KINGSMAN, SERVICES SECRETS (2015)

Matthew Vaughn réinvente le cinéma d'espionnage mâtiné de science-fiction en mêlant le classicisme extrême et une modernité insolente

KINGSMAN – THE SECRET SERVICE

2015 – USA / GB

Réalisé par Matthew Vaughn

Avec Colin Firth, Taron Egerton, Samuel L. Jackson, Mark Strong, Michael Caine, Mark Hamill

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

Matthew Vaughn est un homme plein de surprises. Au fil d’une filmographie atypique, il semble s’être spécialisé dans l’art de s’emparer de genres cinématographiques extrêmement codifiés et d’en intégrer pleinement les composantes fondamentales pour mieux les dynamiter. Après avoir appliqué cette méthode au conte pour enfant (Stardust) et au film de super-héros (Kick-AssX-Men : le commencement), il s’en prend ici à l’espionnage. Plus encore que ses prédécesseurs, Kingsman témoigne du grand écart audacieux qu’ose effectuer Vaughn entre le classicisme extrême et une modernité qui frise l’insolence. Et pour mieux assumer ce mélange explosif, il choisit de mettre en scène deux protagonistes représentant ces deux facettes antithétiques. Le charismatique Colin Firth endosse ainsi le smoking d’un agent secret au service de Sa Majesté, une machine de guerre distinguée et raffinée qui, même dans les situations les plus extrêmes, ne se départit jamais de son flegme ni de son élégance. Une sorte de croisement entre le John Steed de Chapeau melon et bottes de cuir et du James Bond campé par Sean Connery dans les années 60, en quelque sorte. A ses côtés, le fougueux Taron Egerton incarne un adolescent à la dérive, coincé entre une mère aux mœurs faciles, un beau-père brutal et les fréquentations douteuses de son quartier.

La confrontation de ces deux protagonistes que tout oppose est la métaphore idéale du choc stylistique que Kingsman opère entre l’espionnage « so british » des swinging sixties et la férocité décomplexée du cinéma d’action du 21ème siècle. Car lorsque la violence éclate dans le film, c’est avec un excès surprenant, Vaughn ne nous épargnant aucun détail sanglant tout en accompagnant les époustouflantes chorégraphies des combats avec une caméra virevoltante qui suit en plan-séquence chaque belligérant et chaque coup porté. Cette folie destructrice culmine dans une séquence de massacre hallucinante perpétrée au sein d’une église intégriste du Kentucky. Dans Kingsman, la science-fiction s’invite aussi généreusement par l’entremise d’un super-vilain multimilliardaire excentrique (Samuel L. Jackson, qui en fait un peu trop mais évite fort heureusement de sombrer dans les excès insupportables de The Spirit) ayant décidé d’éradiquer une partie considérable de l’espèce humaine pour lutter contre la surpopulation et répartir à sa guise les richesses de la planète.

Gadgets futuristes et armes surréalistes

L’influence des James Bond de la décennie 1970-1980 se fait alors ressentir, à travers des gadgets futuristes, des armes surréalistes (la jolie garde du corps juchée sur des prothèses en forme de patins surdimensionnés aussi tranchants que des rasoirs est une trouvaille incroyable), des implants provoquant des explosions de tête, des ondes modifiant le comportement des êtres humains et des catastrophes à l’échelle planétaire. Le cocktail aurait pu devenir indigeste, mais Matthew Vaughn s’adonne à ce jeu d’équilibriste avec une telle virtuosité que Kingsman possède au contraire un univers autonome, volontairement déconnecté du comic book dont il s’inspire pour mieux voler de ses propres ailes, aux accents d’une partition flamboyante d’Henry Jackman.

 

© Gilles Penso

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DOMINION : PREQUEL TO THE EXORCIST (2005)

Un film maudit, réalisé par Paul Schrader pour s'intégrer dans la franchise L'Exorciste et finalement refait de A à Z par Renny Harlin à la demande du studio Warner

DOMINION : PREQUEL TO THE EXORCIST

2005 – USA

Réalisé par Paul Schrader

Avec Stellan Skarsgard, Gabriel Mann, Clara Bellar, Billy Crawford, Ralph Brown, Israel Aduramo, Andrew French

THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA L’EXORCISTE

C’est en 2002 que naît chez Warner la volonté de doter L’Exorciste d’une préquelle. Baptisé dans un premier temps Exorcist : Dominion, le projet fut confié au réalisateur John Frankenheimer. Ce dernier avait déjà succédé à William Friedkin en dirigeant la suite de French Connection, mais il décéda avant de pouvoir se lancer dans cette aventure. La production se tourna alors vers Paul Schrader, dont les titres de gloire étaient les scénarios de Taxi Driver, Raging Bull ou La Dernière Tentation du Christ pour Martin Scorsese, ainsi que la réalisation du remake de La Féline en 1982. Schrader prit cette préquelle à bras le corps et s’acquitta de sa tache du mieux qu’il put, mais il fut finalement éjecté du projet en 2003 lorsque ses images et son montage parvinrent aux patrons de Warner. Schrader termina malgré tout sa propre version qu’il rebaptisa Dominion : Prequel to the Exorcist et qui fut projetée de manière confidentielle dans quelques festivals, tandis que Renny Harlin fut chargé de tout reprendre à zéro pour mettre sur pied ce qui deviendra L’Exorciste : au commencement. Nous voici donc dans un cas de figure très particulier où deux cinéastes aux sensibilités et aux styles radicalement opposés s’emparent du même sujet et du même casting pour livrer deux œuvres aussi différentes que possible. 

Dominion n’est pas une version alternative de L’Exorciste : au commencement mais bel et bien un film à part entière. Dès l’entame, qui place le père Merrin face à un choix moral impossible au cœur de la barbarie nazie, Schrader affirme sa volonté d’aborder le sujet sous un angle psychologique et réaliste, loin des archétypes habituels du cinéma d’horreur. La perte de foi d’un homme d’église, thématique au cœur du récit de Dominion, est un sujet qui touchait particulièrement Paul Schrader, lequel fut élevé selon les sévères préceptes religieux de la communauté calviniste du Michigan et envisagea même un temps de devenir pasteur. « Pour un scénariste, vous devez d’abord examiner et accepter d’affronter vos problèmes personnels les plus difficiles, il s’agit d’un commerce de linge sale », affirmait d’ailleurs le cinéaste lors d’un entretien avec Declan McGrath et Felim MacDermott. Cette implication personnelle suffit amplement à rendre Dominion plus intéressant que L’Exorciste : au commencement.

Une préquelle exotique et quasi-expérimentale

Mais le film n’est pas pour autant palpitant, et l’on comprend sans mal la déconvenue des cadres de la Warner face à un résultat aussi peu commercial. Par bien des aspects, cette préquelle évoque d’ailleurs  Exorciste 2 : L’Hérétique de John Boorman. Le refus de se soumettre aux lieux communs du film de possession édictés par L’Exorciste, la relocalisation de l’intrigue dans une Afrique exotique propice à l’affrontement entre paganisme et christianisme, et même une patine « années 80 » (dans la photographie, la musique, les effets visuels) rapprochent en effet les travaux quasi-expérimentaux de Schrader et Boorman. Et à l’instar de L’Hérétique, ce « grand film malade », pour reprendre l’expression de François Truffaut, n’aura jamais rencontré son public, faisant presque office de digression anachronique au sein de la saga consacrée à L’Exorciste.

 

© Gilles Penso

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PIXELS (2015)

Une tentative manifeste de retrouver la recette du succès de Ghostbusters, en remplaçant les fantômes par des créatures issus des jeux vidéo des années 80

PIXELS

2015 – USA

Réalisé par Chris Columbus

Avec Adam Sandler, Josh Gad, Michelle Monaghan, Peter Dinklage, Kevin James, Brian Cox, Sean Bean, Denis Akiyama

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Nous sommes à New York. Un homme jette un vieux téléviseur sur le trottoir puis s’éloigne. Soudain, des pixels multicolores surgissent de l’écran cathodique et se mettent à voguer dans les cieux. Les vaisseaux de Space Invaders détruisent les taxis, les blocs de Tetris anéantissent les buildings, Pac Man dévore les lignes de métro, Donkey Kong sème la panique, et bientôt toute la planète est réduite à l’état de Pixel. En deux minutes trente, le réalisateur Patrick Jean raconte ainsi la revanche surréaliste des jeux vidéo des années 80 sur la société moderne. Dès sa diffusion en 2010, cet audacieux court-métrage baptisé Pixels attire tous les regards et notamment ceux d’Adam Sandler, bien décidé à en produire une adaptation à grande échelle dont il tiendrait la vedette. Cinq ans plus tard, le long-métrage sort sur tous les écrans du monde, réalisé par Chris Columbus sous l’égide du studio Sony-Columbia. Sandler y joue Sam Brenner, un ancien champion de jeux vidéo devenu installateur de home cinémas. Un jour, son ami d’enfance Will Cooper (Kevin James), devenu rien moins que le président des Etats-Unis, l’appelle à la rescousse. Des créatures tout droit sorties de jeux vidéo d’arcade se mettent en effet à envahir la planète. Pourquoi ? Parce qu’un message envoyé aux aliens en 1982, contenant des images de jeux vidéo classiques, a été interprété comme une déclaration de guerre. La Terre est désormais attaquée par des personnages inspirés des jeux d’antan, et seuls des rétrogamers confirmés semblent pouvoir les arrêter. Brenner s’adjoint donc les services de deux ex-spécialistes des arcades, Eddie Plant (Peter Dinklage) et Ludlow Lamonsoff (Josh Gad) pour préparer la contre-attaque. 

Dès ses premières minutes, Pixel cherche à faire du charme aux « geeks » de tous poils en s’efforçant de solliciter une complicité qui lui semble acquise. Allusions et clins d’œil en cascade à la pop-culture des années 80, apparitions de guest-stars ciblées (Dan Aykroyd nous renvoie à S.O.S. Fantômes auquel les posters de Pixels semblent se référer), bande originale saupoudrée de tubes des eighties… Tous les ingrédients sont là, mais la magie n’opère pas. Sous prétexte de n’être « qu’une » comédie, Pixels passe totalement à côté de son sujet, s’interdisant toute réflexion sur la nostalgie régressive d’une génération de quadragénaires refusant obstinément d’évacuer les émois de leur adolescence tenace.

Chris Columbus en petite forme

Avec ses ambitions étriquées, son scénario simpliste, ses dialogues exaspérants, son accumulation de clichés et la condescendance manifeste avec laquelle il appréhende ses spectateurs, Pixels n’a pas grand-chose pour plaire, d’autant qu’il ne provoque que rarement le rire – un comble pour une comédie ! Même les effets visuels sont discutables. La simplicité du design original de Pac-Man, Space Invaders ou Donkey Kong avait parfaitement été restituée en 3D dans le court de Patric Jean. Mais ici, les jeux d’arcade ressemblent à des rubik’s cube scintillants et multicolores franchement hideux. Quant à Chris Columbus, il assure le service minimum, ayant visiblement oublié depuis bien longtemps le grain de folie qui l’animait lorsqu’il écrivait les scénarios de Gremlins, Les Goonies ou Le Secret de la pyramide.

 

© Gilles Penso

L’EXORCISTE : AU COMMENCEMENT (2004)

Une prequel de L'Exorciste confuse et maladroite, commencée par Paul Schrader et reprise par Renny Harlin

EXORCIST – THE BEGINNING

2004 – USA

Réalisé par Renny Harlin

Avec Izabella Scorupo, Stellan Skarsgard, James d’Arcy, Remy Sweeney, Julian Wadham, Andrew French, Ralph Brown 

THEMA DIABLE ET DEMON I SAGA L’EXORCISTE

Les remontages que L’Exorciste a subi au fil de ses réexploitations à l’écran, tout comme les séquelles dont il fut affublé, ne font que confirmer le caractère unique et inimitable du film de William Friedkin. Mais le filon fut suffisamment rentable pour motiver la mise en chantier d’une préquelle. D’où cet Exorciste – le commencement confié à Paul Schrader, lequel fut éjecté du projet lorsque ses images et son montage parvinrent aux patrons de Warner. Renny Harlin fut donc chargé de rafistoler l’ensemble, un choix qui peut surprendre dans la mesure où le réalisateur de 58 Minutes pour Vivre et Cliffhanger est à priori plus à l’aise avec l’action grand public que l’épouvante et le surnaturel. a séquence d’introduction, située en pleine antiquité, nous montre un pèlerin harassé par le soleil, arpentant une plaine jonchée de cadavres. Bientôt, il découvre à perte de vue des milliers d’hommes crucifiés sur des croix à l’envers. Hélas, les trucages et les mouvements de caméra choisis par Harlin (façon jeu vidéo) amenuisent considérablement l’impact d’une scène qui aurait mérité un traitement plus réaliste.

L’intrigue nous transporte ensuite au Caire, en 1949, et nous familiarise avec Lancaster Merrin, un ancien prêtre en pleine crise de foi ayant troqué la soutane contre une défroque d’archéologue sur le retour. Version dépenaillée d’Indiana Jones, Merrin se voit confier l’expertise d’une église vieille de 1500 ans qui vient d’être mise à jour à Nairobi, et qui abriterait la statue d’un démon sumérien. Sur place, Merrin rencontre Sarah, une jolie doctoresse rescapée de la Shoah, et Jeffries, un chef de chantier alcoolique, hideux et libidineux. Il découvre également que les événements étranges se succèdent avec une fréquence alarmante autour du site archéologique. Les ouvriers disparaissent par douzaines, le responsable des fouilles devient fou et se suicide, un enfant est déchiqueté par une horde de hyènes, une femme accouche d’un mort-né infesté de vers, un enfant prénommé Joseph présente bientôt tous les symptômes de la possession diabolique…

« Le Mal est en chacun de nous… »

Campé sur ses positions agnostiques, Merrin déclare à Sarah : « il est très facile de croire que le Mal est une entité, mais en réalité il est en chacun de nous. » Mais ses convictions tressaillent peu à peu, le film s’efforçant d’emprunter le schéma narratif connu de l’homme retrouvant la foi grâce à un choc psychologique. Ce dernier prend la tournure d’une séance d’exorcisme, passage obligatoire de la franchise. Et si L’Exorciste – le commencement parvient à soutenir sans trop de mal l’intérêt du spectateur, en grande partie grâce à la conviction de ses comédiens, tout bascule lors de cette ultime séquence, parodie involontaire du film de Friedkin qui abuse des trucages numériques et des effets choc grotesques, prouvant l’incapacité du réalisateur à appréhender sérieusement un sujet au potentiel pourtant énorme. L’ultime image est celle de Merrin, redevenu prêtre, s’éloignant comme Lucky Luke au coucher du soleil en arborant sa célèbre panoplie (manteau noir, chapeau et valise), aux accents d’une partition imitant imperceptiblement le « Tubular Bells » de Mike Oldfield.

 

© Gilles Penso

L’EXORCISTE, LA SUITE (1990)

L'auteur du roman L'Exorciste décide de passer lui-même derrière la caméra pour réaliser le troisième opus de la saga

THE EXORCIST III

1990 – USA

Réalisé par William Peter Blatty

Avec George C. Scott, Ed Flanders, Jason Miller, Nicol Williamson, Brad Dourif, Scott Wilson, Nancy Fish, George DiCenzo 

THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA L’EXORCISTE

Auteur du best-seller qui inspira le premier Exorciste de William Friedkin, William Peter Blatty s’avoua quelque peu déçu par le montage définitif du film, apparemment éloigné de sa vision initiale du récit. En guise de revanche, il passa lui-même derrière la caméra pour réaliser cette séquelle officielle, ignorant superbement le médiocre Exorciste 2 : L’Hérétique commis par John Boorman. L’intrigue se situe logiquement quinze ans après les tragiques événements de L’Exorciste, et met en vedette le lieutenant de police Kinderman. Interprété par Lee J. Cobb dans le film original, il a pris ici les traits burinés du vétéran George C. Scott (Docteur FolamourPatton), et se retrouve avec plusieurs cadavres sur les bras. Assassinés selon un rituel pour le moins abominable, ils évoquent beaucoup les victimes d’un tueur en série surnommé « Le Gémeau », qui grilla sur la chaise électrique quinze ans plus tôt, autrement dit à l’époque où le père Damien Karras succombait après avoir exorcisé la jeune Regan McNeil. Tandis que l’enquête piétine et que les meurtres se multiplient, Kinderman fait une surprenante découverte. Karras a survécu à sa terrible chute (à la fin du premier Exorciste). Retrouvé amnésique par la police au milieu des années 70, puis assailli par de violents accès de rage et de fureur, il a été interné dans l’aile des fous dangereux d’un hôpital où se déroule dès lors la majeure partie du film. Depuis quinze ans, Karras abrite en son âme un terrifiant démon, celui-là même qui possédait « Le Gémeau ». 

Et si Jason Miller reprend ici le rôle du prêtre tourmenté, c’est l’excellent Brad Dourif, habitué aux personnages psychotiques, qui prête son visage au « Gémeau », et donc au Mal personnifié. La conviction des comédiens et la relative sobriété des effets de mise en scène de Blatty placent le film sous un jour réaliste et presque austère. Point de jets de vomi spectaculaires ni de maquillages horrifiques ici, et à l’exception d’une séquence finale d’exorcisme visiblement imposée par les producteurs pour satisfaire les amateurs de grand-guignol, le reste du métrage joue plutôt la carte de la suggestion et de l’atmosphère angoissante. Les morts horribles, par exemple, nous sont décrites mais jamais montrées. Ce refus du démonstratif est à priori louable, mais le potentiel d’épouvante de ce troisième Exorciste finit par en pâtir sérieusement.

Une variante efficace et souvent effrayante

A force de ne rien montrer et de tout miser sur l’ambiance et les dialogues, Blatty suscite presque l’ennui, notamment lors de ces interminables séquences d’entretien entre George C. Scott et Brad Dourif, au cours desquels le démon qui habite Karras n’en finit plus d’expliquer ses noirs desseins et de se repaître des méfaits commis pour lui par les pauvres gens qu’il possède à tour de rôle. Restent quelques visions furtives mais marquantes, comme ce rêve surréaliste où les anges aux larges ailes côtoient des nains transportant une horloge, ou comme cette apparition fort inquiétante d’une vieille dame rampant comme un insecte sur le plafond d’une des pièces de l’hôpital. Indiscutablement plus intéressant que L’Hérétique, ce troisième épisode n’arrive certes pas à la cheville du chef d’œuvre auquel il succède, mais s’apprécie comme une variante efficace et souvent effrayante.

 

© Gilles Penso

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EXORCISTE 2 : L’HERETIQUE (1977)

John Boorman prend le relais de William Friedkin pour se lancer dans une séquelle étrange et déstabilisante

EXORCIST 2 : THE HERETIC

1977 – USA

Réalisé par John Boorman

Avec Linda Blair, Richard Burton, Louise Fletcher, Max Von Sydow, Kitty Winn

THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA L’EXORCISTE

Même s’ils étaient peu enclins à se lancer dans une suite de L’Exorciste, le réalisateur William Friedkin et l’auteur William Peter Blatty se penchèrent par principe sur cette éventualité, suite au succès colossal né de leur collaboration en 1973. Mais bien vite, ils se heurtèrent à l’impossibilité d’établir un scénario cohérent, et abandonnèrent donc l’idée. Les cadres de Warner Bros ne l’entendant pas de cette oreille, une suite fut malgré tout mise en chantier et confiée aux bons soins de John Boorman. Après un début de carrière fulgurant (Le Point de non retourDuel dans le Pacifique, Délivrance)le cinéaste britannique avait essuyé l’échec de Zardoz et cherchait donc un moyen de revenir sur le devant de la scène. Peine perdue : cet Exorciste 2 : l’Hérétique est tellement à côté de la plaque qu’il restera dans les mémoires comme l’une des séquelles les plus incongrues de l’histoire du cinéma. Certes, Boorman n’a pas choisi la facilité, refusant de se soumettre aux mêmes recettes horrifiques que le premier Exorciste pour explorer une voie plus mystique. Mais à trop vouloir transcender le sujet initial, il s’en éloigne jusqu’à l’absurde.

Regan, toujours incarnée par Linda Blair, est aujourd’hui une adolescente rondouillarde qui semble bien dans sa peau et se détend en préparant un spectacle de claquettes. Mais le démon qui jadis la posséda est toujours là, quelque part, tapi au plus profond de son inconscient. La psychothérapeute Gene Turney (Louise Fletcher) lui dispense des soins routiniers, et reçoit un jour la visite du père Lamont (campé par l’immense Richard Burton). Ce dernier est chargé d’enquêter sur la mort du père Merrin, le fameux exorciste du film précédent, et souhaite donc rencontrer Regan. Obsédé par la chasse au démon, il se laisse aller à quelques envolées lyriques telles que « Le mal est une réalité spirituelle, qui existe et qui est en vie, pervertie et pervertissante, qui tisse sa trame insidieusement dans le tissus de la vie ». La psychologue, pour sa part, ne croit qu’aux maladies mentales, mais propose à Regan de vivre avec elle une séance d’hypnose synchronisée pour aider Lamont dans ses investigations. La séquence, assez interminable, permet d’entrevoir Regan possédée et met en évidence la présence latente du maléfique démon Pazuzu.

Des séquences rocambolesques dignes d'un serial

A partir de là, Exorciste 2 l’Hérétique prend une tournure des plus étranges. Tandis que Regan est en proie à des crises de somnambulismes, le père Lamont part en Afrique à la recherche des origines de Pazuzu et d’un homme qui fit jadis exorcisé par Merrin (lequel apparaît en flash-back sous les traits de Max Von Sydow). Les séquences rocambolesques dignes d’un serial ou d’un vieux Tarzan (l’escalade de la montagne pour atteindre une cité afriaine de carte postale), les effets spéciaux approximatifs (maquettes, incrustations, rotoscopie) et les dialogues extravagants (Burton et James Earl Jones devisent gravement entre ce qui différencie les gentilles et les méchantes sauterelles !) parachèvent le massacre. Ni les envolées de la partition d’Ennio Morricone, ni le jeu habité de Burton ne parviennent à sauver l’entreprise que les fans du premier film rejetteront violemment. Boorman, pour sa part, se rattrapera en réalisant quelques années plus tard l’épique Excalibur.

 

© Gilles Penso

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KAMIKAZE (1986)

La police est sur les dents : un homme a trouvé le moyen de tuer à distance ceux qui passent à la télé !

KAMIKAZE

1986 – FRANCE

Réalisé par Didier Grousset

Avec Richard Bohringer, Dominique Lavanant, Michel Galabru, Romane Bohringer, Etienne Chicot

THEMA CINEMA ET TELEVISION

Produit et co-écrit par Luc Besson, que Didier Grousset assista sur le tournage de Subway, Kamikaze part d’un postulat étonnant, une idée délirante qui semble détourner l’un des gags récurrents du fameux Hamburger Film Sandwich de John Landis. Génie de l’informatique renvoyé du laboratoire où il exerce, Albert (Michel Galabru) s’installe chez sa nièce et son mari, dans une grande maison retirée du monde, et s’abrutit devant la télévision. Bientôt révolté par la stupidité des programmes que le poste diffuse à longueur de journée, il invente un rayon révolutionnaire capable d’assassiner les speakrines à distance. Tandis que les meurtres inexpliqués se multiplient, l’inspecteur de police Romain Pascot, incarné par Richard Bohringer, mène l’enquête et se heurte au Ministère de la Communication. Pendant que les journaux titrent « meurtres en chaînes », son enquête piétine. « J’ai 55 millions de suspects » soupire-t-il. En désespoir de cause, le Ministère de l’Intérieur le dote d’un budget illimité afin qu’il puisse trouver la source de ces morts en série et l’éradiquer au plus vite. Pascot convoque alors tous les plus grands scientifiques à sa portée, et une théorie folle commence à s’échafauder. « L’individu qui nous intéresse a substitué au faisceau hertzien un faisceau d’ultrasons très concentré » explique ainsi lors d’une conférence un éminent professeur incarné par Etienne Chicot. « Ce faisceau remonte jusqu’à la caméra de télévision et va faire éclater de l’intérieur les os et les organes de la victime. » L’explication est certes complètement farfelue, mais elle est délivrée avec tellement d’aplomb que le spectateur est tout disposé à y croire. 

Kamikaze adjoint à son scénario étonnant un casting de premier choix. Michel Galabru y est délectable en misanthrope ultime, Richard Bohringer déborde comme toujours de charisme (son enfant étant joué dans le film par sa propre fille Romane) et Dominique Lavanant nous surprend dans un registre éloigné de la comédie qui l’a rendue populaire. Seuls la nièce d’Albert et son époux s’avèrent insipides, d’autant que leur rôle dans le film aurait quasiment pu être effacé sans trop d’incidence sur le déroulement du récit. Didier Grousset fait ici montre d’un indéniable savoir-faire, notamment lorsqu’il s’agit de concevoir des séquences de suspense comme celle au cours de laquelle un technicien sur le plateau d’une émission télévisée s’apprête à mourir en direct.

L'influence de Videodrome ?

Les meurtres eux-mêmes sont violents et sanglants, ne s’embarrassant guère d’une quelconque auto-censure. Au passage, la séquence où Galabru s’approche de son écran de télévision pour embrasser la bouche immense d’une présentatrice pulpeuse nous renvoie illico à Videodrome, et il n’est pas impossible que le chef d’œuvre de David Cronenberg ait d’une manière ou d’une autre influencé Kamikaze. Excellente surprise doublée d’une salve acerbe contre un petit écran nivelant son public par le bas, le film de Grousset nargue superbement les programmes télévisés à travers ses images léchées qui s’étalent sur un généreux format Cinémascope. Finalement, seule la bande originale d’Eric Serra aura mal passé le cap des années, le reste du métrage demeurant d’excellente facture.

 

© Gilles Penso

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TRAITEMENT DE CHOC (1973)

Annie Girardot et Alain Delon s'affrontent dans ce thriller fantastico-médical mené de main de maître par Alain Jessua

TRAITEMENT DE CHOC

1973 – FRANCE / ITALIE

Réalisé par Alain Jessua

Avec Annie Girardot, Alain Delon, Michel Duchaussoy, Jean-François Calve, Robert Hirsch, Gabriel Cattand

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Partisan d’un fantastique soigneusement ancré dans le réalisme (Armaguedon, Les Chiens, Paradis pour tous), Alain Jessua a planté sa caméra à Quiberon, dans le Morbihan, pour composer un intéressant exercice de suspense médical qui annonce certaines œuvres de Michael Crichton, notamment Morts suspectes avec lequel il présente plusieurs similitudes. Personnage central de Traitement de choc, Hélène Masson, incarnée par Annie Girardot, est une riche styliste de trente-six ans qui se sent au bord de la dépression suite à une déception amoureuse (son petit ami l’a en effet quittée pour une femme plus jeune). Pour reprendre du poil de la bête, elle décide de faire une cure au prestigieux institut de thalassothérapie du docteur Devilers, dont on lui a dit le plus grand bien, et se rend donc à sa clinique privée confortablement édifiée le long de la côte bretonne. Une clinique très luxueuse et très onéreuse. Hélène y rencontre du beau monde, notamment le patron de la clinique, le séduisant docteur Devilers (les anglophones auront bien sûr repéré le diable qui se dissimule à peine sous ce patronyme très suggestif).

Interprété par un Alain Delon de 45 ans toujours fringant, Devilers redonne énergie et santé à une clientèle fortunée grâce à un procédé secret à base de cellules animales régénérantes. Hélène, comme les autres malades, se sent rapidement mieux, et découvre que la plupart des patients font une ou deux cures chaque année, ce qui les rajeunit considérablement. Entre deux clients fortunés en peignoir de bain, Hélène retrouve son ami Jérôme Savignat (Robert Hirsch), mais celui-ci, ayant des problèmes d’argent, n’a plus les moyens de suivre le traitement fort coûteux et va bientôt être chassé de la clinique. Quelques jours plus tard, il se donne la mort en se jetant du haut d’une falaise. Ce suicide traumatise Hélène qui devient méfiante et entreprend une enquête personnelle. Ses investigations la conduisent pas à pas vers une abominable découverte. Car le secret du miraculeux élixir de jouvence de Devilers repose sur un secret épouvantable.

L'élixir de jouvence

Traitement de choc est une inquiétante allégorie sur la vampirisation des couches sociales démunies par une élite de nantis, une thématique que revisiteront entre autres Rod Hardy (Soif de sang) et Brian Yuzna (Society), et qui prend ici l’image finale de corps éventrés dans une chambre froide. Dommage que l’angoisse inhérente à un tel récit soit quelque peu amenuisée par des problèmes de rythme et une tendance fâcheuse à multiplier les dialogues explicatifs. Mais il faut reconnaître que Girardot et Delon sont impeccables dans leurs rôles respectifs. La partition, signée en partie par Jessua, joue sur les percussions et les vocalises ethniques, comme pour mieux accentuer la sauvagerie cannibale qui sommeille chez tous ces curistes de la haute bourgeoisie. En Grande-Bretagne, Traitement de choc fut distribué sous l’étrange titre de Doctor in The Nude, sans doute en référence à une scène naturiste au cours de laquelle Delon et Girardot se baignent nus dans l’océan.

© Gilles Penso

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EDEN LOG (2007)

Clovis Cornillac plonge corps et âme dans un voyage initiatique conceptuel aux résonances bibliques

EDEN LOG

2007 – FRANCE

Réalisé par Franck Vestiel

Avec Clovis Cornillac, Vimala Pons, Zohar Wexler, Sifan Shao, Arben Bajraktaraj, Abdelkader Dahou, Toni Amoni, Antonin Bastian

THEMA FUTUR I VEGETAUX I MUTATIONS

Eden Log nous ramène à l’aube des années 80, époque où certains cinéastes français osaient se lancer dans des exercices de science-fiction atypiques et conceptuels tels que Le Bunker de la Dernière Rafale de Caro et Jeunet ou Le Dernier Combat de Besson et Jolivet. On retrouve dans le premier long-métrage de Franck Vestiel ce goût prononcé pour la monochromie épurée, la plastique glacée et l’épure du dialogue. Quand le film commence, c’est presque à la Genèse que nous croyons assister. Un homme nu et apeuré reprend conscience au fin fond d’une grotte. Qui est-il ? D’où vient-il ? Le mystère est entier. Dès cette scène d’introduction au rythme languissant, dans laquelle les grognements remplacent les mots, où la pénombre règne, où les décors s’avèrent boueux et sales, le spectateur est prévenu : il va devoir être patient, attentif et participatif. Peu à peu, la boue élémentaire révèle un décor industriel qui semble à l’abandon. De vieilles hélices rouillées apparaissent à l’arrière-plan, des hologrammes féminins parlent dans toutes les langues… Au fil de son parcours, notre homme trouve des vêtements poussiéreux, une lampe de poche, et se civilise peu à peu, quittant sa première apparence quasi-paléolithique.

Le premier dialogue n’arrive au bout de 17 minutes, et se résume à ces deux répliques : « Qui es tu ? », « Je ne sais pas ». Nous voilà bien avancés ! Les brumes de l’énigme se dissipent tout de même au bout d’un moment. Le labyrinthique laboratoire en ruines qu’arpente notre héros appartient à Eden Log, une compagnie jadis en quête de nouvelles énergies puisées dans les arbres. Or au fil des prélèvements de sa sève, la plante a commencé à se défendre et à se développer au-delà de tout contrôle, transformant les ouvriers en mutants monstrueux qui ne sont pas sans évoquer le concept de Doom. Tout le film peut d’ailleurs s’appréhender comme un jeu vidéo dont le héros s’efforce de traverser chaque niveau en échappant aux opposants (soldats et monstres) lancés à ses trousses. Le maquillage des créatures, œuvre de Jean-Christophe Spadaccini, est particulièrement réussi et extraordinairement mis en valeur par la photographie tout en contrastes de Thierry Pouget.

La terrible mutation

Bientôt, le protagoniste lui-même semble être sur le point de connaître la terrible mutation. D’où une scène d’amour pour le moins étonnante. Notre protagoniste l’imagine romantique, mais en réalité c’est un viol, et le montage parallèle alterne les deux versions, soutenu par une bande sonore perturbante. Toute la question du Ça, de la bête intérieure et du contrôle de soi est abordée en quelques secondes. Dans Eden Log, Clovis Cornillac mouille plus que jamais sa chemise, même si ce sont moins ici ses talents d’acteur que son énergie et sa présence physique qui sont sollicités. Le film de Vestiel bénéficie donc, on l’aura compris, d’une mise en scène et d’une direction artistique impeccables. Mais son audace suscite assez rapidement un hermétisme et une austérité un brin agaçants. Ce qui aurait sans doute fait fureur sur un format de court-métrage peine à captiver sur une durée d’une heure et demie, et le dénouement incompréhensible nous laisse un peu sur notre faim.

 

© Gilles Penso

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TED 2 (2015)

Une séquelle du conte de fées pour adultes de Seth MacFarlane qui se transforme en road movie puis en film de tribunal absurde

TED 2

2015 – USA

Réalisé par Seth MacFarlane

Avec Mark Wahlberg, Amanda Seyfried, Seth MacFarlane, Jessica Barth, Giovanni Ribisi, Morgan Freeman, Sam Jones

THEMA JOUETS

Fort du succès de sa première aventure, l’ourson mal léché est de retour dans une séquelle déjantée qui reprend les protagonistes du film précédent à peu près là où nous les avions laissés en 2012. L’ours en peluche grivois et la belle Tamy-Linn (Jessica Barth) ont décidé de se marier, ce qui semble ne poser aucun problème aux yeux de la loi ou de l’église. En effet, comme les dinosaures de Jurassic World, ce jouet vivant et turbulent n’étonne plus personne. Les gens se sont habitués à sa présence, signe d’une société de plus en plus blasée et de moins en moins encline à l’émerveillement. Lorsque l’ours et son épouse humaine décident de se reproduire, les choses se compliquent. La voie naturelle étant exclue (notre ami Ted n’est pas physiquement « équipé » pour procréer) et l’insémination ne fonctionnant pas, l’adoption semble être la seule solution viable. Mais en remplissant les documents administratifs nécessaires, Ted alerte le gouvernement qui finit par se demander si un ours en peluche a les mêmes droits qu’un être humain. Les conséquences ne tardent pas : Ted est destitué de son statut de citoyen américain. Il perd son emploi, voit son mariage annulé et redevient aux yeux du monde un simple objet.

La question existentielle que soulève le scénario de Ted 2 est potentiellement passionnante : un objet doué de raison et d’émotion doit-il être considéré comme un bien matériel ou comme une personne ? A vrai dire, le scénario n’exploite que superficiellement ces interrogations, proches de celles soulevées par Steven Spielberg dans A.I. Intelligence Artificielle, pour se concentrer sur son moteur principal : la satire potache, grasse et de préférence située en dessous de la ceinture. Les spectateurs qui ne sont pas allergiques aux gags paillards et aux loufoqueries puisées dans la culture geek verront leurs zygomatiques sollicités avec autant d’efficacité que pour le premier Ted, les deux films cultivant le même esprit salace et le même humour référentiel. Les autres ont tout intérêt à passer leur chemin sous peine de pousser de longs soupirs d’exaspération tout au long du métrage. Car Seth MacFarlane est bien conscient d’avoir ses fans et ses détracteurs, caressant les premiers dans le sens du poil sans se soucier des autres. 

Guest stars et cascade de gags

Désireux de ne pas se cantonner à l’espace étriqué d’une comédie traditionnelle, le scénariste/réalisateur/acteur a décidé pour cette séquelle d’élargir son horizon, empruntant tour à tour les codes du film de tribunal (le cœur du récit est un procès au cours duquel Ted clame son humanité), du road movie (les trois héros traversent une partie de l’Amérique en voiture pour trouver un avocat) et même de la comédie musicale, le temps d’un générique flamboyant hérité des chorégraphies de Busby Berkeley. Comme toujours, quelques guest stars viennent égayer le film. Sam Jones, héros du Flash Gordon de 1980, revient ainsi jouer son propre rôle, Morgan Freeman incarne un vieil avocat acquis tardivement à la cause de Ted et Liam Neeson nous gratifie d’un passage hilarant dans lequel il semble autoparodier sa prestation tourmentée dans Taken. Cerise sur le gâteau, le climax du film se situe en plein Comic Con, prétexte idéal pour une cascade de gags absurdes conçus comme autant de clins d’œil aux fans de SF et de comics.

 

© Gilles Penso

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