SOLOMON KANE (2009)

Le chasseur de démons imaginé par Robert Howard prend corps à l'écran sous les traits charismatiques de James Purefoy

SOLOMON KANE

2009 – GB / FRANCE / REPUBLIQUE TCHEQUE

Réalisé par Michael J. Bassett

Avec James Purefoy, Max Von Sydow, Pete Postlethwaite, Rachel Hurd-Wood, Alice Krige, Mackenzie Crook, Ben Steel

THEMA HEROIC FANTASY I DIABLE ET DEMONS

Moins connu que Conan le barbare, Solomon Kane est pourtant une autre création inspirée de l’écrivain Robert Howard, un pourfendeur de démons du 17ème siècle aussi peu dénué de scrupules et d’états d’âmes que son petit frère cimmérien. Apparu pour la première fois en août 1928 dans le magazine Weird Tales, Solomon Kane (dont le nom mixe deux influences bibliques, le fougueux roi Salomon et le fratricide Caïn) fut le héros de plusieurs récits et se vit adapter en bande dessinée. Mais il aura fallu attendre la passion du scénariste/réalisateur Michael J. Bassett, grand admirateur d’Howard, pour qu’un Solomon Kane sur grand écran voie enfin le jour. Et le spectacle est à la hauteur des espérances, ne reculant devant aucune brutalité (les combats sont particulièrement sanglants), bénéficiant de magnifiques décors naturels captés en République Tchèque ou reconstitués en studio façon Hammer Films (ah, ce magnifique cimetière nocturne !), et mettant en scène quelques somptueuses créatures démoniaques conçues par Patrick Tatopoulos et visiblement sous l’influence de Guillermo del Toro.

A ce titre, les spectres grimaçants qui hantent les miroirs et happent les guerriers passant à leur portée ou le colossal Troll surgissant au moment du climax s’affirment comme de superbes visions de pure fantasy. Le casting lui-même est d’une grande finesse, offrant à quelques vétérans tels que Max Von Sydow ou Pete Postlethwaite des rôles mémorables tout en proposant à un quasi-inconnu (l’excellent James Purefoy) de tenir le haut de l’affiche. Aussi crédible en combattant farouche qu’en puritain tourmenté, Purefoy, avec ses faux airs d’Hugh Jackman et de Robert Carlyle, porte une bonne partie de l’impact du film sur ses solides épaules.

Sanglante croisade

N’adaptant aucune aventure précise écrite par Robert Howard, le film de Bassett se situe dans une Angleterre ravagée par les guerres. Le capitaine Solomon Kane, guidé par une foi inébranlable, occis à tour de bras tous les « infidèles » qu’il croise, persuadé d’agir pour le bien de l’humanité. Mais après une de ses sanglantes croisades, il croise un émissaire du Diable qui lui annonce le prix qu’il devra payer pour tout ce sang versé : son âme. Terrifié, Kane décide de renoncer à la violence en s’enfermant dans un cloître. Mais le mal continue de croitre autour de lui, et lorsque les démoniaques émissaires du redoutable Malachi se mettent à battre la campagne, ses nouvelles résolutions sont mises à rude épreuve… Élégante, stylisée, toute en retenue (sauf évidemment lorsque l’acier et la chair entrent en collision au cours des nombreuses échauffourées scandant le métrage), la mise en scène de Bassett dote Solomon Kane d’un souffle et d’une personnalité en parfait accord avec ses sources d’inspiration littéraires. La seule véritable ombre au tableau, en la matière, est sans doute la partition paresseuse d’un Klaus Badelt en sérieux manque d’inspiration. On regrette aussi – et surtout – un final un peu escamoté qui fait l’effet d’un pétard mouillé et laisse imaginer quelques coupes budgétaires inopinées. Ces réserves mises à part, Solomon Kane est une initiative réjouissante qui mériterait plusieurs séquelles. Hélas, le succès très mitigé du film ne laisse guère augurer de prolifique descendance…

 

© Gilles Penso

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PHÉNOMÈNES PARANORMAUX (2010)

Un film insaisissable, entre fiction et faux documentaire, qui aborde sous un angle hyper-réaliste le thème des enlèvements d'humains par des extra-terrestres

THE FOURTH KIND

2010 – USA / GB

Réalisé par Olatunde Osunsanmi

Avec Milla Jovovich, Will Patton, Hakeem Kae-Kazim, Corey Johnson, Enzo Cilenti, Elias Koteas, Eric Loren, Raphael Coleman

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre français maladroitement opportuniste, Phénomènes paranormaux n’est pas un succédané de Paranormal Activity (gros succès en salle l’année précédente) mais un film étrange qui mixe la science-fiction à l’épouvante psychologique en s’appuyant sur un procédé narratif original aux allures de docu-fiction. Le scénario s’appuie sur un fait réel dûment établi par le FBI : dans la ville de Nome, en Alsaka, des disparitions inexpliquées se produisent régulièrement depuis les années 60 sans qu’aucune explication logique n’ait pu être donnée. La piste des enquêteurs officiels s’oriente bien sûr vers des kidnappings et des meurtres, mais pour Hollywood, il semblait plus séduisant d’adopter la thèse des abductions extra-terrestres. Le titre original, Fourth Kind, ne laisse d’ailleurs planer aucun doute, se référant directement à la fameuse typologie établie par le scientifique Alan Hynek pour hiérarchiser les contacts entre humains et aliens : la rencontre du premier type est l’observation d’un phénomène spatial inexpliqué, celle du deuxième type caractérise l’interaction physique de ce phénomène avec des témoins, et celle du troisième type concerne le contact établi avec une forme extra-terrestre.

Quant à la « Rencontre du Quatrième Type », elle semble liée aux enlèvements d’humains par des extra-terrestres, un thème qui a alimenté moult scénarios de la série X-Files mais que le réalisateur Olatunde Osunsanmi aborde sous un angle volontairement hyperréaliste. Le doute est d’ailleurs volontairement entretenu quant à la véracité des événements décrits dans le film. Car le montage, surprenant, insère régulièrement des documents vidéo mettant en scène les « véritables » acteurs du drame (séances d’hypnose de l’époque filmées par les psychiatres, enregistrements par des caméras de police, documents tournés pour une université, etc.). A l’écran, il n’est pas rare qu’un split-screen montre ainsi deux fois la même scène, version cinéma et version « réalité ».

Rencontres du quatrième type

Pour enfoncer le clou, les comédiens se présentent dès le début du film pour nous annoncer qu’ils s’apprêtent à interpréter des personnages réels. Milla Jovovich incarne ainsi la psychologue Abigail Tyler, traumatisée par le meurtre de son époux et préoccupée par plusieurs de ses patients souffrant de troubles sévères du sommeil suite à des cauchemars récurrents… Alors, info ou intox ? De toute évidence, le film est un gigantesque canular, mais la minutie et le réalisme avec lequel les témoignages « réels » sont reconstitués et intégrés à la narration font tout l’intérêt d’un long-métrage qui, par ailleurs, ne raconte rien de foncièrement novateur. La mise en scène d’Osunsanmi s’avère d’ailleurs parfois exagérément maniérée, là où un peu plus de sobriété aurait été de mise. Mais il faut reconnaître que Phénomènes Paranormaux sait susciter le trouble, en partie grâce à l’implication de ses comédiens. Milla Jovovich nous surprend agréablement dans un registre moins physique et beaucoup plus intériorisé qu’à l’accoutumée, épaulée par de solides partenaires tels que Will Patton et Elias Koteas. Bref rien de neuf sous le ciel extra-terrestre, mais une habile et innovante variation sur un thème connu.

 

© Gilles Penso

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SPLICE (2010)

Le talentueux réalisateur de Cube revisite le mythe de l'apprenti-sorcier en décrivant les conséquences d'une étrange expérience génétique

SPLICE

2010 – CANADA / FRANCE

Réalisé par Vincenzo Natali

Avec Sarah Polley, Adrian Brody, Delphine Chaneac, David Hewlett, Abigail Chu, Brandon McGibbon, Amanda Brugel

THEMA MEDECINE EN FOLIE

S’appuyant sur le thème classique de l’apprenti sorcier, Splice aurait pu se barder de clichés et verser dans la caricature. La réussite et la singularité du film n’en sont que plus remarquables. Car Vincenzo Natali, auteur du remarquable Cube, choisit d’aborder son sujet sous un angle naturaliste et moderne. Adrien Brody et Sarah Polley incarnent Clive et Elsa, un couple de scientifiques spécialisés dans la recherche génétique. Après avoir combiné les gènes de plusieurs espèces animales, ils souhaitent fusionner l’ADN animal et humain, mais le laboratoire pharmaceutique qui les finance refuse d’aller aussi loin. Elsa décide de bafouer les règles et de tenter l’expérience. Avec la complicité méfiante de l’homme qu’elle aime, la jeune savante parvient à donner naissance à un petit être hybride dont le faciès n’est pas sans évoquer le bébé monstre d’Eraserhead. Bientôt baptisée Dren (l’envers de « Nerd »), la créature grandit très vite et va progressivement faire basculer la vie de ses créateurs dans le cauchemar…

Si la réussite de Splice repose beaucoup sur la justesse de jeu d’Adrien Brody et Sarah Polley, il faut également saluer l’incroyable prestation de Delphine Chanéac dans le rôle de Dren, accentuée par des effets visuels révolutionnaires déformant suffisamment son visage pour marquer son anormalité, mais pas trop afin de préserver sa beauté androgyne. « Les jambes de Dren, qui sont conçues avec une double articulation, ont été reconstruites numériquement à partir de mes véritables jambes et se prolongent avec mes avant-bras », explique la comédienne. « Les pieds sont mes mains. Un de mes doigts a été supprimé et des tendons ont été rajoutés, mais ce sont des éléments de mon propre corps. Finalement, seule la queue est entièrement factice. » (1) « Dans la plupart des films de monstres, on a tendance à partir d’une morphologie humaine et à y ajouter des choses », ajoute Vincenzo Natali. « Pour Dren, nous avons procédé à l’envers, par soustraction, en ne créant que de petites altérations. » (2)

Une collection de sujets tabous

Grâce au prisme de la science-fiction, le cinéaste se permet d’aborder frontalement des sujets aussi délicats que l’inceste, la pédophilie, la zoophilie, la transsexualité ou le viol, sans le moindre voyeurisme mais sans s’embarrasser pour autant du moindre tabou. Les obsessions de David Cronenberg hantent ce récit tortueux, qui évoque aussi Embryo de Ralph Nelson. Mais Splice demeure résolument personnel et novateur, notamment grâce au choix de sa principale protagoniste, Elsa, une scientifique trentenaire. Arrivée à l’âge où la question de la maternité se pose naturellement, elle écarte inconsciemment l’idée de donner vie à un enfant dont la croissance, le développement et l’autonomie lui échapperaient. En se rabattant sur un être artificiellement enfanté, elle croit pouvoir conserver la maîtrise de son devenir. Il n’en sera rien, évidemment, et tous ceux qui sont familiers avec l’œuvre de Mary Shelley savent qu’une telle tentative est vouée à l’échec. « J’ai grandi avec les Frankenstein de James Whale et je les adore, mais je n’ai jamais cherché à les imiter », avoue Natali. « Avec Splice, je me suis efforcé de reprendre certains de leurs concepts et les transporter dans le vingt et unième siècle. » (3)

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 2009
(2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010

 

© Gilles Penso

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LA PIEL QUE HABITO (2011)

Pedro Almodovar détourne l'argument des Yeux sans visage pour placer au cœur d'un récit à rebondissements la question de l'identité sexuelle

TITRE ORIGINAL

2011 – ESPAGNE

Réalisé par Pedro Almodovar

Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet, Roberto Alamo, Eduard Fernadez, Jose Luis Gomez 

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Même s’il adaptate librement le roman « Mygale » de Thierry Jonquet, publié en 1995, le scénario de La Piel que Habito (un titre qu’on pourrait traduire littéralement par « la peau que j’habite ») a surtout les allures d’une nouvelle variante de celui des Yeux sans Visage, Pedro Almodovar semblant recycler les thèmes du classique de Georges Franju comme le fit à plusieurs reprises son compatriote Jess Franco quelques décennies plus tôt. Le poster du film, qui montre un masque blanc révélant le regard de la comédienne Elena Anaya, semble renforcer la référence. Mais en réalité, seul l’argument initial tisse un lien tangible entre les deux films. Depuis que sa femme a été victime de brûlures dans un accident de voiture, le docteur Robert Ledgard, éminent chirurgien esthétique, se consacre à la création d’une nouvelle peau, grâce à laquelle il aurait pu sauver son épouse. Douze ans après le drame, il réussit enfin à cultiver cette peau dans son laboratoire privé. Mais pour pouvoir la tester, il lui faut une femme cobaye. Avec la complicité de Marilia, la femme qui s’est occupé de lui depuis le jour de sa naissance, il finit par trouver le sujet idéal…

Bien vite, les multiples rebondissements de cette intrigue à tiroir s’avèrent animés d’une vie propre, reflétant de manière très intime les obsessions récurrentes de son auteur. Au-delà de son goût indiscutable pour le mélodrame et pour les relations sentimentales déviantes, Almodovar place le questionnement de l’identité sexuelle au cœur de son récit. Le sujet fut parfois trivial face à sa caméra volage. Ici, il devient profondément dramatique, voire philosophique ou même métaphysique. En convoquant la science et ses incroyables avancées technologiques, en muant son acteur fétiche Antonio Banderas en émule ténébreux et tourmenté du docteur Frankenstein, le réalisateur de Talons Aiguille nous interroge sur la nature humaine. Que reste-t-il de nous lorsque la médecine peut nous transformer au point de nous transfigurer intégralement ? Si l’intégrité physique initiale n’est plus respectée, qu’en est-il de l’esprit ? Doit-il suivre la mutation ? Derrière l’argument de science-fiction, c’est toujours la préoccupation humaine qui titille le cinéaste. C’est elle qui transforme la séquence finale – au fort potentiel vaudevillesque – en moment d’émotion contenue mais intense.

Une fin ouverte et troublante…

Compositeur attitré d’Almodovar depuis La Fleur de mon secret, Alberto Iglesias renforce l’impact du film en se référant souvent aux travaux de Bernard Herrmann. « Il est vrai que je suis souvent influencé par Herrmann mais aussi par les compositeurs que lui-même appréciait, notamment Prokofiev, Bartok et Puccini », avoue Iglésias. « Les indications que me donne Pedro Almodovar sont rarement d’ordre musical. Nous parlons surtout des séquences en termes d’émotions. Il sait exactement ce que les personnages doivent faire ressentir à chaque moment. » (1) Lorsque l’incroyable vérité du film éclate, lorsque les langues se délient, de nouvelles portes narratives s’ouvrent et d’autres histoires se profilent. Mais Almodovar laisse ses spectateurs en plan, leur offrant le loisir de poursuivre eux-mêmes en imagination les péripéties de ses protagonistes. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2004

 

© Gilles Penso

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RENAISSANCES (2015)

Imaginez un monde dans lequel la médecine permet aux hommes vieux ou malades de quitter leur corps pour une enveloppe charnelle en meilleure santé…

SELF/LESS

2015 – USA

Réalisé par Tarsem Singh

Avec Ryan Reynolds, Natalie Martinez, Matthew Goode, Ben Kingsley, Victor Garber, Derek Luke

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Tout semble avoir réussi au richissime homme d’affaire Damian Hale (Ben Kingsley), mais une maladie incurable le ronge et rien ne pourra empêcher la Grande Faucheuse de croiser sa route. Rien, sauf peut-être la société Phénix, dirigée par le professeur Albright (Matthew Goode), qui propose aux grandes fortunes une alternative à la mort : un transfert de l’esprit dans un corps de synthèse. Passées les premières réticences, Damian cède à la tentation et se retrouve bientôt dans une nouvelle enveloppe corporelle (Ryan Reynolds). Mais la jeunesse éternelle a un prix… Il ne faut pas chercher bien loin pour déceler dans le scénario d’Alex et David Pastor une allusion au mythe de Faust, Damian signant quasiment un pacte avec le Diable lorsqu’il choisit de tromper la mort. Mais Renaissances prend surtout les allures d’un remake d’Opération Diabolique de John Frankenheimer, auquel il semble vouloir rendre un hommage manifeste. Au fil de cette intrigue à tiroirs, c’est la nature humaine qui est questionnée. Notre corps n’est-il qu’une coquille vide, qu’un « véhicule » biologique accueillant notre âme et notre intelligence ?

La science-fiction n’étant jamais aussi fascinante que lorsqu’elle interroge l’humain sur lui-même et sur sa place dans l’univers, le film de Tarsem Singh atteint pleinement ses objectifs tout en offrant au public un spectacle truffé de poursuites échevelées, de fusillades à répétition et de cascades à couper le souffle. En ce sens, Renaissances retrouve presque l’équilibre miraculeux de Volte/Face de John Woo qui, lui aussi, prenait la forme d’un thriller de SF mouvementé pour mieux décliner la thématique de la quête d’identité. Particulièrement inspiré, Tarsem fait entrer sa mise en scène en résonance avec le sujet de manière presque organique. La syncope de son montage lors des premiers pas du « nouveau » Damian, la bande originale d’Antonio Pinto qui parasite harmonieusement les envolées symphoniques avec des rythmiques électroniques, le recours régulier aux flash-forwards qui altèrent la chronologie de certaines séquences, toutes ces facéties visuelles et sonores dépassent allègrement le statut d’effets de style pour raconter via un langage purement cinématographique les tourments psychiques du héros de Renaissances

La mémoire du corps

Car plus le film avance, plus Damian comprend que sa « reprogrammation » n’est pas naturelle, et que des souvenirs étranges affleurent à sa mémoire. Le film n’aurait pas eu le même impact si les comédiens ne s’y étaient pas investis pleinement. A ce titre, il convient de saluer la performance de Ryan Reynolds, dont le jeu minimaliste et la retenue extrême se prêtent parfaitement au sujet. Quant à Ben Kingsley, impérial comme toujours, il n’occupe pas longtemps l’écran, mais sa présence est si forte qu’elle imprègne la totalité du métrage. A leurs côtés, les seconds rôles excellent, de l’ultra-charismatique Matthew Goode au touchant Victor Garber en passant par la fragile Natalie Martinez et l’inquiétant Derek Luke. Bref, Renaissances est une excellente surprise dont on regrettera simplement un titre français un peu passe-partout traduisant mal son originalité et son audace.

 

© Gilles Penso

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ELMER LE REMUE-MÉNINGES (1987)

Le réalisateur de Frère de Sang mixe une fois de plus le gore et le burlesque sans la moindre modération

BRAIN DAMAGE

1987 – USA

Réalisé par Frank Henenlotter

Avec Gordon Mac Donald, Jennifer Lowry, Rick Hearst, Theo Barnes, Lucille Saint-Peter, Vicki Darnell, Joseph Gonzalez, Bradlee Rhodes

THEMA MUTATIONS

Fort du succès underground de son très étonnant Frère de Sang, Frank Hennelotter en reprend plusieurs éléments scénaristiques pour composer ce non moins surprenant Brain Damage, notamment l’idée d’un jeune protagoniste masculin et de ses rapports amour/haine avec un parasite monstrueux qui lui colle à la peau. Cette fois-ci, le cinéaste peut délaisser le format 16 mm au profit du 35 mmm, ce qui lui permet d’obtenir un rendu visuel moins granuleux que sur Frère de Sang. Elmer est une bestiole échappant à toutes les normes zoologiques établies. Gros comme un chaton, il a vaguement la forme d’un étron pustuleux orné de deux petits yeux malicieux et d’une bouche carnivore capable de s’ouvrir démesurément pour révéler une impressionnante rangée de crocs, de crochets et d’aiguilles. 

Ce charmant animal de compagnie, qui aurait traversé les âges en passant entre les mains de plusieurs personnages historiques, a finalement échu chez un couple de vieux excentriques dans un appartement new-yorkais. Très attachés à lui, ces derniers écument les meilleures boucheries du quartier pour lui fournir sa pitance préférée : des cervelles bien dodues. Un jour, en quête de repas plus frais, Elmer s’échappe et s’installe chez leur voisin, le jeune Brian. Tous deux concluent un pacte tacite : Brian aide Elmer à trouver des victimes dont le cerveau est encore palpitant, et Elmer permet à Brian de vivre des trips bien plus enivrants que ceux que procurent les drogues traditionnelles. Car en plantant l’une de ses aiguilles bucales dans la nuque de Brian, Elmer distille directement dans son cerveau un étrange liquide bleuté et lui permet de vivre des moments hallucinatoires d’une incroyable intensité. Peu à peu, Brian a de sérieux remords et décide de cesser cette étrange association. A partir de là, évidemment, les choses se gâtent… 

Un défouloir accumulant les séquences gore excessives

Même s’il tente une satire acerbe de la drogue et de la jeunesse new-yorkaise paumée, Henenlotter semble surtout avoir conçu son film comme un défouloir, accumulant les séquences gore excessives. Notamment une fellation d’un genre très spécial où Elmer entre dans la bouche d’une jeune fille pour lui dévorer le cerveau (une séquence qui fut coupée pour l’exploitation du film sur grand écran et sa première sortie en vidéo, puis réintégrée par la suite), ou une scène onirique au cours de laquelle des litres de sang s’écoulent de l’oreille de Brian. Tour à tour marionnette mécanique ou figurine animée image par image, Elmer est la grande réussite du film, les acteurs humains qui lui donnent la réplique s’avérant, eux, plutôt catastrophiques. Elmer le Remue-Méninges est donc un OVNI, une curiosité mixant gore et burlesque, conforme au reste de l’œuvre de son atypique réalisateur. On pourrait presque évoquer un « Hennelotter Cinematic Universe », dans la mesure où Elmer et Frère de Sang semble se dérouler dans la même réalité, comme le confirme ce clin d’œil savoureux le temps d’une séquence où Brian croise dans le métro Duane Bradley (héros du film précédent) transportant son fameux panier d’osier !

© Gilles Penso

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EN EAUX TROUBLES (2018)

Jason Statham affronte un mégalodon à côté duquel même le requin des Dents de la Mer ressemble à une sardine !

THE MEG

2018 – USA

Réalisé par John Turteltaub

Avec Jason Statham, Li Bingbing, Rainn Wilson, Ruby Rose, Winston Chao, Shuya Sophia Cai, Cliff Curtis

THEMA MONSTRES MARINS

Jason Statham qui affronte un requin gros comme un building dans un mixage des Dents de la Mer et de Abyss tiré d’un best-seller des années 90. Comment ne pas être séduit par un tel concept ? Tous les clichés d’usage se bousculent joyeusement sans le moindre complexe, autour d’un motif scénaristique usé jusqu’à la corde : le héros dur à cuire qui, après un trauma exposé en début de film, coule des jours paisibles dans un coin exotique, loin de toutes responsabilités, mais accepte de reprendre du service lorsqu’il est le dernier espoir d’une mission quasi-impossible. Il s’agit en l’occurrence d’aller sauver son ex-femme et ses deux co-équipiers, coincés à l’intérieur de leur submersible dans des profondeurs insondables et menacés par une créature inconnue que notre héros, lui, a déjà affronté. À l’époque, personne ne croyait ce qu’il clamait à tue-tête à propos de ce monstre marin titanesque. Mais aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence : il avait raison. 

Il y a donc un peu de “Moby Dick” dans ce blockbuster composite aux allures de direct to vidéo au budget colossal. Par ailleurs, notre héros s’appelle Jonas, une petite allusion biblique pas très subtile mais assez drôle. Le monstre, lui, n’apparaît qu’au bout de 35 minutes, mais l’attente des spectateurs est franchement récompensée. Il s’agit d’un mégalodon (« meg » pour les intimes) de 25 mètres de long, qui traverse l’écran avec autant d’ampleur que le stardestroyer de Dark Vador. On croyait son espèce disparue depuis la préhistoire. Encore une fois, on se trompait. Peu avare en références, The Meg puise donc au passage quelques idées du côté de Jurassic Park. L’esprit de Michael Crichton n’est d’ailleurs pas loin au fil de ce récit mouvementé, la finesse et la rigueur scientifique en moins. Le T-rex était attiré par le bruit ? Qu’à cela ne tienne : le mégalodon l’est par la lumière et les vibrations (une idée pas plus absurde qu’une autre dans le monde du silence). D’où quelques moments de suspense intéressants construits autour de ce postulat bien pratique pour des scénaristes en totale roue libre. 

« Il n'est pas question que je me fasse bouffer par un poisson préhistorique ! »

Dans ces abysses inexplorées, d’autres créatures étranges évoluent sous les yeux ébahis des protagonistes et des spectateurs, comme un calamar géant digne de 20 000 lieues sous les mers. Désireux de multiplier les images iconiques mémorables – toujours bienvenues pour alimenter efficacement les bandes annonces – le film de John Turteltaub nous offre la vision très impressionnante d’une fillette dans une station océanographique qui, devant une grande baie vitrée, fait face à la gueule démesurée du monstre, ou cette scène d’attaque sur une plage chinoise bondée qui donne au film les allures d’un Dents de la Mer gonflé aux hormones. Les séquences d’action survitaminées, la romance improbable, la violence soft, le sens du sacrifice sont au menu de The Meg, qui s’agrémente en outre de dialogues plein de lyrisme. Nos favoris ? « L’homme contre le meg, c’est pas une bataille, c’est un carnage », « il y a un monstre, et il nous regarde », « il n’est pas question que je me fasse bouffer par un poisson préhistorique », « prends ça dans les dents, saloperie de charogne », ou encore le très poétique « t’es peut être un fils de pute mais t’es pas un trouillard. » Nous ne sommes pas loin de la verve des Serpents dans l’avion, ce qui permet de situer assez justement les ambitions du film.
 
© Gilles Penso

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LE SPECTRE DE FRANKENSTEIN (1942)

Boris Karloff cède son maquillage à Lon Chaney Jr pour une troisième suite délirante des aventures de Frankenstein

THE GHOST OF FRANKENSTEIN

1942 – USA

Réalisé par Erle C. Kenton

Avec Lon Chaney Jr, Bela Lugosi, Lionel Atwill, Sir Cedric Hardwicke, Evelyn Ankers, Dwight Frye, Ralph Bellamy

THEMA FRANKENSTEIN  I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

A la fin du Fils de Frankenstein, le monstre incarné par Boris Karloff était précipité dans un puits de souffre en fusion et le sinistre bossu Ygor (Bela Lugosi) passait de mort à trépas. Comment produire une séquelle dans de telles circonstances ? Pas d’inquiétude : tout ce beau monde se retrouve sain et sauf – au mépris de la logique la plus élémentaire – dans ce Spectre de Frankenstein rocambolesque. Souhaitant en découdre une bonne fois pour toutes avec la malédiction du savant et de son monstre, les habitants du village de Frankenstein dynamitent son château, avec l’aval d’un maire qui ne pense qu’à sa réélection, et malgré les gravats jetés du haut des tours par un Ygor en pleine forme se prenant par Quasimodo. Le château (une très belle maquette) explose donc, mais des débris émerge bientôt une main qui projette son ombre gigantesque sur le mur face à Ygor : celle du monstre. Ce qui nous laisse imaginer que ce bon vieux docteur Frankenstein n’a pas seulement trouvé le moyen de ranimer les morts mais a également percé le secret de la vie éternelle. Comment expliquer autrement les résurrections successives d’une créature décidément indestructible ? Préservé par le souffre, le monstre s’échappe avec Ygor avant la destruction totale du château. Dans les bois, il est frappé par la foudre, qui semble soudain raviver ses forces. « Frankenstein était ton père, mais la foudre était ta mère ! » s’exclame alors Ygor. Ce dernier n’a désormais qu’une idée en tête : faire transplanter son cerveau dans le corps du monstre. Dans ce but, il contacte le docteur Theodore Bohmer (Lionel Atwill, qui fut l’inspecteur de police manchot du film précédent), adjoint et rival du fils cadet du célèbre savant, lequel est interprété par Sir Cedric Hardwicke et répond au doux nom de Ludwig Von Frankenstein. 

Spectre de Frankenstein - photo

Au moment de lancer ce quatrième opus de la saga Frankenstein, Universal se heurte à un problème épineux:  Boris Karloff refuse de jouer à nouveau le rôle de la créature dans ce quatrième opus, déçu par la tournure que prend le personnage. Le studio décide alors de le remplacer par Lon Chaney Jr, promu star de l’épouvante depuis ses rôles monstrueux dans Le Loup-Garou et La Tombe de la Momie. Le visage de Chaney, rondouillard et un brin empâté, laisse moins transparaître que Karloff la détresse et la candeur du monstre, même si Jack Pierce lui applique un maquillage identique à celui des trois films précédents. C’est la preuve irréfutable que le succès du design d’une telle créature repose autant sur le talent du maquilleur que sur l’incarnation du comédien. En ce sens, le travail conjoint – et quasiment fusionnel – de Pierce et Karloff reste à ce jour imbattable.

Un nouveau visage pour le monstre

Au détour du casting, on note la présence de Dwight Frye, ex-assistant bossu de Frankenstein dans le tout premier film de la série, devenu ici chef de village. Alors que le second fils de Frankenstein souhaite détruire le monstre en le démembrant, le fantôme de son père lui apparaît dans une scène surprenante (ce qui justifie le titre du film) et lui demande de poursuivre ses travaux. Ludwig envisage alors de doter la créature du cerveau du docteur Kellerman, l’une des victimes du monstre, mais c’est finalement la cervelle d’Ygor qui atterrira dans le crâne de la créature. La transplantation est une réussite exemplaire, mais les effets secondaires ne tardent pas à se manifester et à précipiter la chute du monstre et l’incontournable brasier purificateur… Jusqu’au prochain épisode, bien sûr.
 
© Gilles Penso

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SLEEPY HOLLOW, LA LÉGENDE DU CAVALIER SANS TÊTE (1999)

Le premier « vrai film d'horreur » de Tim Burton est un hommage direct aux productions gothiques de la Hammer

SLEEPY HOLLOW

1999 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Johnny Depp, Christina Ricci, Miranda Richardson, Michael Gambon, Casper Van Dien, Lisa Marie, Christopher Lee

THEMA FANTÔMES I SAGA TIM BURTON

Créateur des effets spéciaux de maquillage de La Revanche de FreddyJeu d’Enfant et Les Contes de la Crypte, Kevin Yagher développe à la fin des années 90 le projet d’un film qui s’inspirerait de la nouvelle « La Légende du Val Dormant » écrite en 1820 par Washington Irving. Il co-écrit donc un scénario avec l’aide du futur auteur de Seven Andrew Kevin Walker et fait le tour des studios hollywoodiens, en vain. Personne ne semble s’intéresser à ce cavalier fantôme sans tête jusqu’à ce que Tim Burton ait vent du projet. Après avoir assisté impuissant au massacre de la franchise Batman par Joel Schumacher et avoir tenté en vain de porter à l’écran une aventure inédite de Superman avec Nicolas Cage, Burton cherche à retrouver ses amours premières. Il voit dans Sleepy Hollow la possibilité de réaliser son premier vrai film d’horreur tout en rendant hommage aux classiques de l’épouvante produits par la compagnie britannique Hammer dans les années 60, ainsi qu’à d’autres œuvres phares de la même époque comme Le Masque du Démon de Mario Bava. Kevin Yagher reste rattaché au projet en tant que créateur des maquillages spéciaux et co-producteur. Un autre nom prestigieux vient compléter l’équipe de production : Francis Ford Coppola. 

Sleepy Hollow photo

Le récit démarre dans le New York de 1799. Johnny Depp incarne Ichabod Crane, un inspecteur de police en bute à l’autorité car les méthodes d’enquête utilisées par ses pairs lui semblent archaïques et dépassées. Gêné par cet individu embarrassant, un juge austère  (Christopher Lee) décide d’envoyer Crane enquêter dans le petit village de Sleepy Hollow, frappé par trois meurtres successifs. Toutes les victimes ont été décapitées et leurs têtes ayant disparu. La légende locale affirme que le coupable est le « Cavalier sans tête ». Missionné pour maintenir le peuple américain sous le joug de l’empire britannique, ce mercenaire sanguinaire aux dents taillées en pointe fut décapité et enterré par des soldats au cours de l’hiver 1779. Mais désormais, on murmure que son fantôme erre dans les bois. Bien sûr, notre policier n’apporte aucune foi à ces racontars. Mais la suite des événements va mettre à mal son cartésianisme et son approche scientifique. A travers son antagoniste spectral incarné par Christopher Walken, Tim Burton construit des séquences parfois assez éprouvantes, comme lorsque le monstre vient décapiter un couple et leur jeune enfant à coup de hache ! Le film s’avère d’ailleurs particulièrement sanglant, multipliant les gros plans de têtes coupées, les bras tranchés, les corps empalés et les morts violentes. En d’autres moments, les visions d’horreur sont burlesques, comme cette sorcière qui hurle et dont les yeux sortent des orbites (équivalent numérique des trucages en stop-motion de Pee-Wee et Beetlejuice). Même s’il n’est pas spécialement à l’aise avec les séquences d’action, Burton parvient à concocter quelques poursuites très mouvementées au cours desquelles chevaux et carrioles filent à vive allure dans les bois nocturnes et embrumés.

À mi-chemin entre la terreur et le burlesque…

Du côté du casting, quelques nouveaux visages viennent intégrer l’univers du cinéaste, notamment Christina Ricci (que Burton décrit comme un croisement entre Peter Lorre et Bette Davis !) et Casper Van Dien (tout juste échappé de Starship Troopers et de Tarzan et la Cité Perdue). Mais le cinéaste aime aussi retrouver ses fidèles comédiens, offrant une apparition en forme de clin d’œil à Martin Landau et à Lisa Marie et proposant une fois de plus le rôle principal à Johnny Depp. « Pour moi, le seul vrai ingrédient indispensable aux films de Tim Burton est Tim Burton lui-même », avoue le comédien. « Peu importent le casting ou l’équipe. La signature de Tim est toujours là. » (1) Loin de la naïveté et de la candeur des personnages qu’il incarnait dans Edward aux Mains d’Argent et Ed Wood, Depp se prête ici aux facéties d’un personnage dont le fort potentiel comique ne semble pas totalement assumé. Pas assez drôle pour susciter le rire, trop exubérant pour être pris au sérieux, son Ichabod Crane devient agaçant sans vraiment susciter l’identification des spectateurs. Le scénario s’encombre en outre d’une quantité astronomique de dialogues explicatifs qui n’en finissent plus de justifier les faits et gestes des personnages et de commenter tous les rebondissements de l’intrigue. C’est donc sur l’aspect purement visuel que le film se rattrape, Sleepy Hollow se distinguant par la qualité de sa mise en forme, sa somptueuse atmosphère gothique, sa très belle photographie aux tons désaturés et ses décors tourmentés. « Construire un décor de cinéma a quelque chose de magique, notamment lorsqu’on joue avec de fausses perspectives, comme dans Sleepy Hollow », témoigne Tim Burton. « Certains arbres d’arrière-plans étaient conçus à des échelles de plus en plus réduites, pour accentuer l’effet de profondeur. D’autres avaient des formes de personnages effrayants. » (2) Une grande partie de ce rendu visuel est à mettre au crédit du directeur artistique Rick Heinrichs, dont le défi consiste ici à détourner les codes du style expressionniste pour les adapter à un environnement colonial. On se souviendra notamment de ce superbe arbre des morts qui saigne quand on l’entaille et sous l’écorce duquel sont cachées toutes les têtes coupées ou de ce grand moulin décrépi qui se réfère au Frankenstein de James Whale. 
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008
(2) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2012
 
© Gilles Penso

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L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES (1956)

En pleine guerre froide, le réalisateur de L'Inspecteur Harry signait l'un des films les plus paranoïaques de tous les temps

INVASION OF THE BODY SNATCHERS

1956 – USA

Réalisé par Don Siegel

Avec Kevin McCarthy, King Donovan, Dana Wynter, Larry Gates, Carolyn Jones, Ralph Dumke, Jean Willes, Virginia Christie

THEMA EXTRA-TERRESTRES I VEGETAUX I SAGA BODY SNATCHERS

Deux médecins sont déconcertés par d’étranges évènements se produisant dans leur ville de Santa Mira, en Californie. Certains de leurs patients ne reconnaissent plus leurs proches parents. Après la découverte du corps de leur ami Jack dont le visage est inachevé, les deux médecins doivent se rendre à l’évidence : la ville est envahie par des extra-terrestres qui imitent l’apparence humaine. Il est difficile de ne pas lire en filigrane de ce récit – et du roman de Jack Finney dont il s’inspire – une parabole de l’invasion communiste telle que la craignait l’Amérique des années 50. Cette paranoïa très populaire à l’époque, selon laquelle les « rouges » tenteraient de polluer insidieusement les esprits jusqu’à modifier le comportement des gens, pouvait-elle trouver meilleure métaphore que ces aliens végétaux se déguisant sous les traits de nos semblables pour mieux nous envahir de l’intérieur ? Finney a toujours rejeté les accusations d’anticommunisme dont son livre fut l’objet. Lucide, le réalisateur Don Siegel s’attendait lui aussi à une lecture de son film sous un prisme politique. Il s’efforça donc autant que possible d’évacuer tout caractère idéologique pour se concentrer sur l’argument de science-fiction lui-même et sur la tension extrême qu’il génère. De ce point de vue, L’Invasion des Profanateurs de Sépultures est une réussite exemplaire. 

L'invasion des Profanateurs photo

Tourné en moins de vingt jours, selon un planning serré et avec un rythme soutenu, le film communique au public ce sentiment d’urgence permanent et suscite une empathie désespérée avec Miles Bennell, campé par un Kevin McCarthy habité par son rôle. Les traits de plus en plus défaits, le regard fou, le visage déformé par des gros plans fortement contrastés, il lutte contre le sommeil qui le transformerait lui aussi en créature sans âme, en coquille vidé errant sans but sur une planète devenue terre d’asile de zombies n’ayant plus d’humains que l’apparence. « Sleep no more ! » (« Ne dormez plus ! ») : cette phrase en forme d’avertissement qui faillit être le titre du film, peut se lire au second degré comme une invitation à rester en éveil pour ne pas se plier à un conformisme privant l’individu de son libre-arbitre et se marginalité. La phrase sera reprise telle quelle dans Les Griffes de la Nuit par un Wes Craven tout à fait conscient de son double sens. 

« Ne dormez plus ! »

L’une des scènes les plus mémorables de L’Invasion des Profanateurs de Sépultures est justement celle où Miles s’apprête à embrasser sa bien-aimée pour réaliser avec horreur que sa réaction est dénuée de la moindre émotion. Plus de passion, plus de colère, plus d’étincelle… Le film aurait dû s’achever sur un ultime sursaut pessimiste, McCarthy, hagard sur l’autoroute, se tournant vers la caméra en hurlant : « vous êtes le prochain ! ». Mais les producteurs, rétifs à cette noirceur sans appel, imposèrent à Don Siegel un flash-back apaisant très discutable – et très peu cohérent. Philosophe, Siegel en fera une boutade, affirmant que les cosses extraterrestres ne symbolisent définitivement pas la menace communiste mais l’uniformisation imposée par les cadres des studios hollywoodiens.
 
© Gilles Penso

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