sa propre existence. Or la Section 9 est chargée d’enquêter sur un mystérieux hacker surnommé le « Puppet Master », capable de s’infiltrer dans les réseaux les plus sécurisés… mais aussi de pirater les cerveaux augmentés des citoyens, les forçant à agir à leur insu. Au fil de son enquête, Motoko finit par s’interroger sur sa propre identité…

Les simulacres de l’humanité

Ghost in the Shell impressionne d’emblée par son animation extrêmement dynamique, alternant les séquences d’action ultra-nerveuses et les moments de poésie pure, où la pesanteur n’a plus cours, où le temps suspens son vol, où l’organique et la mécanique fusionnent. La ville où se situe l’action, inspirée par Hong Kong, y est magnifiée : pluvieuse, verticale, labyrinthique, presque vivante. Parmi les scènes les plus marquantes du film, on retient la séquence d’ouverture où le major Kusanagi se jette dans le vide avant de se rendre invisible, l’immersion contemplative au cœur de la ville, ou encore l’affrontement final d’une brutalité sèche entre le major et un tank robotique arachnéen. Porté par la superbe musique de Kenji Kawai (qui mêle les percussions tribales, les chœurs religieux, les nappes planantes et hypnotiques), le film cultive un ton grave, méditatif. Il interroge le corps, l’identité, la mémoire et le libre arbitre, dans un monde dominé par la dématérialisation. Les simulacres d’humanité sont symbolisés par des mannequins en plastique qu’on aperçoit dans une vitrine, tandis qu’en fin de métrage, l’image des impacts de balles d’une machine détruisant des fossiles préhistoriques semble suggérer que la technologie est en train d’effacer le passé pour s’y substituer. L’influence de Ghost in the Shell sera immense. Les Wachowski y puiseront allègrement pour concevoir Matrix, tandis que James Cameron le qualifiera de « chef-d’œuvre philosophique ». Le film a aussi contribué à légitimer l’animation japonaise auprès d’un public adulte occidental, bien au-delà des cercles d’initiés, une démarche qui avait déjà été amorcée quelques années plus tôt par Akira.

 

© Gilles Penso

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PORCO ROSSO (1992)

Victime d’un sort, un ancien aviateur de l’armée italienne qui arbore un visage de cochon affronte des pirates de l’air…

TITRE ORIGINAL

 

1992 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Shûichirô Moriyama, Tokiko Katô, Bunshi Katsura, Tsunehiko Kamijô, Akemi Okamura, Akio Ôtsuka, Hiroko Seki, Reizô Nomoto, Osamu Saka

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Chez Hayao Miyazaki, les avions ne sont jamais de simples machines : ce sont des personnages, des extensions de l’âme, des témoins du ciel. Porco Rosso en est peut-être la plus belle incarnation. Né de la plume du maître nippon dans les pages du magazine Model Graphix en 1989, L’Ère des hydravions n’était à l’origine qu’un manga léger, hommage au modélisme et à l’aviation vintage. Un petit délire graphique où un pilote au faciès porcin sauvait une demoiselle en détresse des griffes de pirates volants. Séduite, la compagnie Japan Airlines commande une adaptation animée, censée être courte et contemplative, à diffuser dans ses vols. Problème : Miyazaki n’aime pas faire court. Très vite, le projet gonfle, s’enrichit, s’étoffe pour devenir un long-métrage complet. Tandis que son compère Isao Takahata vient d’achever Souvenirs goutte à goutte, Miyazaki se lance dans un film « pas sérieux »… mais qui se charge de gravité à mesure que la réalité s’invite dans le projet. Le décor ? Une Adriatique idéalisée, entre l’Italie et la Yougoslavie. Et c’est justement là, pendant la production, que la guerre éclate en ex-Yougoslavie. Ce qui devait être un conte aérien devient soudain une œuvre marquée par la perte et l’exil. C’est aussi un film d’amour : pour les hydravions, ces monstres gracieux que Miyazaki redessine entièrement ; pour l’Europe, qu’il réinvente avec tendresse ; et pour l’animation, qui trouve ici un terrain d’expression à la fois populaire et adulte.

Dans l’entre-deux-guerres, quelque part au-dessus de l’Adriatique, un pilote solitaire écume les cieux à bord de son hydravion rouge vif. Son nom : Porco Rosso. Sa particularité ? Il a le visage d’un cochon. Un sort mystérieux a frappé Marco Pagot, ancien héros de l’aviation italienne, le transformant en paria au faciès bestial. Fuyant les hommes et leurs guerres, il vit en reclus sur une île secrète, prenant parfois des contrats pour lutter contre la piraterie aérienne. Mais lorsque les Mamma Aiuto, bande de joyeux pirates, kidnappent une classe entière de fillettes, Porco reprend du service. Sa victoire est de courte durée : Donald Curtis, pilote américain arrogant, l’abat en plein vol. L’hydravion coule, Marco survit. Pour réparer son appareil, il se rend en Italie où il rencontre Fio, une jeune mécanicienne aussi brillante que tenace. Ensemble, ils reconstruisent le fameux avion rouge et repartent en mission, direction l’Adriatique…

« Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste »

Avec Porco Rosso, Hayao Miyazaki signe une œuvre atypique, presque contradictoire : une fable drôle et grave, un récit d’aventures joyeux et mélancolique. Le ton est plus adulte que dans Totoro, plus politique que dans Kiki, et pourtant, le film s’adresse à tous. Ce paradoxe est sa force. Visuellement, c’est un bijou. L’animation des vols, précise et fluide, donne le vertige. L’Adriatique rêvée par Miyazaki, baignée de soleil et de vents marins, devient un personnage à part entière. La séquence où Porco, inconscient, aperçoit les avions de ses camarades morts s’élever vers le ciel est bouleversante. Une vision poétique de la mort, aussi belle que glaçante. Le film brille aussi par ses personnages féminins. Gina, figure tragique d’un amour en suspens, incarne une forme de grâce mélancolique. Fio, elle, symbolise la relève, l’intelligence et le courage qui manquent aux hommes engoncés dans leur orgueil. C’est elle, plus que Porco, qui mène le récit vers un espoir possible. Mais Porco Rosso est surtout un pamphlet pacifiste. Miyazaki dénonce l’absurdité de la guerre, la vanité des héros déchus et l’emprise des idéologies. La phrase-clé du film — « Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste » — résonne encore aujourd’hui avec une acuité politique inattendue. Enfin, l’humour, omniprésent, désamorce la gravité. Les Mamma Aiuto, pirates gaffeurs au cœur tendre, rappellent ceux du Château dans le ciel. Le duel final est à la fois grotesque et libérateur, comme un pied de nez à la virilité toxique. Film hybride, entre western aérien et satire politique, Porco Rosso marquera un tournant, notamment en France. Récompensé au Festival d’Annecy en 1993, salué pour sa poésie et son audace, il contribuera à faire tomber les préjugés sur l’animation japonaise.

 

© Gilles Penso

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BELLE ET LA BÊTE (LA) (1991)

Le studio Disney réinvente la célèbre fable déjà portée aux nues par Jean Cocteau et signe l’un de ses plus grands films d’animation…

BEAUTY AND THE BEAST

 

1991 – USA

 

Réalisé par Gary Trousdale et Kirk Wise

 

Avec les voix de Paige O’Hara, Robby Benson, Jesse Corti, Rex Everhart, Angela Lansbury, Jerry Orbach, Bradley Pierce, David Ogden Stiers, Richard White

 

THEMA CONTES

Après le succès de La Petite Sirène, Disney entre dans une phase de renaissance ambitieuse. Parmi les projets exhumés des cartons, La Belle et la Bête refait surface. Ce conte français du XVIIIe siècle avait déjà tenté Walt Disney dès les années 30, mais l’adaptation s’était révélée plus complexe que prévu. Impressionné par la version de Jean Cocteau et refroidi par la réception mitigée de La Belle au bois dormant, Disney avait finalement renoncé. Il faudra attendre 1987 pour que le projet reparte.Mais la première version est jugée trop sombre, trop fidèle au matériau d’origine. Jeffrey Katzenberg, figure clé du renouveau Disney, décide de tout reprendre à zéro. La révolution est en marche : pour la première fois, l’écriture du film passe avant l’animation. La scénariste Linda Woolverton est donc missionnée pour construire une narration solide avant même de songer aux dessins. Le film s’oriente alors vers la comédie musicale, sous la houlette du duo Alan Menken et Howard Ashman, déjà auréolé du succès de La Petite Sirène. Ce choix s’avère déterminant : La Belle et la Bête comptera plus de 25 minutes de chansons, intégrées de manière fluide au récit. Pour enrichir l’univers visuel, les équipes artistiques partent en repérages dans les châteaux de la Loire. Chaque décor, chaque couleur, chaque atmosphère est pensée pour souligner l’évolution des personnages. La création des objets enchantés (le chandelier, la théière, la tasse, l’horloge), idée d’Howard Ashman, apporte une touche de légèreté à cette romance gothique.

Au cœur d’une forêt isolée, un prince égoïste et cruel est transformé en Bête hideuse par une enchanteresse, punition pour son absence de compassion. Seule une preuve d’amour véritable pourra briser le sort avant que le dernier pétale d’une rose magique ne tombe. Non loin de là, Belle, une jeune femme rêveuse, passionnée de livres et d’aventures, étouffe dans son petit village provincial, où elle est courtisée par l’arrogant et vaniteux Gaston. Refusant la vie monotone qu’on lui propose, Belle se voit embarquée dans une quête inattendue lorsque son père, Maurice, inventeur fantasque, se perd dans la forêt et trouve refuge dans le château de la Bête. Prête à tout pour sauver son père, Belle échange sa liberté contre la sienne, devenant prisonnière du mystérieux château. Tandis que la Bête lutte contre sa propre colère et son désespoir, Belle commence à entrevoir la gentillesse tapie sous l’effrayante apparence. Petit à petit, une relation unique se tisse entre eux, faite de maladresses, de découvertes et de gestes tendres… Mais à l’extérieur, Gaston, vexé par le rejet de Belle, fomente un plan pour forcer la jeune femme à l’épouser. Et il est prêt à utiliser tous les moyens possibles — même les plus violents — pour arriver à ses fins…

Histoire éternelle

Au départ, les cinéphiles que nous sommes attendaient cette relecture à la sauce Disney du fameux conte popularisé par Madame Leprince de Beaumont avec perplexité. Comment surpasser la beauté atemporelle du chef d’œuvre de Jean Cocteau, ou même les audaces baroques de la version de Juraj Herz ? Mais face au spectacle offert par le film de Gary Trousdale et Kirk Wise, toutes les réticences se sont effacées en un clin d’œil. Le soin extrême apporté à chaque étape de la fabrication du film se ressent à l’écran : l’équilibre entre humour, émotion et frisson est d’une précision redoutable. Le récit, d’une fluidité exemplaire, alterne avec brio les séquences drôles et les scènes poignantes. Le duo formé par Belle et la Bête fonctionne à merveille, porté par une animation magistrale qui parvient à insuffler aux personnages une palette d’émotions d’une rare finesse. Le génial design hybride de cette Bête mi-buffle mi-lion, œuvre de Glen Keane, y est pour beaucoup. La scène emblématique de la danse dans la grande salle de bal, sublimée par la première utilisation audacieuse d’images de synthèse, reste un moment d’anthologie. Pour couronner le tout, le tandem Menken/Ashman livre une partition mémorable. De « C’est la fête » à « Histoire éternelle », chaque chanson enrichit le récit, participant à l’immersion du spectateur dans ce monde féerique. La présentation du film au New York Film Festival, dans une version inachevée, déclenche un buzz phénoménal. Le bouche-à-oreille propulsera La Belle et la Bête vers une sortie triomphale qui, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, permettra à un film d’animation d’être nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur Film.

© Gilles Penso

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FANTASIA (1940)

Walt Disney et Leopold Stokowski se lancent dans un « film concert » expérimental mêlant tous les styles et tous les genres avec panache…

FANTASIA

 

1940 – USA

 

Réalisé par James Algar, Samuel Armstrong, Ford Beebe Jr., Norman Ferguson, David Hand, Jim Handley, T. Hee, Wilfred Jackson, Hamilton Luske, Bill Roberts, Paul Satterfield et Ben Sharpsteen

 

Avec Leopold Stokowski, Deems Taylor et The Philadelphia Orchestra

 

THEMA MYTHOLOGIE I DINOSAURES I DIABLE ET DÉMONS I SORCELLERIE ET MAGIE

Après le raz-de-marée Blanche-Neige et en pleine production de Pinocchio, Walt Disney rêve d’une nouvelle révolution. Il veut redonner ses lettres de noblesse à Mickey, sa souris fétiche un peu éclipsée, en la propulsant dans une œuvre audacieuse : une animation rythmée par une pièce de musique classique, L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. Mais la rencontre avec le chef d’orchestre vedette Leopold Stokowski va faire basculer le projet dans une autre dimension. Tous deux partagent une vision peu orthodoxe : populariser la musique classique à travers l’animation, en bousculant les codes et les esprits. L’idée se mue bientôt en long-métrage conceptuel. Le duo imagine un « film-concert » déployé auprès du public comme un spectacle vivant, enrichi au fil des années de nouveaux segments. Walt pense même diffuser des odeurs dans les salles, et met en chantier un format d’écran élargi préfigurant le CinemaScope. Les ambitions sont finalement revues à la baisse et le film finit par s’envisager sur un format plus traditionnel, ce qui n’empêche pas le budget d’exploser. Le segment L’Apprenti sorcier coûte à lui seul quatre fois plus qu’un court métrage classique de Mickey. Sept œuvres classiques sont sélectionnées, réarrangées par Stokowski, et confiées à des équipes d’animateurs à qui Disney accorde une liberté de création quasi totale. Le titre, lui, sera tout simplement celui soufflé par Stokowski dès le départ : Fantasia.

Fantasia ne suit pas une intrigue linéaire classique. C’est une anthologie, un enchaînement de tableaux, chacun mis en images à partir d’un chef-d’œuvre musical. Le film s’ouvre sur une présentation orchestrée par Deems Taylor, critique musical qui guide le spectateur à travers les segments. La Toccata et fugue en ré mineur de Bach donne le ton : un feu d’artifice d’abstractions visuelles, de formes fluides, de lumières mouvantes. Puis vient Casse-Noisette de Tchaïkovski, réinterprété en ballet naturel peuplé de fées, de champignons dansants et de fleurs aquatiques. Le segment suivant, L’Apprenti sorcier, reste le plus célèbre : Mickey, apprenti magicien, invoque une magie qu’il ne maîtrise pas… et provoque une inondation incontrôlable. Le Sacre du Printemps de Stravinsky propulse le spectateur à l’époque des dinosaures : naissance de la Terre, éruptions volcaniques, luttes de survie… avant l’extinction. La Symphonie pastorale de Beethoven nous offre une réinterprétation lyrique de plusieurs figures de la mythologie grecque. Puis l’ambiance change radicalement avec un interlude comique autour de La Danse des heures de Ponchielli, où des autruches, hippopotames et crocodiles se lancent dans un ballet improbable. Enfin, l’apothéose arrive avec un diptyque monumental : Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, plongée dans un sabbat démoniaque mené par une créature titanesque aux ailes noires, immédiatement suivi par Ave Maria, qui apaise les ténèbres dans une procession mystique à la bougie.

Dantesque, baroque et surréaliste

Fantasia est donc un ovni. C’est aussi un film visionnaire, radical, qui balaye les conventions narratives pour proposer une symbiose totale entre image et son. Techniquement et visuellement, c’est un joyau. Certaines séquences dantesques sont des morceaux de cinéma inoubliables, comme Le Sacre du Printemps, digne des prouesses antédiluviennes du Monde perdu et de King Kong, ou La Nuit sur le mont Chauve, à l’image des folies surréalistes et baroques de Faust ou de L’Enfer. Le ballet des Heures joyeuses, quant à lui, est un éclat de rire aussi inattendu qu’époustouflant. Ce n’est pas tous les jours que des hippopotames en tutu se lovent contre des crocodiles en se prenant pour des danseuses étoiles ! Quant à Mickey, il s’essaie à la magie auprès d’un émule très sérieux de Merlin l’enchanteur avec les conséquences catastrophiques que l’on sait. Abstraction, épouvante, fantasy, slapstick… tout semble permis. Ce n’est donc pas un hasard si le film aura mis des décennies à être pleinement reconnu. Trop étrange, trop audacieux, Fantasia navigue entre les mondes. À sa sortie en 1940, le film ne trouve pas immédiatement son public. La guerre freine sa diffusion et la critique s’écharpe sur le mélange des genres. Les puristes hurlent au sacrilège, les parents s’inquiètent des scènes trop sombres. Disney, lui, vient de repousser les frontières du cinéma d’animation. Et même s’il n’en récolte pas les fruits tout de suite, l’histoire, elle, repositionnera plus tard Fantasia sur le piédestal qu’il mérite.

 

© Gilles Penso

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DUMBO (1941)

L’histoire simple et poétique d’un éléphanteau volant aux oreilles surdimensionnées, gorgée de séquences drôles, tristes et psychédéliques…

DUMBO

 

1941 – USA

 

Réalisé par Ben Sharpsteen

 

Avec les voix de Stan Freberg, Edward Brophy, Verna Felton, Herman Bing, Billy Bletcher, Cliff Edwards, Sterling Holloway, Jack Mercer, Sarah Selby

 

THEMA CONTES I MAMMIFÈRES

Après les ambitions démesurées – et les échecs financiers – de Fantasia et Pinocchio, les studios Disney sont en fâcheuse posture. L’Europe et l’Asie sont en guerre, les recettes chutent, et Walt Disney doit revoir ses priorités. Il faut produire vite, bien, et surtout : pas cher. C’est dans ce contexte tendu qu’émerge Dumbo, petit éléphanteau improbable destiné à sauver un empire vacillant. Disney flaire le potentiel immédiat de cette fable simple et émouvante, loin des récits à tiroirs des longs-métrages précédents. Contrairement aux habitudes, il confie l’élaboration du scénario à un duo restreint : Dick Huemer et Joe Grant. Pas de brainstorming général cette fois, juste deux scénaristes qui déposent chaque matin un nouveau bout d’histoire sur le bureau de Walt. L’éléphanteau à grandes oreilles séduit, et le projet prend de l’ampleur. D’abord envisagé comme un court-métrage, Dumbo devient rapidement un film à part entière. Mais la consigne reste ferme : pas de folie budgétaire. Les décors seront simples, les personnages stylisés, et l’animation économique. La peinture à l’eau remplace les encres plus coûteuses, ce qui donnera au film cette texture visuelle si particulière – et une fragilité qui explique aujourd’hui la rareté de ses cellulos originaux. Ce « retour à l’essentiel » libère paradoxalement les artistes. Bill Tytla, animateur vedette responsable du démon de Fantasia ou du Stromboli de Pinocchio, livre ici l’un de ses travaux les plus intimes et les plus bouleversants.

L’histoire de Dumbo tient en quelques lignes, et c’est là toute sa force. Dans un cirque ambulant qui sillonne les États-Unis à bord d’un train au caractère bien trempé (Casey Junior, le « train-chanteur »), une cigogne facétieuse livre un bébé éléphant à Mme Jumbo. Mais surprise : le petit pachyderme a des oreilles gigantesques. Très vite moqué et rejeté par les autres animaux du cirque, surnommé « Dumbo » par les commères du chapiteau, l’éléphanteau devient la cible des railleries. Sa mère, outrée par tant de cruauté, pique une crise de colère violente et se retrouve enfermée, considérée comme dangereuse. Dumbo, lui, est bientôt relégué au rang d’attraction clownesque : il doit jouer les pitres en tombant d’un immeuble en flammes, sous les rires du public. Mais il trouve un ami inattendu : Timothée, une souris au grand cœur, persuadée que Dumbo a un potentiel caché. Ensemble, ils affrontent les épreuves du cirque et croisent une bande de corbeaux excentriques qui finiront par lui révéler son vrai pouvoir : Dumbo peut voler grâce à ses oreilles surdimensionnées…

Éléfantasy

Dumbo ne paie pas de mine. Moins prestigieux que Pinocchio, moins révolutionnaire que Fantasia, il aurait pu n’être qu’une parenthèse. Mais c’est précisément dans cette économie que le film trouve sa liberté. Son style graphique, simple et stylisé, va droit au but. L’émotion y est brute, presque sèche. Il suffit de voir les larmes silencieuses de Dumbo, isolé dans l’ombre d’une cellule, pour comprendre pourquoi Bill Tytla est considéré comme un maître de l’animation. Certaines séquences sont à jamais gravées dans les mémoires. Celle de « Baby Mine », où Dumbo retrouve brièvement sa mère à travers les barreaux, est un concentré de tendresse déchirante. À l’opposé, le délire visuel des « Éléphants roses » immerge le spectateur dans un cauchemar surréaliste, un trip psychédélique avant l’heure. Tout ça dans un film de 64 minutes à peine. Dumbo reste une parabole universelle sur la différence, le rejet, l’acceptation de soi. Fabriqué en seulement un an et demi pour moins d’un million de dollars, Dumbo rapporte plus que ses deux prédécesseurs réunis. Le public l’adopte, la critique s’emballe. Et Walt, soulagé, retrouve le sourire. Il répétera souvent par la suite que de tous les films produits par son studio, c’est celui qu’il préfère.

 

© Gilles Penso

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PINOCCHIO (1940)

Le pantin de bois imaginé par Carlo Collodi prend vie dans un des longs-métrages animés les plus emblématiques de l’âge d’or du studio Disney…

PINOCCHIO

 

1940 – USA

 

Réalisé par Ben Sharpsteen et Hamilton Luske

 

Avec les voix de Dickie Jones, Christian Rub, Cliff Edwards, Charles Judels, Mel Blanc, Don Brodie, Walter Catlett, Frankie Darro, Virginia Davis

 

THEMA CONTES I JOUETS

Après le triomphe de Blanche-Neige et les sept nains en 1937, Walt Disney cherche à confirmer la viabilité du long métrage d’animation. Son choix se porte sur Pinocchio, adaptation du conte de Carlo Collodi. Ce récit d’un pantin insolent rêvant de devenir un vrai petit garçon semble idéal pour prolonger la magie. Mais le ton du livre d’origine, rude, moralisateur, souvent cruel, déconcerte les scénaristes. Le personnage de Pinocchio, tel qu’imaginé par Collodi, est égoïste, ingrat, parfois franchement odieux. Impossible, pour Disney, d’en faire un héros attachant. Plusieurs mois de développement sont jetés à la corbeille, les premières planches sont abandonnées et le projet mis en pause. Parallèlement, Walt fait travailler ses équipes sur Bambi, qui tarde à démarrer. Pour ne pas laisser les animateurs inactifs, il relance Pinocchio, avec pour objectif de transformer radicalement le matériau original. Une des premières décisions cruciales est d’inventer le personnage de Jiminy Cricket, absent du texte de Collodi. Dans le conte, la conscience de Pinocchio est une sorte d’insecte anonyme. Disney décide d’en faire un compagnon bavard, bienveillant, drôle et musical, à la voix suave de crooner, confiée à Cliff Edwards. Pinocchio, lui, subit un relooking intégral. Au départ, les animateurs s’en tiennent à l’aspect rigide et presque inquiétant du pantin en bois. Mais Walt demande qu’on le redessine avec des traits enfantins, une bouille ronde et des expressions proches de celles d’un vrai petit garçon. C’est l’animateur Milt Kahl qui met au point la version définitive du héros, mi-enfant, mi-marionnette, avec ses bretelles, sa salopette et son éternel chapeau à plume.

Le studio mobilise ses meilleurs talents pour enrichir l’univers du film. Frank Thomas anime Geppetto, le vieux menuisier attendrissant ; Eric Larson donne vie à Figaro, le chat ronchon ; et Wolfgang Reitherman prend en charge Monstro, la terrifiante baleine. La musique est confiée au trio Leigh Harline, Paul J. Smith et Ned Washington, tandis que le scénario est retravaillé collectivement. Mais cette ambition a un prix : le budget explose, les délais s’allongent. Pour maintenir la motivation des troupes, Disney fait circuler les premières scènes terminées en interne, suscite l’émulation, relance les idées abandonnées. Il exige que chaque séquence soit porteuse de sens, d’humour ou d’émotion. L’équipe imagine alors des séquences marquantes comme la transformation en âne sur l’île Enchantée, ou la plongée dans l’estomac de la baleine — autant d’images encore en gestation, mais déjà prometteuses sur le papier. Au fil des mois, le pantin de bois prend vie…

La métamorphose des ânes-garous !

Pinocchio est souvent considéré comme le film le plus sombre de l’ère classique de Disney. Ses thèmes – manipulation, perte d’innocence, transformation – y résonnent avec une intensité peu commune. La séquence de l’Île aux Plaisirs, où les enfants se transforment en ânes, demeure l’une des plus troublantes : une métaphore glaçante de l’aliénation et de la perte de soi, qui annonce les métamorphoses douloureuses de films comme Hurlements ou Le Loup-garou de Londres. Visuellement, le film est une prouesse. Le soin extrême accordé à chaque plan pousse les artistes à expérimenter de nouveaux effets : bulles d’air dessinées à la main, reflets complexes, transparences délicates, jeux de lumière sophistiqués… Pinocchio est un véritable laboratoire technique, exigeant des innovations inédites pour l’époque. Sa bande originale, elle, atteint une dimension mythique. La chanson « When You Wish Upon a Star » deviendra – et reste encore aujourd’hui – la signature musicale de Disney. Sorti en février 1940, Pinocchio ne rencontre pourtant pas le succès commercial attendu, freiné par la Seconde Guerre mondiale qui en limite la diffusion en Europe. Le film remporte toutefois deux Oscars – Meilleure chanson originale et Meilleure musique de film – et finira par s’imposer comme l’un des chefs-d’œuvre les plus admirés de l’âge d’or du studio.

 

© Gilles Penso

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BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS (1937)

Le premier long-métrage animé de l’histoire du cinéma était un pari fou et risqué, lancé par un Walt Disney en pleine ébullition créative…

SNOW WHITE AND THE SEVEN DWARFS

 

1937 – USA

 

Réalisé par David Hand, William Cottrell, Ben Sharpsteen, Wilfred Jackson, Larry Morey et Perce Pearce

 

Avec les voix de Adrianna Caselotti, Lucille La Verne, Roy Atwell, Eddie Collins, Pinto Colvig, Billy Gilbert, Otis Harlan, James MacDonald, George Magrill

 

THEMA CONTES

En 1934, Walt Disney, déjà roi incontesté du court-métrage d’animation grâce à Mickey Mouse et aux Silly Symphonies, se lance dans un pari jugé insensé : produire le tout premier long-métrage d’animation sonore et en couleur. Même son frère Roy et sa femme tentent de l’en dissuader. Après tout, qui voudrait rester assis plus d’une heure devant des dessins animés ? Mais Walt n’en démord pas. Convaincu par une expérience vécue en France — où il découvrit une foule s’agglutiner pour voir un programme composé uniquement de ses courts-métrages —, il sent que le public est prêt. Et il a déjà trouvé son sujet : Blanche-Neige, d’après le conte popularisé par les frères Grimm, et surtout inspiré du film muet de 1916 qui l’avait profondément marqué à l’adolescence. Dès le départ, le projet est titanesque. Avec un budget initial de 250 000 dollars — soit dix fois plus qu’un Silly Symphony —, Blanche-Neige va finalement coûter plus de 1,5 million. Il faut tout inventer : développer des personnages sur la durée, intégrer la musique au récit de manière organique, créer une animation fluide capable de transmettre des émotions et une tension dramatique. Les sept nains, anonymes dans les versions antérieures, sont baptisés et dotés de personnalités distinctes pour renforcer leur popularité. « La folie Disney » – selon l’expression alors en vigueur à Hollywood – est en marche…

Dans un royaume lointain, la jeune Blanche-Neige vit sous le joug de sa belle-mère, la Reine, une femme aussi cruelle que vaniteuse, obsédée par l’idée d’être la plus belle du royaume. Chaque jour, telle une émule du Narcisse de la mythologie, elle interroge son miroir magique, mais un matin fatidique, l’objet révèle que Blanche-Neige a désormais surpassé sa beauté. Ivre de jalousie, la Reine ordonne à son fidèle chasseur de conduire la princesse dans la forêt pour la tuer. Pris de remords face à l’innocence de la jeune fille, le chasseur épargne Blanche-Neige et l’exhorte à fuir. Perdue et terrorisée dans une forêt cauchemardesque, Blanche-Neige est recueillie par sept mineurs pas comme les autres : Prof, Grincheux, Simplet, Dormeur, Timide, Atchoum et Joyeux. Charmés par sa gentillesse et sa candeur, les nains acceptent qu’elle reste vivre avec eux en échange de quelques services ménagers et d’une touche de bonne humeur quotidienne. Mais la Reine découvre que Blanche-Neige est toujours vivante. Dévorée par la rage, elle concocte un terrible plan : user de magie noire pour se transformer en vieille sorcière hideuse et tromper Blanche-Neige en lui offrant une pomme empoisonnée…

« Le plus grand film jamais réalisé ! »

Dès les premières minutes, la richesse visuelle du film nous frappe. Chaque décor fourmille de détails, la lumière épouse les ambiances, la forêt devient presque un personnage vivant (comment oublier cette séquence d’épouvante pure où l’héroïne fuit dans une nature devenue cauchemardesque ?). La prouesse est d’autant plus vertigineuse qu’à l’époque, l’idée même d’un film d’animation de plus de 80 minutes était considérée comme une hérésie technique et commerciale. Côté narration, le film est d’une efficacité redoutable, alternant les séquences sombres et les scènes plus légères – en grande partie assurées par les sept nains. Mais Blanche-Neige ne serait pas le chef-d’œuvre qu’il est sans son incroyable Reine, figure terrifiante d’une méchanceté froide, sublimée par une animation plus réaliste que caricaturale. Sa transformation en sorcière reste l’un des moments les plus glaçants de l’histoire du cinéma d’animation. Il faut aussi bien sûr saluer cette bande originale d’une inventivité folle, où les chansons deviennent autant de moteurs narratifs que de respirations poétiques. Achevé seulement quelques jours avant sa sortie, le film est un triomphe absolu. Présenté en avant-première en décembre 1937, Blanche-Neige et les Sept Nains rafle un Oscar d’honneur – une grande statuette et sept petites – et devient le plus gros succès commercial de son époque, dépassé seulement par Autant en emporte le vent. Même Sergueï Eisenstein le qualifiera de « plus grand film jamais réalisé ».

 

© Gilles Penso

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MON AMI ROBOT (2023)

L’audacieux réalisateur espagnol multi-primé Pablo Berger anime le volumineux roman graphique à succès de l’américaine Sara Varon…

ROBOT DREAMS

 

2023 – ESPAGNE / FRANCE

 

Réalisé par Pablo Berger

 

Avec la voix de Ivan Labanda

 

THEMA ROBOTS

Diplômée de l’Art Institute of Chicago, Sara Varon déménage à New York City pour poursuivre ses études à l’école d’Art : The School of Visual Arts. Autrice reconnue, auréolée de prix prestigieux comme le Eisner Award, plus à l’aise à croquer des animaux que des humains, son univers anthropomorphique représente un tendre bestiaire illustré qui séduit autant les adultes que les enfants. Pour preuve, Pablo Berger, collectionneur passionné d’ouvrages sans paroles, est tombé sous le charme de Robot Dreams, paru en 2007 chez l’éditeur First Second Books. Le cinéaste y a retrouvé les émotions de son film Blancanieves, librement adapté du conte des frères Grimm, et Prix Goya du meilleur film et du meilleur scénario en 2013. Après Abracadabra, son troisième long-métrage sorti en 2017, présenté comme une comédie fantastique et émancipatrice sur le thème de l’hypnose, il rédige alors un scénario et rencontre l’illustratrice qui, après avoir pris connaissance de l’univers du réalisateur, lui donne carte blanche pour adapter son œuvre. Pour son premier film d’animation, l’auteur se verra honoré d’une Première mondiale au 76ème Festival de Cannes en mai 2023, et du Grand prix contrechamp au 47ème Festival d’Annecy en juin. C’est donc sous les meilleurs auspices que le film prépare sa sortie pour les fêtes de fin d’année sous le titre Mon ami Robot.

Dans son cosy appartement de Manhattan, le chien Dog comble sa solitude en regardant la télévision. Ainsi, il découvre une publicité pour un robot en kit qu’il s’empresse de commander. Une fois assemblé, Robot devient le meilleur ami du chien et transforme sa vie. Lors d’une journée sur la plage de Coney Island, Robot, qui ne refuse rien à son compagnon, se retrouve rouillé et à l’arrêt après s’être risqué à une baignade dans la mer. Pourtant inséparables, Dog se voit contraint d’abandonner momentanément son ami sur le sable. A nouveau seul, tentant de s’adapter aux circonstances, il sera pris de remord et retournera armé de sa boîte à outils pour réparer son ami délaissé. Mais, la saison estivale étant terminée, l’accès à la plage lui sera interdit. Au fil des saisons, Robot, paralysé puis mutilé, sera livré à toutes les intempéries et au pillage. Prisonnier de ses rêves (et de ses cauchemars), il ne lui restera que le ciel pour s’évader en pensée, la compagnie d’oiseaux venus nicher près de lui, et l’espoir de retrouver un jour celui dont il fut le complice éphémère.

Une poignante étude de sentiments

Sous des aspects de films pour enfants, Mon ami Robot est une poignante étude de sentiments et d’émotions qui vont de la joie et de l’euphorie de partager les bonheurs de l’existence avec son alter-égo, au désenchantement et l’amertume de l’abandon, jusqu’à la reconstruction grâce aux hasards de la vie et à la faculté de résilience. On apprécie dans cette exploration la peinture détaillée des rues de la Grande Pomme où le réalisateur a vécu et rencontré sa femme lors de ses études dans les années 80-90. Soucieux de rendre hommage à la ville telle qu’il l’a connue, il s’est appliqué à soigner les arrière-plans à l’instar du maître Miyazaki. On notera d’ailleurs de nombreux clins d’œil cinéphiliques dans des séquences qui évoquent le cinéma de Jacques Tati, muet lui aussi, ou les ballets de Busby Berkeley. Si le film a pris des libertés par rapport à son support original, il le respecte dans les ressentis émotionnels qui en font toute la force et qui tournent autour de ces questions : Qu’est-ce que l’amitié ? La fidélité ? Lorsqu’un seul être vous manque, le monde est-il vraiment dépeuplé, comme le dit le poète ? Un ami est-il jetable ou remplaçable tel un objet que l’on oublie sur la plage, ou un robot qui obéirait à tous nos désirs ? L’amitié serait-elle périssable, destinée à ne pas survivre à la fin de l’été ? Les pensées de Dog et de Robot sont palpables dans ce film sans paroles, et leurs questionnements semblent s’adresser à un public plus adulte qu’enfantin. Mais c’est là que les animaux permettent une distance pour aborder des thèmes qui interrogent aussi l’enfance, comme l’absence de l’autre ou le temps qui transforme les choses et les êtres sur son passage. Avec sa longueur assumée, ses ballades dans la Cité (où l’on peut voir les Twin Towers encore intactes), le choix de répéter la chanson September d’Earth Wind & Fire à côté de la bande originale, Mon ami Robot, est un feu d’artifices émotionnel qui invite à l’introspection.

 

© Quélou Parente

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