ÂGE DE GLACE (L’) (2002)

Le studio Blue Sky frappe très fort avec cette aventure préhistorique burlesque aux allures de road movie inter-espèces…

ICE AGE

 

2002 – USA

 

Réalisé par Chris Wedge

 

Avec les voix de Ray Romano, John Leguizamo, Denis Leary, Goran Visnjic, Jack Black, Cedric The Entertainer, Stephen Root, Diedrich, Bader, Alan Tudyk

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

En 2002, alors que Pixar règne déjà sur le cinéma d’animation numérique avec ses jouets parlants et ses fourmis philosophiques, un studio encore peu connu du grand public, Blue Sky Studios, s’invite dans la cour des grands avec L’Âge de glace. Produit par la 20th Century Fox, ce buddy movie préhistorique, aux allures de fable climatique et de sitcom animalière, s’impose à sa sortie comme un inattendu raz-de-marée commercial.  À l’origine, Ice Age est imaginé comme un drame d’animation plus sérieux. Mais le studio revoit finalement sa copie pour concocter une comédie familiale, avec des personnages expressifs, des dialogues percutants et surtout une avalanche de gags visuels. La réalisation est confiée à Chris Wedge (déjà oscarisé pour le court Bunny). Techniquement, le film reste très impressionnant. Les textures des personnages, la modélisation des décors gelés et la fluidité de l’animation n’ont pas à rougir de la comparaison avec les travaux des géants Pixar et DreamWorks, malgré un budget inférieur.

Le scénario de L’Âge de glace suit la rencontre improbable entre trois animaux aux caractères antagonistes : Manny, un mammouth bourru et solitaire ; Sid, un paresseux loquace et gaffeur ; et Diego, un tigre à dents de sabre aux intentions floues. Ensemble, ils s’engagent dans une mission quasi biblique : ramener un bébé humain à sa tribu, alors qu’un âge glaciaire bouleverse l’équilibre de leur monde. Cette quête initiatique permet surtout d’explorer les dynamiques de groupe, les liens affectifs inattendus et les thèmes universels de la famille et de la loyauté. Le film repose en grande partie sur la chimie entre ses personnages principaux. Ray Romano (Manny), John Leguizamo (Sid) et Denis Leary (Diego) prêtent leurs voix avec un enthousiasme contagieux. En VF, le trio est tout aussi efficace, notamment grâce au doublage inspiré de Gérard Lanvin et Elie Semoun (même si la voix de Vincent Cassel peine pour sa part à nous convaincre).

Complètement givrés

Mais la vraie star de L’Âge de glace, c’est sans conteste Scrat, l’écureuil préhistorique obsédé par son gland. Personnage muet, totalement burlesque, il traverse le film en filigrane et déclenche à lui seul certains des plus gros fous rires. À mi-chemin entre Tex Avery et Buster Keaton, Scrat deviendra la mascotte de la franchise. Si certains critiques de l’époque avaient tendance à pointer du doigt un récit somme toute classique et quelques clichés émotionnels un peu faciles, ils reconnurent aussi la sincérité de l’ensemble, son efficacité comique et la qualité de sa direction artistique. Le film, malgré sa simplicité narrative, réussit à captiver petits et grands, avec un humour souvent visuel et une tendresse palpable envers ses personnages. C’est justement cette alchimie entre comédie burlesque, péripéties paléolithiques improbables et émotions discrètes qui fait de L’Âge de glace un film à part dans l’histoire de l’animation. Loin de la sophistication scénaristique d’un Monstres & Cie ou des ambitions satiriques de Shrek, il trace son propre sillon, plus modeste mais tout aussi attachant. Son succès – plus de 380 millions de dollars au box-office mondial – donnera naissance à une saga prolifique, avec des suites de plus en plus spectaculaires.

 

© Gilles Penso

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J’AI PERDU MON CORPS (2019)

Pour son premier long-métrage, Jérémy Clapin se lance dans l’odyssée expérimentale et poétique d’une main privée du reste de son corps…

J’AI PERDU MON CORPS

 

2019 – FRANCE

 

Réalisé par Jérémy Clapin

 

Avec les voix de Hakim Faris, Victoire du Bois, Patrick d’Assumçao, Alfonso Arfi, Hichem Mesbah, Myriam Loucif, Bellamine Abdelmalek, Maud Le Guenedal

 

THEMA MAINS VIVANTES

Dans le paysage de l’animation française, J’ai perdu mon corps marque un tournant discret mais décisif. Récompensé à Cannes (Grand Prix de la Semaine de la Critique) et nommé aux Oscars en 2020, ce premier long-métrage adapte Happy Hand, un court roman de Guillaume Laurant (coscénariste du Fabuleux destin d’Amélie Poulain). Le film se construit autour de deux récits parallèles : celui d’une main tranchée qui s’échappe d’un laboratoire parisien pour retrouver son corps, et celui de Naoufel, jeune homme en errance, marqué par un drame d’enfance et devenu livreur de pizzas. Ces deux trajectoires – l’une physique, l’autre existentielle – s’entrelacent peu à peu au fil d’une quête de sens et de réparation. Au-delà de son pitch insolite (qui semble de prime abord vouloir reprendre à son compte l’imagerie de La Bête aux cinq doigts), J’ai perdu mon corps surprend par sa pudeur et son sens du détail, le film évoquant l’absence, le deuil et le hasard avec une délicatesse rare. Tournant le dos aux effets de mise en scène ostentatoires (et pourtant, que de virtuosité dans ce long-métrage !), Jérémy Clapin préfère aux effets appuyés trop visibles une sensibilité à fleur de peau.

 

La grammaire visuelle du film repose sur un équilibre subtil entre réalisme et impressionnisme. Les plans, souvent resserrés, plongent dans une matière sensorielle presque palpable. Le grain d’une moquette, la lumière crue d’un distributeur automatique, le frisson du vent sur un toit deviennent des éléments narratifs à part entière. Car ici, le monde est souvent filmé à hauteur de main, exploré par ce membre autonome qui rampe, chute, s’agrippe ou caresse, tel un protagoniste muet mais très expressif. Clapin et son équipe accordent une attention minutieuse aux textures, aux sons, aux gestes, bref à tout ce qui relève du souvenir corporel. Cette densité traverse tout le récit, notamment dans les scènes où Naoufel découvre Gabrielle à distance, par une voix entendue à l’interphone. La bande originale de Dan Levy baigne les images de nappes électro feutrées, tandis que le récit suit son cours sur deux temporalités distinctes qui ne sauraient tarder à fusionner.

À fleur de peau

Pour donner vie à cette histoire surprenante, Clapin fait le choix d’une technique hybride : une animation en 3D retravaillée image par image pour obtenir un rendu 2D expressif et organique. Ce parti pris permet d’atteindre un équilibre précieux entre la fluidité du mouvement et la fragilité des traits. Les décors, souvent urbains ou intérieurs, sont volontairement sobres, presque effacés, comme filtrés par la mémoire ou l’absence. Le film s’appuie aussi sur un casting vocal d’une grande justesse. Hakim Faris, dans le rôle de Naoufel, incarne avec retenue un jeune homme coupé de lui-même, tandis que Victoire du Bois donne à Gabrielle une chaleur mélancolique et distante. Autour d’eux, les voix de Patrick d’Assumçao et Bellamine Abdelmalek complètent ce tableau sensible, où chaque silence compte autant que les mots. Sans emphase ni morale, J’ai perdu mon corps prend ainsi la tournure d’une fable contemporaine, poétique et profondément humaine. Pour son long-métrage suivant, Pendant ce temps sur Terre, Clapin délaissera l’animation au profit des prises de vues réelles et des acteurs en chair et en os.

 

© Gilles Penso

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BELLE AU BOIS DORMANT (LA) (1959)

Walt Disney s’empare du fameux conte popularisé par Charles Perrault et les frères Grimm et donne naissance à la plus mémorable des super-vilaines…

SLEEPING BEAUTY

 

1959 – USA

 

Réalisé par Clyde Geronimi, Wolfgang Reitherman, Les Clark, Eric Larson

 

Avec les voix de Mary Costa, Bill Shirley, Eleanor Audley, Verna Felton, Barbara Luddy, Barbara Jo Allen, Taylor Holmes, Bill Thompson, Hans Conried

 

THEMA CONTES I SORCELLERIE ET MAGIE I DRAGONS

La Belle au bois dormant s’inscrit dans la lignée des grands classiques produits jusqu’alors par Disney en adaptant un conte populaire aux racines européennes, mêlant les versions de Charles Perrault et des frères Grimm. Au menu : une princesse ensorcelée, un baiser salvateur, un prince valeureux et des fées bienveillantes. Le film s’ouvre même sur un livre enluminé, comme pour créer un lien avec les premières productions du studio. Malgré ces motifs bien connus, le film se distingue par une série de choix artistiques et techniques qui en font une œuvre bien plus singulière qu’elle n’y paraît. Pour la première fois, Disney confie la direction artistique à une seule personne, Eyvind Earle, dont le style original donne au film une identité visuelle forte. Inspiré par les enluminures médiévales et les tapisseries gothiques, Earle impose des décors géométriques, stylisés, presque abstraits par moments. Cette orientation tranche nettement avec la douceur arrondie de Blanche Neige ou de Cendrillon. Le choix du format CinemaScope ajoute une contrainte supplémentaire : chaque plan doit être soigneusement composé sur un plan horizontal, et les arrière-plans, très détaillés, nécessitent parfois plus d’une semaine de travail chacun. La fabrication du film devient alors l’une des plus longues et coûteuses de l’histoire du studio.

Sur le plan narratif, le film opère également quelques changements notables. Si la princesse Aurore donne son nom au titre, elle reste étonnamment en retrait. Elle n’apparaît d’ailleurs qu’une vingtaine de minutes à l’écran et ne prononce qu’un nombre limité de répliques. En revanche, c’est le prince Philippe qui occupe une place centrale dans le dernier acte. Contrairement à ses prédécesseurs souvent passifs, il prend ici une part active dans la résolution du conflit. Au cours d’un final qui a marqué les mémoires, la sorcière Maléfique, juchée au sommet d’une tour sous un ciel orageux, s’entoure de flammes, invoque le pouvoir de l’Enfer et se met à grandir jusqu’à se transformer en immense dragon. Sa coiffe se mue en cornes, sa cape en ailes, ses yeux étincèlent, son cou s’allonge et sa grande gueule crache du feu en abondance en direction du valeureux prince qui se protège comme il peut derrière son bouclier. Acculé au-dessus d’un gouffre, notre héros parvient à planter son épée dans la poitrine écailleuse du monstre quadrupède, aidé par les trois bonnes fées (Flora, Pâquerette et Pimprenelle) qui dotent son arme d’une force magique. La bête s’effondre alors du haut du précipice et disparaît dans les ténèbres.

La chute du dragon

Outre ses nombreux morceaux de bravoure, le film s’appuie sur l’utilisation d’un matériau musical peu courant à l’époque : le ballet « La Belle au bois dormant » de Tchaïkovsky. Walt Disney décide en effet d’ancrer La Belle au bois dormant dans la tradition musicale classique, dans une démarche qui rappelle les expérimentations de Fantasia. Les airs du compositeur russe structurent donc l’ensemble du récit et lui confèrent une certaine solennité, George Bruns étant chargé de les intégrer à la bande originale. À sa sortie, le film reçoit un accueil mitigé. Le public répond présent, certes, mais les critiques ont tendance à lui reprocher un manque d’émotion en le comparant à Blanche Neige. Le coût élevé de la production (près de six millions de dollars, une somme considérable à l’époque) et les résultats jugés décevants sur le plan financier conduisent Disney à revoir ses ambitions à la baisse pour ses projets futurs. L’animation entre alors dans une période plus économique, marquée par l’usage accru du recyclage de dessins et l’arrivée de la photocopie. Depuis, La Belle au bois dormant a été réévalué comme une œuvre de transition, à la fois fidèle à l’esprit des contes traditionnels et tournée vers une forme de modernité graphique et narrative. Beaucoup le considèrent même comme l’un des plus grands classiques du genre, toutes époques confondues.

 

© Gilles Penso

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PETER PAN (1953)

Réinventé par Walt Disney, l’enfant qui ne voulait pas grandir devient l’un des héros les plus populaires de la « maison de Mickey »…

PETER PAN

 

1953 – USA

 

Réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske

 

Avec les voix de Bobby Driscoll, Kathryn Beaumont, Hans Conried, Bill Thompson, Heather Angel, Paul Collins, Tommy Luske, Candy Candido, Tom Conway

 

THEMA CONTES I ENFANTS

En 1951, Alice au pays des merveilles laisse un goût amer dans la bouche de Walt Disney. L’adaptation du chef-d’œuvre de Lewis Carroll est-elle trop déjantée ou trop insaisissable ? Toujours est-il qu’elle déroute le public. Deux ans plus tard, pourtant, le studio retente l’aventure avec un autre monument de la littérature britannique : Peter Pan. Mais cette fois, Disney change de cap. Il ne s’agit plus de suivre les errances d’un imaginaire sans boussole, mais de canaliser l’esprit de l’enfance dans un récit fluide, rythmé, visuellement cohérent. Et le résultat va faire date. Peter Pan, c’est d’abord une promesse : celle de s’envoler. Littéralement. Dans l’un des plus beaux démarrages de film du studio aux grandes oreilles, les enfants Darling quittent leur chambre sous les étoiles, guidés par un garçon au sourire espiègle et une fée minuscule. Le voyage vers le Pays Imaginaire n’est pas seulement une traversée de Londres en rase-motte, c’est un manifeste visuel : ici, tout sera féerie, fluidité, enchantement. La force du film vient peut-être de sa source. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un roman complexe mais une pièce de théâtre. Le récit est déjà pensé pour la scène, les personnages sont immédiatement identifiables, les situations claires. Disney n’a plus qu’à injecter son savoir-faire, autrement dit des chansons qui restent en tête, des personnages secondaires irrésistibles, et bien sûr une animation somptueuse où même l’ombre de Peter a du caractère.

Dans cette version revue et corrigée du texte de Barrie, Peter Pan perd en mystère ce qu’il gagne en efficacité. Plus question d’ambiguïtés sur son refus de grandir. Le jeune héros devient le symbole joyeux d’une enfance insouciante et triomphante. Il virevolte, défie les adultes, protège les enfants perdus, affronte le Capitaine Crochet avec une aisance insolente. Ce Peter-là est un héros Disney pur jus, sans zones d’ombre ni drames enfouis. Nous sommes loin du personnage tourmenté original, mais qu’importe puisque le public l’adopte instantanément. Autour de lui gravitent des figures devenues emblématiques. Wendy, douce et maternelle, devient la voix de la raison dans ce monde d’aventure. Crochet, méchant plus gaffeur que terrifiant, annonce la lignée des vilains de luxe du studio, burlesques et hauts en couleur. Et puis il y a Clochette, la grande révélation du film. Simple éclat de lumière sur scène, elle devient ici une créature pleine de caractère, jalouse, expressive, irrésistible. Une star née, qui connaîtra plus tard ses propres aventures indépendamment de celles de Peter.

Pas de labyrinthe pour Pan

Là où Alice s’égarait volontairement dans les labyrinthes de l’absurde, Peter Pan trace une ligne claire, guidée par une géographie de conte et une mécanique bien huilée. Chaque île, chaque tribu, chaque grotte a sa fonction. Tout s’agence pour construire un monde cohérent, attrayant, facilement mémorisable. Le Pays Imaginaire devient plus réel que jamais. Une fois de plus, cette adaptation opte pour la simplification et l’adoucissement. Les tensions psychologiques de l’œuvre de Barrie sont donc polies, la mélancolie remplacée par la magie. Certains crieront à la trahison. D’autres verront dans cette retranscription une relecture brillante, taillée pour un public familial, où le rêve prend le pas sur la réflexion. Comme avec Blanche Neige, Cendrillon ou même Alice, Disney parvient tant à imposer son propre Peter Pan dans l’imaginaire collectif qu’il finit presque par éclipser toutes les autres adaptations. Le collant vert, le crocodile au tic-tac, les sirènes et les pirates, la poudre de fée… toute cette imagerie ancrée dans l’inconscient collectif vient du film de 1953. Co-réalisée par les vétérans Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske (avec la collaboration non créditée de Jack Kinney), cette féerie ultra-populaire aura contribué à redonner des ailes à la maison de Mickey et à propulser quelques-uns de ses futurs succès tels que La Belle et le Clochard, La Belle au bois dormant et Les 101 Dalmatiens.

 

© Gilles Penso

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WALLACE ET GROMIT : LA PALME DE LA VENGEANCE (2024)

L’inventeur excentrique et son chien surdoué se retrouvent confrontés à des gnomes robots contrôlés par un de leur anciens ennemis…

WALLACE AND GROMIT : VENGEANCE MOST FOWL

 

2024 – GB

 

Réalisé par Nick Park et Merlin Crossingham

 

Avec les voix de Ben Whitehead, Peter Kay, Lauren Patel, Reece Shearsmith, Diane Morgan, Adjoa Andoh, Muzz Khan, Lenny Henry, Victoria Elliott

 

THEMA ROBOTS I REPTILES ET VOLATILES

Si jusqu’alors Wallace et Gromit n’avaient eu droit qu’à un seul long-métrage, c’est en grande partie parce que le réalisateur Nick Park avait éprouvé quelques difficultés à collaborer avec un studio tel que Dreamworks. Les innombrables mémos des producteurs et les incessantes demandes de modifications pour que le film puisse plaire au jeune public américain avaient eu raison de sa patience. Désireux de retrouver sa liberté et son indépendance, Park avait concédé à retrouver ses personnages les plus célèbres, à condition que ce soit dans le cadre d’un court-métrage, comme ce fut le cas pour leurs premières aventures. D’où la mise en chantier de Wallace et Gromit : un sacré pétrin en 2008. Dreamworks se retira de toutes façons de l’équation après les mauvais scores au box-office de l’unique long-métrage en images de synthèse de Aardman, Souris City. En 2018, Park développe l’idée d’une nouvelle histoire, qu’il conçoit à nouveau comme un film de trente minutes – manifestement son format préféré. Mais au fur et à mesure de l’écriture et de son développement par l’auteur Mark Burton, il devient clair que le récit ne tient pas sur une durée aussi courte. Wallace et Gromit : la palme de la vengeance devient donc un long-métrage, conçu comme une suite directe du cultissime Wallace et Gromit : un mauvais pantalon. Le film est finalement coproduit par Netflix, comme le fut Chicken Run : la menace nuggets.

Pour soulager Gromit dans ses tâches quotidiennes, en particulier le jardinage, Wallace met au point un nain de jardin robotisé capable de tout faire. Mais cette aide high-tech, bien que très efficace, irrite profondément Gromit : trop brusque, sans aucune finesse, la machine sabote son travail méticuleux. En revanche, les voisins sont conquis, et même la télévision locale s’emballe pour cette invention. Depuis la cellule du zoo où il croupit après ses méfaits passés, le pingouin machiavélique Feathers McGraw concocte alors un plan de vengeance. À distance, il parvient à reprogrammer le robot-jardinier, le transformant en redoutable créature maléfique… Tel est le point de départ prometteur de Wallace et Gromit : la palme de la vengeance, qui aura nécessité une fois de plus un impressionnant effort collectif. Au pic de la production, 35 animateurs travaillent simultanément sur autant de plateaux miniatures pour obtenir entre une et cinq secondes utiles par jour. Le fruit de cet énorme travail de patience ? Environ une minute d’animation par semaine. Au-delà de cette véritable épreuve de patience et d’endurance, Nick Park doit composer avec le deuil de Peter Sallis, interprète vocal original de Wallace, ici remplacé avec talent par Ben Whitehead.

Happy Feet

Ultra inventif, Wallace et Gromit : la palme de la vengeance se hisse au niveau des meilleures réussites d’Aardman dont il conserve les qualités premières, notamment un sens du tempo ébouriffant et une propension gourmande à saturer chaque plan de gags et d’idées visuelles inattendues. Malgré ses qualités, Souris City démontrait en creux que seule la stop-motion à l’ancienne pouvait pleinement rendre justice à l’univers de Nick Park et de sa troupe. C’est toujours aussi vrai, même si les effets numériques permettent de prolonger le délire sans jamais trahir la nature « tactile » de l’animation. D’autant que Gromit et Feathers débordent d’expressivité malgré leur mutisme et leur design facial minimaliste. Toujours férus de références cinéphiliques, les joyeux drilles d’Aardman clignent de l’œil vers Les Nerfs à vif, Les Évadés, James Bond, 20 000 lieues sous les mers et Terminator, tout en concoctant une poursuite finale complètement dingue, digne des excès de la saga Mission impossible. Derrière toute cette folie, il n’est pas difficile de déceler une dénonciation de notre aliénation aux machines et à l’intelligence artificielle, et donc un signal d’alarme lié aux dangers d’une perte d’autonomie et de créativité. Voir ce beau jardin fleuri et multicolore, aménagé avec soin par Gromit, se transformer en espace vert géométrique et uniformisé, lorsqu’il est confié aux bons soins du robot, en dit long à ce sujet. « C’est comme s’il savait avant nous de quoi nous avons besoin » s’exclame avec enthousiasme Wallace, aveugle aux risques que Gromit a détectés très tôt. Bref, c’est une nouvelle réussite totale à mettre au crédit des petits génies d’Aardman, dont le grain de folie est miraculeusement resté intact.

© Gilles Penso

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PREDATOR : KILLER OF KILLERS (2025)

Dans ce somptueux long-métrage animé, les Predators se mettent en quête d’adversaires à trois époques distinctes de l’histoire de l’humanité…

PREDATOR : KILLER OF KILLERS

 

2025 – USA

 

Réalisé par Dan Trachtenberg et Joshua Wassung

 

Avec les voix de Michael Biehn, Doug Cockle, Rick Gonzalez, Damien C. Hass, Lauren Holt, Lindsay LaVanchy, Jeff Leach, Cherami Leigh, Alessa Luz Martinez

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA PREDATOR

Motivé par l’accueil très chaleureux réservé à Prey, un apport original à la franchise Predator nous ramenant plusieurs siècles dans le passé, le réalisateur Dan Trachtenberg se voit offrir par 20th Century Studio une carte blanche afin de prolonger la saga à sa manière. Une suite nommée Predator : Badlands est donc initiée et tournée en Nouvelle-Zélande entre août et octobre 2024. Mais avant la sortie de cet opus futuriste, Trachtenberg écrit et met en scène – avec le support du coréalisateur Joshua Wassung, pilier de la compagnie The Third Floor – une variante animée qu’il baptise Predator : Killer of Killers. S’ils citent Akira de Katsuhiro Otomo parmi leurs influences, Trachtenberg et Wassung puisent surtout leur inspiration esthétique dans la série Arcane, au point qu’ils débauchent plusieurs artistes du célèbre show produit par Riot Games et Fortiche Production pour venir rejoindre leurs rangs. Conformément au concept développé dans Prey, ce long-métrage d’animation part du principe que les redoutables chasseurs extra-terrestres n’ont pas attendu le vingtième siècle pour visiter notre planète et se mettre en quête d’adversaires à leur hauteur. D’où une structure narrative séparée en plusieurs chapitres correspondant à trois périodes distinctes de l’histoire de l’humanité.

Le chapitre « Le Bouclier », situé en 841, suit le destin d’Ursa, surnommée la « Valkyrie des mers du Sud ». Redoutable guerrière viking, elle poursuit une quête de vengeance contre Zoltan, un barbare qui l’a jadis contrainte, enfant, à tuer son propre père. Mais au cœur du champ de bataille, un monstre surgit – que les combattants prennent pour Grendel, le démon du Beowulf. Ce qu’ils affrontent est en réalité un Predator colossal. Dans « Le Sabre », l’action se déplace au Japon de 1609. Deux jeunes frères sont forcés par leur père de s’affronter pour décider lequel deviendra samouraï. Vingt ans plus tard, l’un a hérité de l’armure familiale, l’autre laboure les champs. Leur rivalité, longtemps enfouie, ressurgit violemment… jusqu’à ce qu’un Predator vienne redistribuer les cartes. Puis « La Balle » nous transporte en Floride, en 1941. Le jeune Torres, tout juste appelé au front, embarque sur un porte-avions avec l’espoir de devenir pilote. Tandis que les combats aériens s’intensifient au-dessus du Pacifique, un vaisseau inconnu surgit et attaque les chasseurs en vol. Poussé par le feu de l’action, Torres s’empare d’un avion et se lance à son tour dans la mêlée…

Le bouclier, le sabre et la balle

Honnêtement, on ne savait pas trop quoi attendre de cette itération de la franchise initiée par John McTiernan et 1987, souvent mise à mal par de nombreuses variantes dispensables. Mais Predator : Killer of Killers séduit immédiatement par ses partis pris visuels et narratifs. À contre-courant de ce qui se pratique habituellement en 3D, l’animation rejette volontairement la fluidité et les flous de mouvement au profit de positions clés très brutes, en accord avec la rugosité des univers décrits et la simplicité des enjeux dramatiques. Ces choix graphiques – que Trachtenberg et Wassung définissent comme des « concept arts animés » – donnent souvent le sentiment de voir des peintures prendre vie. L’approche n’est pas fondamentalement nouvelle, puisqu’elle s’inscrit dans une tendance de contre-courant initiée notamment par Spider-Man New Generation, consistant à entrer en rupture avec l’homogénéisation formatée des films en images de synthèse. Il n’empêche que le rendu visuel du film est somptueux, évoquant tour à tour les tableaux de Theodor Kittelsen, les estampes japonaises ou les peintures de Norman Rockwell. Dans ce cadre s’inscrivent de prodigieux morceaux de bravoure, comme le chassé-croisé sur le lac glacé où gisent des épaves de drakkars, la poursuite sur les toits japonais ou le dogfight au-dessus de la mer. Mais la beauté des images n’adoucit en rien la brutalité de l’action : les combats sont sanglants, les mises à mort sèches. On décapite, on empale, on mutile, bref la violence est frontale et assumée. Aucun doute, le film s’adresse à un public adulte. Cerise sur le gâteau, l’imagerie liée aux Predators, à leur planète, à leur technologie et à leur bestiaire s’enrichit généreusement, tandis que l’épilogue se construit autour du motif de la barrière de la langue, un thème cher à John McTiernan. La boucle est donc bouclée.

 

© Gilles Penso

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WALLACE ET GROMIT : LE MYSTÈRE DU LAPIN-GAROU (2005)

Le génial duo créé par les joyeux drilles d’Aardman affronte un lapin géant mutant au beau milieu du concours de la plus belle carotte…

WALLACE AND GROMIT : THE CURSE OF THE WERE-RABBIT

 

2005 – GB

 

Réalisé par Steve Box et Nick Park

 

Avec les voix de Peter Sallis, Ralph Fiennes, Helena Bonham Carter, Peter Kay, Nicholas Smith, Liz Smith, John Thomson, Mark Gatiss, Vincent Ebrahim

 

THEMA MAMMIFÈRES

Avec Le Mystère du lapin-garou, Wallace et Gromit quittent enfin le format court pour s’aventurer dans un long-métrage digne de la folie douce que nous leur connaissons. Après les cultissimes Une grande excursion, Un mauvais pantalon et Rasé de près, le duo le plus british de l’histoire de l’animation en pâte à modeler s’offre donc une grande aventure à la fois absurde, attachante et délicieusement rétro. Il ne s’agit certes pas du premier long du studio Aardman – Chicken Run avait ouvert la voie cinq ans plus tôt -, mais après ce galop d’essai indiscutablement réussi, Wallace, l’inventeur lunaire accro au fromage, et Gromit, son chien flegmatique et muet, partent enfin à la conquête des salles de cinéma (même si leurs aventures courtes avaient eu l’occasion d’être présentées sur grand écran à la faveur de compilations de plusieurs pépites d’Aardman). Nichés dans leur village anglais gentiment caricatural, les deux compères gèrent Anti-Pesto, une entreprise de dératisation éthique spécialisée dans la capture des lapins qui menacent les potagers du coin. Mais à l’approche du grand concours annuel de légumes, une créature étrange – gigantesque, poilue, et mystérieusement attirée par les carottes – commence à ravager les récoltes. Le « lapin-garou » est lâché dans la nature, et seuls Wallace et Gromit semblent en mesure de l’arrêter…

Nick Park et Steve Box orchestrent ce récit déjanté comme une comédie d’aventure teintée de film d’horreur à l’ancienne. On y retrouve donc des échos de Frankenstein, Le Loup-garou ou King Kong, auxquels le film rend des hommages assumés. Chaque décor regorge de détails savoureux – affiches absurdes, mécanismes improbables, objets détournés – et la mise en scène déborde d’élégance et de rythme. Merveilleux jeu d’équilibre entre l’artisanat – induit par la technique de l’animation image par image – et les codes du blockbuster d’animation, Le Mystère du lapin-garou ne perd jamais de vue son atout majeur : ses personnages. Gromit, sans prononcer un mot, exprime plus par un regard ou un soupir qu’une ribambelle de dialogues. Wallace, quant à lui, continue d’explorer la science avec le même mélange d’enthousiasme et d’inconscience. Et c’est justement une de ses inventions, le Mind-O-Matic, qui va déclencher le chaos.

Gare au garou !

La finesse du casting vocal est la cerise sur le gâteau, ou plutôt sur la carotte. Peter Sallis reprend son rôle de Wallace avec la bonhommie qu’on lui connaît, tandis que Ralph Fiennes et Helena Bonham Carter donnent vie à deux nouveaux personnages hauts en couleurs : le vaniteux Lord Quartermaine, caricature du mâle alpha obsédé par la chasse, et Lady Tottington, passionnée de nature et sensible au charme de Wallace. Ce triangle improbable offre au film un soupçon de romance naïve, tout en consolidant sa critique joyeuse des archétypes britanniques. Modèle de narration et d’humour visuel, ce premier Wallace et Gromit version longue alterne avec brio gags burlesques et références cinéphiles, avec un sens du tempo impeccable. Récompensé par l’Oscar du meilleur film d’animation en 2006, le film est aussi un exploit technique : cinq années de production, plus de cent animateurs, des décors miniatures hallucinants. Un travail de patience et de minutie pour obtenir en moyenne trois secondes utiles par jour. Aujourd’hui encore, l’émerveillement reste intact. En rupture technologique assumée avec les productions Pixar ou DreamWorks qui crevaient les écrans à la même époque, Wallace et Gromit : le Mystère du lapin-garou n’a pas pris une ride. Un second long-métrage lui succèdera deux décennies plus tard : Wallace et Gromit : la palme de la vengeance.

 

© Gilles Penso

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PRINCE D’ÉGYPTE (LE) (1998)

Le studio Dreamworks réinvente Les Dix Commandements et produit à cette occasion l’un de ses plus beaux longs-métrages d’animation…

THE PRINCE OF EGYPT

 

1998 – USA

 

Réalisé par Brenda Chapman, Steve Hickner, Simon Wells

 

Avec les voix de Val Kilmer, Ralph Fiennes, Michelle Pfeiffer, Sandra Bullock, Jeff Goldblum, Danny Glover, Patrick Stewart, Helen Mirren, Steve Martin, Martin Short

 

THEMA DIEU, LA BIBLE, LES ANGES

Le Prince d’Égypte n’est pas un dessin animé comme les autres. Il s’inscrit clairement dans la volonté du studio Dreamworks d’aborder avec les films d’animation des sujets plus complexes et plus adultes qu’à l’accoutumée. Cette tendance, amorcée avec Fourmiz, atteint ici son apogée. Les épisodes les plus crus de l’histoire de Moïse – la dureté de l’esclavage, l’horreur des dix plaies d’Égypte – y sont abordés sans détour, et les rapports humains priment sur la reconstitution à grand spectacle. Ce traitement permet également à Dreamworks de s’éloigner du style entériné par les productions animées Disney depuis Blanche Neige et les sept nains. « Nous ne cherchons pas à faire de la concurrence à Disney », nous confiait à ce propos Jeffrey Katzenberg, co-fondateur de Dreamworks et responsable du département animation. « J’aime le style Disney. Il me plaisait lorsque j’y travaillais et il me plaît toujours. Je trouve notamment Mulan très réussi. Mais si l’on fait un petit calcul, on se rend compte que chaque année, on produit plus de longs métrages traditionnels qu’il n’y a eu de films d’animation depuis l’invention du cinéma ! Et 95 % de ces longs métrages animés adoptent le style Disney. Je suis persuadé qu’on peut traiter d’autres histoires, et sur d’autres tons, sans se priver pour autant de moyens conséquents et de visions spectaculaires. » (1) C’est de toute évidence la voie qu’ont choisie les coréalisateurs Brenda Chapman, Steve Hickner et Simon Wells.

Jusqu’alors, la référence ultime en termes de retranscriptions sur grand écran des aventures de Moïse et de ses prises de bec homériques avec son demi-frère Ramsès était Les Dix Commandements de Cecil B. De Mille. Le Prince d’Égypte lui emboîte le pas sans rougir, assumant totalement l’influence incontournable ce prestigieux prédécesseur pour mieux s’en défaire et offrir une vision neuve. Guidés à la fois par l’esthétique des gravures de Gustave Doré, des peintures de Claude Monet, des films de David Lean et Steven Spielberg, les trois cinéastes osent des images surréalistes inédites, comme les bancs de poissons et les baleines qui nagent à travers les murs d’eau de la mer Rouge fendue en deux ou une poursuite de chars ébouriffante à faire pâlir Ben-Hur. Techniquement, Le Prince d’Égypte fait d’ailleurs figure d’exception puisqu’à l’époque, aucun long métrage animé n’avait autant mis à contribution les effets spéciaux numériques et les images de synthèse, sans pour autant retirer au film son look de dessin animé en 2D. Nous ne sommes pas dans Fourmiz ou dans Shrek.

« Deliver us ! »

Mais si Le Prince d’Égypte a tant marqué les mémoires, c’est moins pour la qualité de ses séquences spectaculaires que pour sa capacité à saisir la fibre émotionnelle des spectateurs. Pour y parvenir, le film s’appuie sur un scénario en béton, un casting vocal de très haut niveau et une superbe bande originale co-écrite par Hans Zimmer (pour la musique) et Stephen Schwartz (pour les chansons). Le pari n’était pourtant pas gagné. « Les gens étaient un peu effrayés par le concept au départ », confirme la productrice Penney Finkelman Cox. « Le mariage entre la Bible, la musique et le cartoon ne les rassurait guère. » (2) Investir 80 millions de dollars dans un tel projet a dû provoquer quelques frissons en haut lieu. Mais le résultat en valait largement la peine. Les chansons se greffent d’ailleurs de manière organique à la narration, à tel point qu’elles interviennent souvent en amont du scénario et des storyboards afin que la dramaturgie puisse les intégrer directement. « Nous avons tenu à ne jamais interrompre le récit pour laisser place aux chansons, contrairement aux comédies musicales classiques », explique Schwartz. « Les chansons font partie intégrante de la narration. C’est notamment ce qui permet de faire tenir une aussi longue histoire sur seulement 90 minutes. Une chanson permet de grandes ellipses. » (3). Réentendre aujourd’hui les voix des chanteurs et des comédiens s’entremêler tout au long de ce drame biblique aux répercussions universelles procure toujours autant de frissons. Avant d’être un grand film d’animation, Le Prince d’Égypte est un grand film, tout simplement. Et qui n’a pas pris une ride.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 1998

 

© Gilles Penso

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ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (1951)

En cherchant à adapter la prose insolite de Lewis Carroll, Walt Disney se lance dans un film animé bizarre qui déroutera les spectateurs à sa sortie…

ALICE IN WONDERLAND

 

1951 – USA

 

Réalisé par Clyde Gernonimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske

 

Avec les voix de Kathryn Beaumont, Ed Wynn, Richard Haydn, Sterling Holloway, Jerry Colonna, Verna Felton, J. Pat O’Malley, Bill Thompson, Heather Angel

 

THEMA CONTES

L’ombre d’Alice plane sur Disney depuis ses balbutiements. Bien avant que Blanche-Neige ne croque sa pomme ou que Cendrillon ne perde sa pantoufle, Walt Disney avait déjà tenté d’apprivoiser la petite fille en robe bleue dans une série de courts-métrages muets, les Alice Comedies. Mais adapter Alice au pays des merveilles en long-métrage animé s’avérera une autre paire de gants. Car là où les contes classiques obéissent à une morale et une progression linéaire, le chef-d’œuvre de Lewis Carroll explose les cadres, se moque des conventions narratives et plonge tête la première dans un absurde jubilatoire. Ce sera le pari très risqué du studio en 1951, celui de tenter effrontément de discipliner le chaos. Le résultat est un ovni visuel, un prototype psychédélique avant l’heure, désavoué à sa sortie, boudé par le public, et même renié par Walt Disney lui-même. Pourtant, ce film étrange, composite et déroutant s’imposera dès la décennie suivante comme un classique culte, adulé par une nouvelle génération de spectateurs bien décidés à suivre Alice dans son trip coloré.

Il faut dire que le développement du film tient du parcours d’obstacles. Les scénaristes, dépassés par la structure éclatée du roman, jettent l’éponge les uns après les autres. Trop de personnages, trop de dialogues absurdes, trop d’irrévérence. Même les premières tentatives de story-board, confiées à David Hall, flirtent dangereusement avec l’horreur : un chat du Cheshire cauchemardesque, un Chapelier Fou armé de ciseaux… On comprend vite que l’adaptation fidèle est impossible. Il faut inventer une autre Alice. Ce sera celle de Mary Blair, artiste moderniste, dont les aplats de couleurs et les décors stylisés imposent une rupture esthétique radicale. Exit les gravures victoriennes de John Tenniel, place à une Alice pop avant l’heure, évoluant dans un monde aux contours mouvants, saturé de couleurs irréelles et de formes grotesques. Rarement Disney aura autant flirté avec l’avant-garde. Avec ses cinq réalisateurs (dont trois seulement seront crédités au générique), sa structure éclatée et son absence manifeste de logique narrative, Alice au pays des merveilles se vit quasiment comme un rêve éveillé…

Psychédélique avant l’heure

Ce foisonnement visuel masque mal une impasse dramatique. Car sans réel fil conducteur, Alice traverse les séquences comme un fantôme curieux, passive face aux événements absurdes qui s’enchaînent. Mais c’est précisément dans cette errance que le film trouve sa force. Alice au pays des merveilles ne cherche pas à plaire, il dérange, amuse, déconcerte. Il est l’antithèse du « happy ending » balisé, une fête foraine mentale où les règles sont pulvérisées à chaque tournant. Voilà qui explique pourquoi le public de 1951 ne s’y retrouve pas. Pas de chansons mémorables comme chez Cendrillon, pas d’émotion à fleur de peau comme dans Dumbo, juste un étrange ballet d’absurdités. Mais le temps donnera raison à cette curiosité maladroite. Car Alice, l’enfant rebelle qui refuse de grandir, devient l’icône parfaite d’un cinéma qui cherche à sortir du cadre, d’une animation qui ose perdre le contrôle. Aujourd’hui, Alice au pays des merveilles est reconnu pour ce qu’il est : un chef-d’œuvre marginal, un objets curieux qui a su faire rimer expérimental avec enchantement. C’est aussi une nouvelle preuve des audaces artistiques parfois inconscientes dont fit souvent preuve Walt Disney, trop souvent considéré comme un businessman avisé féru de formules prudentes et codifiées. Qui d’autre que lui aurait osé des folies telles que Fantasia ou cette Alice irrévérencieuse ?

 

© Gilles Penso

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CHICKEN RUN (2000)

Pour son premier long-métrage, le studio Aardman raconte la tentative d’évasion rocambolesque des pensionnaires d’un poulailler…

CHICKEN RUN

 

2000 – USA

 

Réalisé par Nick Park et Peter Lord

 

Avec les voix de Julia Sawalha, Mel Gibson, Phil Daniels, Lynn Ferguson, Rony Haygarth, Jane Horrocks, Miranda Richardson, Timothy Spall, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Avec Chicken Run, le studio Aardman frappe un grand coup. Connus jusque-là pour leurs courts-métrages (notamment trois aventures désopilantes de Wallace & Gromit), Nick Park et Peter Lord osent en 2000 le pari du long-métrage en stop-motion, avec l’appui du studio DreamWorks. Le concept naît d’une boutade : « La Grande évasion avec des poules ! » L’intrigue se déroule dans une ferme anglaise qui ressemble davantage à un camp de prisonniers qu’à un paisible poulailler. Ginger, poule aussi courageuse que lucide, rêve de s’enfuir. Mais ses multiples tentatives échouent, jusqu’au jour où débarque Rocky, un coq américain littéralement venu du ciel, puisqu’il a été catapulté par un cirque ambulant. Macho en diable, l’oiseau prétend savoir voler, et Ginger y voit aussitôt le moyen de libérer toutes ses congénères. Le problème, c’est que Rocky roule des mécaniques et fait le fier, mais il n’a jamais volé de sa vie ! En surface légère et burlesque, cette histoire se double d’un sous-texte lié à la liberté, la résistance et l’émancipation. Car la glaciale fermière Tweedy voit ses poules non comme des êtres vivants, mais comme une ressource à rentabiliser. Lassée des œufs, elle investit dans une machine à tourtes et transforme ainsi le poulailler en abattoir programmé. C’est là que l’intrigue bascule…

En décidant de mettre en scène des personnages inédits plutôt que les très populaires Wallace et Gromit, Nick Park et Peter Lord prennent un risque calculé, persuadés que les volailles ont un potentiel comique énorme, tout en s’avérant capables de susciter l’empathie des spectateurs. On s’amusera d’ailleurs à noter les points communs physiologiques que ces gallinacées ont avec Wallace (y compris les dents !). Chicken Run aura nécessité trois ans et demi de travail, intégrant même une période de recherches sur le terrain, notamment la visite d’un élevage de poules dans le Yorkshire. Quand on sait à quel point le procédé de la stop-motion est long et minutieux, même si l’on multiplie les plateaux de tournage pour optimiser les plannings, on ne s’étonne pas outre-mesure de ce temps de gestation. « Nous avons passé les deux premières années et demie à concevoir les personnages et à faire le storyboard », raconte Peter Lord. « Le tournage, lui, a duré 18 mois. Au départ, nous n’étions que deux à écrire dans une pièce tranquille, et à la fin, nous travaillions avec un groupe d’environ 250 personnes. C’était donc un véritable travail d’équipe à grande échelle. » (1) Un travail payant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Poule position

Le casting vocal joue beaucoup dans le lien qui se tisse entre le public et les personnages. À ce titre, choisir Mel Gibson pour incarner Rocky est une sacrée trouvaille. « Peter et moi l’avons rencontré pour la première fois lors d’une cérémonie des Oscars, et il nous a invités à déjeuner dans son restaurant favori », raconte Nick Park. « Nous avons alors découvert qu’il était fan de Wallace et Gromit. Plus tard, lorsque nous avons regardé Maverick, son personnage n’était pas très éloigné de Rocky. Nous avons testé ses répliques en volant celles de Maverick et en les animant avec sa voix. Nous avons alors compris qu’il serait parfait. » (2) Julie Sawalha ne démérite pas dans le rôle de Ginger. Judicieusement, la version française choisit Gérard Depardieu et Valérie Lemercier pour les remplacer. Si le film a su marquer les esprits, c’est surtout parce qu’il ne prend jamais son public de haut. Il amuse les enfants et délecte les adultes sans jamais sacrifier ni l’un ni l’autre. Le cinéphile, lui, se régalera de l’infinité de références dont se gorge le film – principalement puisées dans le cinéma de guerre et d’aventure de l’âge d’or hollywoodien. Avec Chicken Run, Aardman pose la première pierre d’une filmographie unique en son genre. Drôle, inventif, palpitant, ce film d’évasion en argile n’a rien perdu de sa saveur, la stop-motion ayant l’inestimable avantage de moins vieillir que les images de synthèse, puisqu’il s’agit d’une technique artisanale résolument atemporelle et universelle.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview réalisée pour la BBC en 2000.

 

© Gilles Penso

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