MAÎTRES DU TEMPS (LES) (1982)

Le réalisateur de La Planète sauvage nous invite à une autre odyssée spatiale à laquelle l’immense artiste Jean Giraud/Moebius donne corps…

LES MAÎTRES DU TEMPS

 

1982 – FRANCE

 

Réalisé par René Laloux

 

Avec les voix de Jean Valmont, Michel Elias, Frédéric Legros, Yves-Marie Maurin, Monique Thierry, Sady Rebbot, Patrick Baujin, Pierre Tourneur, Alain Cuny

 

THEMA SPACE OPERA I VOYAGES DANS LE TEMPS

Neuf ans après La Planète sauvage, René Laloux retrouve l’écrivain Stefan Wul pour adapter L’Orphelin de Perdide, roman de science-fiction paru en 1958. Entre les mains du cinéaste, cette odyssée littéraire devient Les Maîtres du temps, une épopée à la fois poétique et mélancolique. Pour y parvenir, Laloux s’entoure de deux géants : Jean Giraud/Moebius pour le graphisme et Jean-Patrick Manchette pour les dialogues. L’histoire débute sur la planète Perdide où Claude, victime d’un crash, tente désespérément de sauver son fils, Piel. Avant de mourir, il confie à l’enfant un communicateur, « Mike », grâce auquel il pourra parler à Jaffar, un capitaine de vaisseau spatial lointain. À bord, Jaffar voyage avec Matton, un prince rebelle en fuite, et Belle, sa sœur. Ensemble, ils entreprennent un long périple pour secourir l’enfant perdu, accompagnés par Silbad, un vieil aventurier, et deux créatures télépathes, Jad et Yula, dont les interventions comiques apportent à l’ensemble une certaine dose de légèreté. Ce qui pourrait n’être qu’un récit d’aventures spatiales se mue peu à peu en méditation sur la destinée. Les communications entre Piel et les voyageurs, toujours séparés par l’espace, instaurent une lente tension, dans la mesure où l’enfant ne sait rien du drame qui l’entoure, tandis que ses protecteurs, impuissants, se battent contre le temps lui-même.

Graphiquement, Les Maîtres du temps s’éloigne du surréalisme foisonnant de La Planète sauvage pour s’ancrer dans un univers plus clair et plus lisible. Le trait de Moebius, précis et lumineux, insuffle au film la beauté planante qu’on retrouve sur les pages du magazine Métal Hurlant. Chaque planète traversée devient un tableau mouvant : forêts de bulbes luminescents, architectures suspendues, créatures hybrides, anges sans visage… Laloux filme ces visions comme des épures, conférant au film un pouvoir d’évocation rare. Certes, le budget modeste et la production délocalisée en Hongrie – dans les studios Pannonia – imposent une animation parfois minimaliste. Mais cette économie de moyens nourrit paradoxalement la poésie du film. Sous ses dehors de space opera, le film raconte surtout une histoire intime à distance, celle de plusieurs êtres qui, sans jamais se rencontrer, se dévouent à la survie d’un enfant. Le voyage spatial se vit ici comme une traversée intérieure, ponctuée d’épisodes poétiques et de rencontres absurdes.

Par-delà l’espace et le temps

Certains ont pu reprocher au film un rythme inégal, une narration un peu décousue – comme si chaque épisode était un sketch autonome – et une animation aujourd’hui datée. Pourtant, ces imperfections participent de son charme. Les Maîtres du temps respire la sincérité et la main de l’artiste. Son ambition dépasse de loin les limites techniques de son époque. S’il fut conçu pour la télévision dans le cadre d’une série qui ne vit jamais le jour, ce long métrage isolé n’en demeure pas moins une œuvre complète et autonome. C’est un film d’auteur déguisé en fable enfantine, une méditation sur la filiation, le temps et la mémoire. Le récit s’achève d’ailleurs sur un renversement temporel d’une audace rare, rappelant que le véritable maître du temps n’est peut-être pas celui qu’on croit. Avec seulement trois longs métrages à son actif (La Planète sauvage, Les Maîtres du temps et Gandahar), René Laloux a tracé une constellation rare dans le ciel du cinéma d’animation, témoignant d’une époque où la science-fiction française osait encore conjuguer philosophie, émotion et expérimentation visuelle. L’esthétique rétro-futuriste des Maîtres du temps, son humour discret et sa tendresse mélancolique en font une œuvre singulière qui mérite largement d’être redécouverte.

 

© Gilles Penso

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AZUR ET ASMAR (2006)

Après les plaines africaines et les palais princiers, Michel Ocelot nous offre un conte oriental se réappropriant l'univers des Mille et Une Nuits…

AZUR ET ASMAR

 

2006 – FRANCE

 

Réalisé par Michel Ocelot

 

Avec les voix de Cyril Mourali, Karim M’Riba, Hiam Abbass, Patrick Timsit, Rayan Mahjoub, Abdelsselem Ben Amar, Fatma Ben Khell, Thissa d’Avila Bensalah

 

THEMA MILLE ET UNE NUITS

Avec Azur et Asmar, Michel Ocelot se lance dans l’un de ses projets les plus ambitieux : un long métrage d’animation en images de synthèse, coproduit entre la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne. Après les succès de Kirikou et la sorcière et Princes et Princesses, Ocelot change de registre technique sans renoncer à ses goûts artistiques. Habitué jusque-là aux silhouettes et aux dessins traditionnels, il s’associe à l’occasion avec le studio Mac Guff, futur artisan de Moi, moche et méchant. Présenté au Festival de Cannes avant sa sortie en salles le 25 octobre 2006, Azur et Asmar séduit plus d’un million et demi de spectateurs et s’impose comme une référence du cinéma d’animation européen. Né en 1943 et formé aux Beaux-Arts, Michel Ocelot s’est toujours distingué par une vision artisanale et poétique de l’animation. Avec Azur et Asmar, il imagine une fable universelle ancrée dans la Méditerranée, berceau de multiples civilisations. Loin des clichés orientalistes de certaines productions occidentales, il rend hommage à une culture arabe qu’il décrit avec précision et respect. Ce souci du détail confère à son film une authenticité rare, saluée par la critique et récompensée, entre autres, par le prix du meilleur long métrage d’animation au Festival international du film d’animation de Stuttgart en 2007.

L’histoire débute dans la France médiévale. Azur, blond aux yeux bleus, est le fils d’un riche seigneur. Asmar, brun au regard sombre, est le fils de Jenane, la nourrice d’Azur. Élevés comme deux frères, les enfants partagent les mêmes jeux et les mêmes rêves, notamment celui de retrouver un jour la « Fée des Djinns », héroïne des contes que leur raconte Jenane. Mais leur amitié est brisée lorsque le père d’Azur renvoie la nourrice et son fils, jugeant cette proximité inconvenante. Les années passent. Devenu adulte, Azur décide de traverser la mer pour retrouver Jenane et chercher la fameuse fée. Il découvre alors un pays éclatant de lumière et de couleurs, mais aussi plein de dangers. Là, il retrouve Asmar, désormais adulte lui aussi, qui poursuit la même quête, non sans rancune envers celui qu’il considère comme un usurpateur. Véritable conte initiatique, Azur et Asmar parle de fraternité, de déracinement, de tolérance et de réconciliation entre les cultures. À travers l’opposition visuelle entre le Nord et le Sud, entre le froid du château et la chaleur des bazars orientaux, Ocelot esquisse un parcours symbolique où l’ouverture d’esprit devient la clé de la sagesse. Jenane, figure maternelle et messagère de paix, incarne la voix du réalisateur lorsqu’elle déclare : « Vous connaissez deux pays, deux langues, deux religions : vous en savez deux fois plus que les autres. » Le message est limpide : la diversité est une richesse, non une menace.

Deux pays, deux langues, deux religions

Sur le plan visuel, Azur et Asmar marque une étape charnière dans la carrière d’Ocelot. C’est son premier film entièrement conçu en images de synthèse, une technique qu’il avait commencé à toucher du doigt avec Kirikou et les bêtes sauvages. L’animation conserve un aspect volontairement très stylisé. Les personnages évoluent dans des décors d’une richesse picturale rare, inspirés des miniatures persanes et de l’art islamique. On peut certes reprocher aux visages de ses protagonistes une certaine rigidité et à l’animation globale un rendu un peu « plat », pour ne pas dire austère. Mais il faut bien avouer que la beauté des environnements (jardins luxuriants, souks chatoyants, palais ciselés) compense largement cette réserve. Le film séduit aussi par sa bande originale, signée par le compositeur franco-libanais Gabriel Yared. Sa musique, mêlant instruments traditionnels arabes et orchestrations occidentales, accompagne avec grâce la quête spirituelle des deux héros. Cerise sur le gâteau : les voix de Hiam Abbass, Patrick Timsit et Cyril Mourali dotent le film d’une touche bienvenue de chaleur et d’humour. Loin des standards hollywoodiens, Ocelot signe avec Azur et Asmar une œuvre volontairement contemplative, plus attachée à sa poésie qu’au rythme frénétique qui régit la grande majorité de films d’animation de l’époque.

 

© Gilles Penso

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PLANÈTE SAUVAGE (LA) (1973)

Le premier long-métrage de René Laloux nous transporte dans un monde fantastique où les humains sont des minuscules créatures…

LA PLANÈTE SAUVAGE

 

1973 – FRANCE

 

Réalisé par René Laloux

 

Avec les voix de Jennifer Drake, Éric Baugin, William Coryn, Jean Topart, Jean Valmont, Jeanine Forney, Sylvie Lenoir, Yves Barsacq, Gérard Hernandez

 

THEMA SPACE OPERA

Figure majeure de l’animation française, René Laloux s’est forgé dès les années 1960 une réputation d’artiste audacieux, capable de mêler la fantaisie visuelle à la réflexion sociale. Après des courts-métrages satiriques (Les Temps Morts, Les Escargots), il s’engage dans un projet à plus grande échelle : l’adaptation du roman de Stefan Wul, Oms en série. Ce sera son premier long-métrage, réalisé principalement en Tchécoslovaquie mais finalisé en France à la suite du bouleversement politique de 1968. La Planète sauvage est ainsi le fruit d’une coproduction européenne ambitieuse et demeure une référence incontournable dans l’histoire de la science-fiction animée. L’histoire se déroule sur Ygam, planète peuplée des Draags, des géants à la peau bleue et à la culture avancée, pour qui les Oms – des hommes minuscules – ne sont que des animaux domestiques. Dès le départ, le spectateur est confronté à un univers où l’altérité est poussée à son paroxysme : les Draags manipulent et surveillent les Oms avec une indifférence froide, tandis que ces derniers, vulnérables et ingénieux, développent progressivement une conscience et une volonté de liberté. La narration suit notamment Ter, un jeune Om adopté par une Draags qui, à mesure qu’il grandit, s’éduque grâce à un casque de transmission intellectuelle et devient capable de comprendre le monde qui l’entoure. Sa fuite et sa rencontre avec les Oms sauvages initient un processus de révolte contre les Draags…

Dès ses premières images, La Planète sauvage nous éblouit par son univers graphique unique, fruit d’une collaboration étroite entre Laloux et l’artiste Roland Topor. Ces paysages étranges où s’élèvent des palais semblables à des boutons de rose, ces forêts aux formes impossibles, ces cristaux scintillants, ces créatures hybrides qui rampent ou volent évoquent autant les œuvres primitives de Jérôme Bosch que les tableaux surréalistes de Yves Tanguy. Chez les Draags, l’apesanteur et la flottabilité deviennent métaphores de leur supériorité intellectuelle et spirituelle sur les minuscules Oms. Laloux ne se contente pas de créer un monde étranger : il le fait respirer et fonctionner selon une logique propre, au sein d’un écosystème complet. La force du film réside aussi dans la construction de sa tension narrative. La brutalité des Draags envers les Oms, la sophistication de leurs instruments de contrôle et la résistance croissante des petits humains instaurent un conflit qui dépasse le simple affrontement physique. Les Oms, en acquérant le savoir et la stratégie, finissent par rêver d’émancipation. Rien n’empêche bien sûr d’y voir une allégorie sociale et politique renvoyant à l’humanité le reflet de ses propres travers.

Vertiges

L’accent de La Planète sauvage étant clairement mis sur l’univers et la symbolique, au détriment de la psychologie individuelle, le spectateur n’y ressent sans doute pas l’empathie qu’il aurait voulue avec les protagonistes, regrettant peut-être la mise en retrait de certaines relations interpersonnelles, notamment les liens affectifs de Ter avec d’autres Oms. Mais c’est un choix pleinement assumé, Laloux et Topor préférant donner au film les dimensions d’une fable philosophique plutôt que celles d’un drame classique. Pour pleinement apprécier La Planète sauvage, un certain abandon est nécessaire, ainsi que l’oubli des conventions narratives du cinéma traditionnel. La Planète sauvage reste un jalon majeur de l’animation française et mondiale. Aujourd’hui encore, le film conserve sa puissance d’émerveillement et continue d’influencer les artistes, dans le domaine de l’animation ou non, qui cherchent à repousser les limites de la représentation du fantastique et de la science-fiction. Ici, le spectateur n’est jamais simple observateur : il devient un Om lui-même, conscient de sa petitesse face à l’inconnu et fasciné par l’infinité des possibles. D’où ce final vertigineux qui questionne la perception humaine, la relativité du temps et la notion de civilisation.

 

© Gilles Penso

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MULAN (1998)

Vers la fin des années 90, le studio Disney retrouve un nouveau souffle en se réappropriant avec flamboyance une vieille légende chinoise…

MULAN

 

1998 – USA

 

Réalisé par Tont Bancroft et Barry Cook

 

Avec les voix de Ming-Na Wen, Lea Salonga, Eddie Murphy, Mike Myers, B.D. Wong, Donny Osmond, Miguel Ferrer, James Hong, Jerry Tondo, Gedde Watanabe

 

THEMA SORCELERIE ET MAGIE I CONTES I DRAGONS

En 1998, Disney tourne une page de son histoire en se plongeant dans un univers encore inexploré : la Chine impériale. Après les résultats en demi-teinte du Bossu de Notre-Dame, le studio cherche à reconquérir le cœur du public par l’exotisme et la nouveauté. Mulan s’impose alors comme un pari audacieux, celui d’un conte à la fois guerrier et féministe, porté par une héroïne asiatique dont la quête dépasse le simple cadre du mythe. Car au début des années 1990, la concurrence devient sérieuse. DreamWorks s’apprête à frapper fort avec Le Prince d’Égypte, tandis que le cinéma d’animation japonais, mené par Hayao Miyazaki, impose une nouvelle exigence artistique avec Princesse Mononoké. Sans parler de l’émulation provoquée en interne par le studio Pixar, dont Toy Story et 1001 Pattes ont défrayé la chronique. Pour rester dans la course, Disney doit se réinventer, explorer d’autres territoires, d’autres cultures. C’est à ce moment qu’apparaît le nom de Hua Mulan, héroïne d’un ancien poème chinois. Le projet initial, intitulé China Doll, mettait en scène une jeune Chinoise sauvée par un prince occidental. Robert D. San Souci, auteur de contes pour enfants, est alors sollicité pour réorienter le récit. C’est lui qui propose de revenir à la légende originale, celle d’une fille se déguisant en homme pour prendre la place de son père à l’armée. Une histoire d’honneur et de courage qui offre un terrain idéal pour une relecture moderne.

L’équipe de Disney opte pour une esthétique épurée, inspirée des lithographies chinoises, où les lignes se simplifient et où les couleurs pastel remplacent les teintes saturées des précédentes productions. Certaines scènes de bataille s’inspirent du cinéma épique de David Lean, notamment dans l’usage de la profondeur de champ et du gigantisme. Grâce aux progrès de l’imagerie numérique, les animateurs peuvent désormais générer des armées entières de Huns, offrant au film des séquences d’une ampleur inédite, notamment celle de l’avalanche. Si Mulan aborde des thèmes sérieux – la guerre, la loyauté, le poids des traditions -, Disney n’en oublie pas sa mission première : divertir. Le studio cherche un ton plus léger que celui de Pocahontas, sans retomber dans la comédie pure d’Hercule. Ce fragile équilibre s’incarne dans la figure de Mushu, petit dragon bavard et maladroit, doublé avec un enthousiasme contagieux par Eddie Murphy (et par un José Garcia survolté dans la version française). Véritable ressort comique du film, Mushu contrebalance la rigueur de l’univers martial et donne à Mulan un compagnon de route aussi imparfait qu’attachant. Mais c’est bien l’héroïne qui donne sa force au récit. Contrairement à la majorité des princesses Disney, Mulan n’attend pas d’être sauvée : elle agit, doute, échoue parfois, mais se relève toujours. Son déguisement masculin n’est pas une trahison de soi mais une affirmation d’identité. Sa volonté de prouver sa valeur dans un monde où les femmes sont invisibles pousse d’ailleurs le film à se réapproprier l’une des séquences du Yentl de Barbara Streisand.

Une nouvelle voix

Mulan est aussi un film de passage pour Disney. D’un côté, il perpétue la tradition musicale du studio. La chanson « Réflexion », interprétée par Lea Salonga (et relancée par Christina Aguilera dans la version pop), s’inscrit ainsi dans la lignée des grands refrains introspectifs chers au studio. De l’autre, c’est la dernière comédie musicale animée de la maison de Mickey jusqu’à La Princesse et la Grenouille en 2009. Le studio semble manifestement à chercher une nouvelle voix, en confiant notamment à l’immense compositeur Jerry Goldsmith – peu coutumier de ce type de film – les rênes de la bande originale. Au-delà de sa réussite technique, Mulan séduit par sa portée symbolique. En choisissant une héroïne qui s’impose dans un milieu masculin, Disney anticipe l’évolution de son propre univers narratif. Ce changement résonne aussi avec l’ouverture culturelle du studio, qui cherche à représenter la diversité sans tomber dans le cliché. Certes, la vision de la Chine reste occidentalisée, filtrée par le prisme d’un studio américain. Mais l’effort d’adaptation et la recherche d’équilibre entre le respect et l’universalité font mouche. À la fois conte, film de guerre et comédie initiatique, le film parvient à parler à tous les publics : les enfants séduits par les facéties de Mushu, les adolescents inspirés par l’héroïne, les adultes sensibles à la beauté visuelle et au message d’émancipation. Mulan connaîtra une suite conçue pour le marché vidéo en 2004, puis un remake en prises de vues réelles en 2020, mais aucun n’arrivera à la cheville de cette œuvre matricielle qui résiste sacrément bien à l’épreuve du temps.

 

© Gilles Penso

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HERCULE (1997)

Le studio Disney s’efforce de varier les plaisirs en s’attaquant à la mythologie grecque sous un angle allégé, parodique et anachronique…

HERCULES

 

1997 – USA

 

Réalisé par Ron Clements et John Musker

 

Avec les voix de Tate Donovan, Josh Keaton, Danny DeVito, James Woods, Susan Egan, Bob Goldthwait, Matt Frewer, Rip Torn, Samantha Eggar, Barbara Barrie

 

THEMA MYTHOLOGIE

En 1997, après les envolées lyriques de Pocahontas et la noirceur gothique du Bossu de Notre-Dame, Disney change radicalement de registre. Fini les dilemmes existentiels et les fresques solennelles : place à une aventure colorée, décomplexée et pétaradante. Avec Hercule, le studio tente de retrouver le grain de folie d’Aladdin et de séduire un public avide d’humour et de rythme effréné. Aux commandes, on retrouve d’ailleurs le même duo gagnant, Ron Clements et John Musker, déjà artisans des facéties du Génie. Mais cette fois, plutôt que de plonger dans les contes des Mille et Une Nuits, ils s’attaquent à un monument autrement plus intimidant : la mythologie grecque. À l’origine, l’équipe envisage d’adapter L’Odyssée d’Homère, un texte foisonnant mais aux accents tragiques, finalement peu compatible avec l’esprit léger recherché par la maison de Mickey. Le projet est donc abandonné au profit d’un terrain à priori plus souple : la légende d’Hercule. La mythologie est allégée, triturée, remodelée pour correspondre aux codes du divertissement familial. Exit Héra la jalouse ou les tourments sanglants des récits originaux. Hadès devient le méchant parfait, cynique, bavard et hautement théâtral. L’Olympe prend des allures de cabaret céleste, et le destin du héros se mue en parcours initiatique semé de gags, de chansons et de monstres cartoonesques.

Le cœur du film repose sur une intrigue simplifiée à l’extrême. Hercule, adolescent gauche et rejeté, cherche à comprendre sa différence. Doté d’une force colossale qu’il ne maîtrise pas, il doit apprendre à canaliser ses pouvoirs pour devenir non seulement un champion, mais surtout un véritable héros, digne de rejoindre ses parents divins sur l’Olympe. Ce récit initiatique, proche de celui des super-héros contemporains (référence parfaitement assumée par les deux réalisateurs, fans de comics), est manifestement conçu pour permettre aux jeunes spectateurs de s’identifier à un personnage maladroit en quête de sens. Le parallèle avec les stars du sport, transformées en demi-dieux médiatiques, est souligné de manière insistante à travers une avalanche de produits dérivés vendus à l’effigie du héros. La finesse n’est pas vraiment au rendez-vous, même si Disney semble opérer ici une mise en abyme ironique en se moquant de son propre empire marketing.

Mytho Man

Pour accompagner ce virage vers la fantaisie débridée, Disney fait appel à Gerald Scarfe, un caricaturiste britannique connu pour ses illustrations acides et sa participation au film The Wall des Pink Floyd. Ses coups de crayon anguleux, exagérés, parfois grotesques, offrent à Hercule une identité graphique singulière, loin du classicisme des précédents Disney. Mais ce choix radical est très discutable. Sous prétexte de fraîcheur et d’originalité, la majesté due aux monstres et merveilles des mythes antiques est abandonnée au profit d’un rendu caricatural visuellement peu attrayant. Dans un esprit voisin, le casting vocal est poussé dans ses retranchements. Danny DeVito, en satyre bougon chargé d’entraîner le héros (ce sera Patrick Timsit dans la VF) joue la carte du faire-valoir renfrogné et gorgé de mauvaise foi. James Woods, lui, prête son débit de mitraillette et son énergie corrosive à Hadès en improvisant largement. L’acteur semble s’amuser comme un fou, certes, mais l’on ne peut s’empêcher de trouver cette relecture du redoutable dieu des Enfers complètement à côté de la plaque. La musique, confiée à Alan Menken (déjà auteur des partitions d’Aladdin et La Belle et la Bête), est à l’avenant : adieu les envolées orchestrales, place au gospel ! Sorti en plein été 1997, Hercule se heurte à une concurrence redoutable. Men in Black écrase le box-office et relègue le demi-dieu au second plan. Moins rassembleur que Le Roi Lion ou Aladdin, le film ne parvient pas à s’imposer comme un triomphe financier. Sans doute ce mélange d’humour anachronique et de culture pop est-il agencé de manière bien trop artificielle pour convaincre. Dommage : la légende d’Hercule offrait un formidable potentiel qui n’aura été ici qu’effleuré avec beaucoup de maladresse.

 

© Gilles Penso

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MÉTAL HURLANT (1981)

La science-fiction, l’horreur, l’érotisme, l’héroic-fantasy et le pastiche burlesque s’entrechoquent dans ce monument culte du cinéma d’animation…

HEAVY METAL

 

1981 – CANADA

 

Réalisé par Gerald Potterton

 

Avec les voix de Roger Bumpass, John Candy, Jackie Burroughs, Joe Flaherty, Don Francks, Martin Lavut, Marilyn Lightstone, Eugene Levy, Alice Playten, Harold Ramis

 

THEMA FUTUR I HEROIC FANTASY I EXTRA-TERRESTRES I ZOMBIES

On ne remerciera jamais assez Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Moebius d’avoir créé en 1975 le magazine Métal Hurlant, fleuron de la contre-culture populaire, laboratoire de création visuelle et terreau fertile de toute une génération d’auteurs de bandes-dessinées pour adultes. En 1977, Leonard Mogel en rachète les droits de publication pour le territoire américain, sous le titre Heavy Metal, et cherche dans la foulée à financer un film d’animation qui en reprendrait l’esprit. Ivan Reitman, futur réalisateur de S.O.S fantômes et déjà producteur de films d’horreur dans son Canada natal (Frissons et Rage de David Cronenberg notamment) se laisse tenter par l’aventure et accepte de produire le film. Car aux États-Unis, Heavy Metal s’est imposé comme une véritable institution auprès d’une large communauté d’artistes. Ridley Scott avouera même y avoir puisé plusieurs idées pour Alien (le fait que Dan O’Bannon, scénariste du film, soit l’un des auteurs du magazine n’est évidemment pas étranger à ce jeu des influences). Partagé entre l’horreur, la science-fiction et l’heroic-fantasy, le film Metal Hurlant met en scène plusieurs histoires courtes qui n’ont qu’un lien entre elles : la présence d’une entité maléfique connue sous le nom de Loc-Nar. Chaque segment possède son propre style graphique et sa propre tonalité.

Les deux premiers segments, « Soft Landing » et « Grimaldi », s’enchaînent pour permettre au film de démarrer sur des chapeaux de roue. Une Chevrolet Corvette de 1959 à carrosserie en fibre de verre y est larguée depuis une navette spatiale, atterrit sur Terre et roule jusqu’à un manoir. L’astronaute/pilote a ramené de sa mission une sphère verte incandescente, le Loc-Nar, qui le désintègre entièrement puis s’approche de sa fille en annonçant « Je suis la somme de tous les maux ! » C’est à travers les récits de cette puissance infernale que vont s’articuler les sketches qui constituent le film. « Harry Canyon », d’après une histoire originale de Dan Goldberg et Len Blum, est manifestement conçu sous l’influence de Moebius, tant les dessins de ce New York futuriste évoquent ceux du créateur de Blueberry. Cette histoire d’un chauffeur de taxi, s’attirant un tas d’ennuis après avoir secouru la fille d’un scientifique, baigne dans une atmosphère de film noir qui inspirera sans doute Blade Runner et surtout Le Cinquième élément. Le deuxième récit, « Den », inspiré par Richard Corben, s’intéresse à un jeune homme féru de sciences qui, après avoir découvert le Loc-Nar, se métamorphose en surhomme et voyage jusqu’à un monde parallèle où il sauve une jeune femme promise à un sacrifice, le tout dans un univers d’heroic fantasy totalement débridé. Sur un registre très différent, « Capitaine Sternn », d’après Berni Wrighston, est un sketch burlesque situé à bord d’une station spatiale où un capitaine se retrouve accusé d’une infinité de crimes par un tribunal intergalactique. Serein, notre homme a soudoyé le témoin principal. Mais celui-ci a découvert le Loc-Nar et se transforme en titan colérique façon Hulk !

Le choc des mondes

Le segment « B-17 » se situe en pleine seconde guerre mondiale. À bord d’un bombardier, tous les membres d’équipage décédés se transforment en zombies, dans une ambiance « Ec Comics » qui nous rappelle que Dan O’Bannon, auteur de cette histoire, est le futur réalisateur du Retour des morts-vivants.  « So Beautiful & So Dangerous », quant à lui, raconte sur le ton de la comédie l’enlèvement d’une plantureuse terrienne par un gigantesque vaisseau extra-terrestre. Le dernier sketch, « Taarna », qui emprunte à nouveau ses effets de style à Moebius, montre la dernière descendante d’une race de guerriers se dressant contre une tribu de barbares corrompus par le Loc-Nar. Extrêmement inventive, l’animation de Métal Hurlant mêle la 2D traditionnelle avec de la 3D avant-gardiste, de la rotoscopie, des maquettes en volume et des effets visuels. La violence graphique et l’érotisme débridé s’y entremêlent étroitement, tandis qu’une poignée de clins d’œil adressés aux connaisseurs ponctuent le film (l’affiche de Jaws 7, les apparitions de l’Enterprise et de Robby le robot), le tout sur une bande originale hétéroclite mêlant les symphonies lyriques d’Elmer Bernstein et une grande quantité de morceaux de rock. Gorgé d’images iconiques – la moindre n’étant pas celle de la guerrière Taarna chevauchant son ptérodactyle, devenue le poster le plus célèbre du film -, Métal Hurlant s’est rapidement érigé en objet de culte adulé aux quatre coins de la planète.

 

© Gilles Penso

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TYGRA, LA GLACE ET LE FEU (1983)

Ralph Bakshi et Frank Frazetta nous content les mésaventures d’un guerrier et d’une princesse dans un monde d’heroic fantasy sauvage et hostile…

FIRE AND ICE

 

1983 – USA

 

Réalisé par Ralph Bakshi

 

Avec Randy Norton, Cynthia Leake, Steve Sandor, Sean Hannon, Leo Gordon, William Ostrander, Eileen O’Neill, Elizabeth Lloyd Shaw, Micky Morton

 

THEMA HEROIC FANTASY

En 1978, Ralph Bakshi est l’un des premiers réalisateurs à transposer sur grand écran l’univers de l’heroic-fantasy avec sa version animée du Seigneur des anneaux. Entretemps, le genre devient extrêmement populaire grâce à Conan le barbare et à ses nombreuses imitations. Bakshi décide donc de contre-attaquer en s’associant avec un de ses amis de longue date, le légendaire dessinateur Frank Frazetta. Tous deux développent l’histoire de Tygra, la glace et le feu, dont le scénario est confié à deux piliers des comics Marvel, Roy Thomas et Gerry Conway. Pugnace, Bakshi parvient à lever 1,2 million de dollar pour financer le film et à obtenir l’accord de la Twentieth Century Fox pour sa distribution. Si Tygra est un film d’animation pur et dur, le réalisateur tient à s’appuyer sur la performance d’acteurs réels pour fluidifier les mouvements de ses personnages. D’où l’emploi intensif de la rotoscopie, déjà éprouvée dans Le Seigneur des anneaux : les comédiens sont filmés en noir et blanc et leurs performances sont ensuite reproduites image par image par les animateurs. Cette démarche nécessite un processus de casting complexe. Comment par exemple trouver une Tygra idéale, sachant que la plantureuse héroïne possède des mensurations plus proches de la bande dessinée que du monde réel ? Bakshi et Frazetta sélectionnent finalement Cynthia Leake (dont la poitrine sera tout de même augmentée à l’écran !), tandis qu’une autre actrice, Maggie Roswell, lui prête sa voix.

Le monde dans lequel se déroule le film est menacé par la Reine Juliana et son fils Nekron. Depuis leur forteresse glacée d’Icepeak, tous deux font progresser une gigantesque vague de glaciers, contraignant les derniers bastions de l’humanité à se replier vers le sud. Sous prétexte de négocier une reddition, Juliana envoie des émissaires à Firekeep, la citadelle volcanique du roi Jarol. En réalité, elle cherche à faire capturer la princesse Teegra (orthographiée Tygra dans la version française), fille du roi, dans l’espoir qu’elle devienne l’épouse de Nekron et lui donne un héritier. Échappant momentanément à ses ravisseurs, Teegra croise la route de Larn, un jeune guerrier rescapé d’un village détruit par les glaces. Tous deux s’allient, mais sont séparés après l’attaque d’un monstre marin. Teegra est de nouveau capturée, puis s’évade avant de tomber entre les mains d’une sorcière et de son fils géant, qui veulent la livrer à Nekron en échange de sa clémence…

Les âges farouches

On peut regretter que les limitations techniques et budgétaires ne permettent pas de pleinement rendre justice à la beauté et à la richesse des designs du film. Il nous faut souvent nous contenter d’à-plats de couleurs uniformes et de traits minimalistes, loin des peintures somptueuses auxquels Frank Frazetta nous a habitués. Mais le dynamisme de l’animation, la qualité esthétique des panoramas (des milliers de fresques d’arrière-plan ont été élaborées pour le film) et la force évocatrice de cet univers d’heroic fantasy suffisent à emporter l’adhésion. Avec sa tignasse blonde et son collier de griffes, le guerrier Larn nous évoque Rahan. Ce monde préhistorique n’est d’ailleurs pas sans rappeler le fameux « fils des âges farouches » créé par Roger Lécureux et André Cheret, même si les pages des comics Marvel mettaient déjà en scène un héros antédiluvien fort similaire nommé Ka-Zar. Teegra, elle, dégage une forte charge érotique que Bakshi et Frazetta assument sans fard, calquant visiblement une partie de ses traits sur ceux de Tanya Roberts dans Dar l’invincible. Soutenu par une belle musique héraldique de William Kraft, truffé de séquences épiques (le premier combat de Larn contre les « sous-humains », l’attaque du lézard géant, le surgissement du céphalopode titanesque, l’éveil du squelette de la sorcière, l’assaut final à dos de ptéranodons), Tygra, la glace et le feu est avant tout un récit de survie dans un monde sauvage et hostile, où les dialogues sont souvent réduits à leur plus simple expression. Et même si le résultat final manque parfois un peu de liant ou de finesse, le rythme soutenu et les péripéties vivaces emportent les spectateurs dans une course enivrante. Comment ne pas se délecter d’un spectacle aussi généreux ?

 

© Gilles Penso

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ALADDIN (1992)

Disney réinvente les contes des 1001 nuits, intègre les images de synthèse dans ses dessins et laisse carte blanche à Robin Williams !

ALADDIN

 

1992 – USA

 

Réalisé par Ron Clements et John Musker

 

Avec les voix de Robin Williams, Scott Weigner, Linda Larkin, Jonathan Freeman, Frank Welker, Gilbert Gottfried, Douglas Seale, Charlie Adler, Jack Angel

 

THEMA MILLE ET UNE NUITS

L’idée d’adapter le célèbre conte des Mille et Une Nuits ne vient pas d’un cadre chez Disney, mais du parolier Howard Ashman lui-même, alors en pleine collaboration avec Alan Menken sur La Petite Sirène. Ashman propose un récit centré sur un jeune homme des rues rêvant de reconnaissance parentale, et imagine un génie inspiré du swingman Cab Calloway. Cette première mouture est poétique, jazzy et bien plus centrée sur les origines sociales du héros. Mais après la mort d’Ashman en 1991, l’histoire prend un tournant différent. Le personnage d’Aladdin est reconfiguré comme un adolescent plus impertinent, moins ancré dans la recherche d’approbation familiale que dans une quête d’identité. Son modèle devient Tom Cruise, et non plus Michael J. Fox, initialement évoqué. Le décor orientaliste passe de Bagdad à Agrabah, cité imaginaire et volontairement anachronique, tandis que plusieurs chansons d’Ashman sont retirées. L’un des tournants les plus brutaux de la production survient lorsque Jeffrey Katzenberg rejette en bloc la version du scénario alors en cours de production. L’équipe a une semaine pour tout réécrire sans que le calendrier de sortie ne soit modifié. En l’état, Aladdin peut s’apprécier comme une sorte de relecture exubérante du Voleur de Bagdad produit par les frères Korda. Le voleur, le génie, la princesse, le vil Jaffar et même le sautillant Sabu (ici transformé en singe et rebaptisé… Abu) y sont transfigurés sous une forme dessinée volontairement excessive.

Si Aladdin demeure un jalon important de l’histoire de Disney, c’est en grande partie grâce à l’apport phénoménal de Robin Williams. Dès les premiers stades de développement, les animateurs rêvent de lui pour incarner le Génie. Eric Goldberg réalise alors un test d’animation sur la base d’un sketch de l’acteur. Le résultat est si convaincant que Williams accepte sans hésiter. Ce n’est pas seulement une performance vocale, mais une tornade d’inventivité. Car en studio, l’acteur improvise des dizaines de personnages, accents, références et digressions, au point que le script original doit être reclassé en « scénario adapté » pour la cérémonie des Oscars. Plus de 16 heures de bandes sonores sont enregistrées pour le seul Génie. Certaines répliques sont néanmoins écartées, jugées trop politiques ou irrévérencieuses (comme une imitation de George Bush ou des références à Nancy Reagan). C’est un coup de poker artistique, mais aussi un tournant industriel. Disney découvre en effet qu’une star bankable peut vendre un film d’animation autant qu’un héros dessiné. L’industrie entière suivra cette logique, parfois au détriment de la qualité vocale elle-même.

Un coup de génie

Sur le plan graphique, Aladdin s’émancipe du réalisme pastel de La Belle et la Bête pour adopter une ligne plus caricaturale. Le travail du dessinateur Al Hirschfeld inspire le trait ondulant des personnages, tandis que les décors jouent la carte du conte oriental fantasmé, entre désert infini, palais d’ivoire et souks colorés. Les séquences d’action, comme la course poursuite du prologue ou le vol en tapis volant, tirent parti des avancées en animation numérique, avec des mouvements de caméra dynamiques, encore rares à l’époque dans le dessin animé traditionnel. Mais c’est l’humour débridé, souvent méta, qui différencie le plus Aladdin de ses prédécesseurs. Là où La Petite Sirène et La Belle et la Bête gardaient un certain classicisme de ton, Aladdin déborde d’énergie burlesque. Le Génie cite Arsenic et vieilles dentelles, pastiche Arnold Schwarzenegger et Jack Nicholson, sans oublier de briser régulièrement le quatrième mur. Avec son succès fulgurant (près de 504 millions de dollars de recettes mondiales ainsi qu’un triomphe critique et deux Oscars), Aladdin s’impose comme un sommet du studio Disney dans les années 90. Il inaugure une ère où la modernité se conjugue à la tradition, où la starification du doublage devient un argument de vente, et où l’humour visuel atteint une vitesse jamais vue dans un long-métrage animé. Le film sera suivi par deux longs-métrages animés, une série et un remake en prises de vues réelles.

 

© Gilles Penso

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PETITE SIRÈNE (LA) (1989)

Dans le creux de la vague, le département animation de Disney se réinvente à travers cette relecture magistrale du conte d’Andersen…

THE LITTLE MERMAID

 

1989 – USA

 

Réalisé par Ron Clements et John Musker

 

Avec les voix de Jodi Benson, Christopher Daniel Barnes, Pat Carroll, Samuel E. Wright, Rene Auberjonois, Paddi Edwards, Buddy Hackett, Kenneth Mars

 

THEMA CONTES

À la fin des années 1980, l’empire Disney vacille. Depuis Les Aventures de Bernard et Bianca, rares sont les longs-métrages d’animation à avoir suscité l’enthousiasme du public. L’éclat des grands classiques semble éteint et l’animation est marginalisée au sein du studio, reléguée dans des bureaux de seconde zone. Et puis, un chant cristallin s’élève des profondeurs marines : La Petite Sirène sort sur les écrans en 1989 et déclenche une vague inattendue. Avec Ariel, la maison de Mickey renoue non seulement avec le succès populaire, mais amorce ce que l’on appellera rétrospectivement la « Renaissance de Disney ». C’est lors de recherches personnelles que Ron Clements, alors coréalisateur sur Basil, détective privé, redécouvre le conte d’Andersen. Cette histoire de sirène éprise d’un humain, pourtant tragique dans sa version originale, lui semble pouvoir épouser les codes du musical hollywoodien. Il rédige un court traitement, qui séduit les têtes pensantes du studio, en particulier Jeffrey Katzenberg, fraîchement arrivé de chez Paramount pour restructurer la division animation. À la surprise générale, l’équipe découvre que Disney avait déjà envisagé une adaptation du conte dans les années 1930. Des croquis oubliés de Kay Nielsen, l’un des artistes de Fantasia, refont alors surface. La modernité de ces dessins inspire immédiatement les créateurs. L’idée d’une filiation entre les premiers âges d’or du studio et ce projet neuf insuffle une dynamique inattendue qui met officiellement La Petite Sirène sur les rails.

Le choix du ton musical est fondamental. Contrairement aux films produits durant la décennie précédente (Taram et le chaudron magique, Rox et Rouky), La Petite Sirène revendique ouvertement le format de la comédie musicale. Ce virage est impulsé par le parolier Howard Ashman, qui impose à la production une vision inspirée du Broadway classique. Il s’associe au compositeur Alan Menken pour créer une bande originale flamboyante, où chaque chanson fait avancer la narration et explore l’intériorité des personnages. Cette démarche impose un style, une dynamique et un souffle dramatique jusque-là inédits dans les productions Disney des années 80. Le duo Ashman/Menken affinera ensuite cette alchimie avec La Belle et la Bête et Aladdin. L’autre grand défi du film est la création d’un univers entièrement sous-marin. Plus d’un million de bulles sont dessinées à la main, tandis que certaines séquences recourent à l’animation assistée par ordinateur – encore balbutiante à l’époque – pour donner vie à certains décors mouvants. Faute de ressources suffisantes sur le sol américain, une partie de l’animation est délocalisée en Asie, notamment pour certains effets. Ce fractionnement de la production n’empêche pas l’ensemble de conserver une cohérence esthétique remarquable. Le budget devient le plus élevé de la décennie pour un film d’animation Disney, un pari osé pour ce qui est alors perçu par les dirigeants comme un « film de princesse », donc à potentiel commercial limité.

La princesse des océans

Or avec Ariel, Disney réinvente justement l’archétype de la princesse. Elle n’attend pas qu’un prince charmant vienne la délivrer et provoque son destin, quitte à se tromper et à en souffrir. Son désir d’émancipation – incarné par son obsession du monde humain – devient le moteur de l’intrigue. Si certains ont pu voir dans l’abandon de la voix un acte de soumission, nous préférons y lire le reflet d’une adolescence en quête de liberté, prise entre les injonctions parentales et l’appel du monde extérieur. C’est aussi la première héroïne Disney aux traits inspirés d’une star contemporaine. Glen Keane, superviseur de l’animation d’Ariel, s’inspire de la chevelure flamboyante et du visage d’Alyssa Milano, actrice très populaire à l’époque. Ariel devient une ado expressive, curieuse, maladroite et résolument moderne. La Petite Sirène finit par remporter un succès bien supérieur aux prévisions. Avec plus de 84 millions de dollars de recettes aux États-Unis (soit largement plus qu’Oliver et Compagnie), le film relance l’animation Disney, alors perçue comme un secteur déficitaire. Il récolte deux Oscars (meilleure musique et meilleure chanson) et ravive l’intérêt du public pour ce type de récit. Ce retour au sommet marque donc le début d’une nouvelle ère créative. Disney s’apprête à enchaîner une décennie triomphale, culminant avec Le Roi Lion en 1994.

 

© Gilles Penso

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ARAIGNÉE (L’) (1967-1970)

La première série animée consacrée aux aventures de Spider-Man est un succès international, dont la chanson est encore dans toutes les mémoires…

SPIDER-MAN

 

1967/1970 – USA / CANADA

 

Créée par Robert Lawrence

 

Avec les voix de Paul Soles, Peg Dixon, Paul Kligman, Bernard Cowan, Tom Harvey, Gillie Fenwick, Len Carlson, Henry Ramer, Chris Wiggins

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SPIDER-MAN I MARVEL COMICS

En 1967, soit cinq ans après sa création par Stan Lee et Steve Ditko, Spider-Man s’échappe des planches dessinées pour faire sa première apparition sur le petit écran à l’occasion d’une série animée devenue mythique, notamment grâce à la chanson délicieusement sixties écrite par Bob Harris et Paul Francis Webster. Diffusée initialement sur la chaîne ABC de septembre 1967 à juin 1970, cette co-production américano-canadienne ne bénéficie pas de moyens conséquents, ce qui oblige ses créateurs à réutiliser inlassablement les mêmes boucles d’animation, notamment lorsque l’homme-araignée voltige d’immeuble en immeuble, court et grimpe aux murs. Les restrictions budgétaires poussent les dessinateurs à simplifier son costume en ne reprenant le motif de la toile que sur son masque, ses mains et ses pieds. Même le logo de l’araignée, qui apparaît sur sa poitrine et son dos, a été ramené de huit à six pattes ! Malgré toutes ces limitations, le graphisme reste assez fidèle aux dessins de Steve Ditko et John Romita, le dynamisme des acrobaties du monte-en-l’air étant accru par des bruitages à la Hanna et Barbera et une musique swing composée par Ray Ellis.

La première saison alterne la présence des super-vilains puisés dans le comic book original avec d’autres inventés de toutes pièces. Parmi les ennemis « classiques », le téléspectateur retrouve Electro, Mysterio, le robot anti-araignée du professeur Smythe, le Vautour, le Scorpion, l’Homme-Sable, le Bouffon Vert, le Rhino et les Exécuteurs. Certaines libertés sont prises avec certain d’entre eux, notamment le Lézard, affublé ici d’une tête aplatie qui lui donne des allures de crapaud, et dont l’alter-ego, le professeur Connor, n’est plus un scientifique manchot cherchant à régénérer les membres perdus. Mais dans l’ensemble, les consultants de la série, qui ne sont autre que Stan Lee et John Romita, s’assurent d’une relative fidélité au matériau original. Bizarrement, il faudra attendre le début de la saison 2 pour avoir droit à un épisode racontant les origines du super-héros. Mais cette relative fidélité à la bande dessinée s’évapore bien vite pour basculer dans l’heroïc-fantasy délirante et la science-fiction outrancière. La raison de ce brusque changement de cap est imputable à la présence de Ralph Bakshi. Le futur réalisateur de Fritz the Cat et de la version animée du Seigneur des Anneaux est en effet sollicité pour produire, réaliser et superviser les histoires des saisons 2 et 3, qui ne sont plus produites par Grantray Lawrence Animation mais par Krantz Films. Au gré de l’imagination débordante de Bakshi et de ses scénaristes, Spider-Man quitte New-York pour se retrouver au centre de la Terre, dans des châteaux gothiques, des jungles antédiluviennes ou des mondes parallèles.

« Tonnerre de saperlipopette ! »

Le budget de cette saison étant encore plus faible que celui de la précédente, les répétitions de plans identiques deviennent flagrantes, l’animation est plus figée que jamais et les faux raccords abondent. Bakshi fait même des économies en recyclant de larges extraits de la série Rocket Robin Hood qu’il a produite quelques années plus tôt. La saison 3 nous ramène dans New York, mais continue à collecter les vilains invraisemblables, parmi lesquels on note un bonhomme de neige géant, un cowboy volant sur un cheval-hélicoptère, un baron allemand mégalomane et sa forteresse volante, un chevalier en armure médiévale qui chevauche une moto couverte de blasons, un Atlante qui engloutit Manhattan sous les flots ou encore un extraterrestres cyclope aux allures de crustacé bipède. La série aura donc été marquée par plusieurs baisses qualitatives et par des dialogues d’une grande naïveté, aggravés en France par le doublage réalisé à l’époque au Canada. Des répliques aussi improbables que « tonnerre de saperlipopette ! », « mille millions de poissons chats ! » ou « me voilà débarrassé de ce petit foutriquet ! » abondent donc dans cette version française improbable où certains personnages sont même renommés (Peter Parker s’appelle Pierre Parker dans les premiers épisodes, le Lézard devient le Caïman, le Bouffon Vert est rebaptisé le Lutin Vert) et où les méchants roulent les airs comme des chanteurs d’opérette. Pourtant, le public français salua avec enthousiasme cette série, dont la diffusion coïncida avec la publication du très populaire magazine Strange consacré aux héros Marvel.

 

© Gilles Penso

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