FANTASIA (1940)

Walt Disney et Leopold Stokowski se lancent dans un « film concert » expérimental mêlant tous les styles et tous les genres avec panache…

FANTASIA

 

1940 – USA

 

Réalisé par James Algar, Samuel Armstrong, Ford Beebe Jr., Norman Ferguson, David Hand, Jim Handley, T. Hee, Wilfred Jackson, Hamilton Luske, Bill Roberts, Paul Satterfield et Ben Sharpsteen

 

Avec Leopold Stokowski, Deems Taylor et The Philadelphia Orchestra

 

THEMA MYTHOLOGIE I DINOSAURES I DIABLE ET DÉMONS I SORCELLERIE ET MAGIE

Après le raz-de-marée Blanche-Neige et en pleine production de Pinocchio, Walt Disney rêve d’une nouvelle révolution. Il veut redonner ses lettres de noblesse à Mickey, sa souris fétiche un peu éclipsée, en la propulsant dans une œuvre audacieuse : une animation rythmée par une pièce de musique classique, L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. Mais la rencontre avec le chef d’orchestre vedette Leopold Stokowski va faire basculer le projet dans une autre dimension. Tous deux partagent une vision peu orthodoxe : populariser la musique classique à travers l’animation, en bousculant les codes et les esprits. L’idée se mue bientôt en long-métrage conceptuel. Le duo imagine un « film-concert » déployé auprès du public comme un spectacle vivant, enrichi au fil des années de nouveaux segments. Walt pense même diffuser des odeurs dans les salles, et met en chantier un format d’écran élargi préfigurant le CinemaScope. Les ambitions sont finalement revues à la baisse et le film finit par s’envisager sur un format plus traditionnel, ce qui n’empêche pas le budget d’exploser. Le segment L’Apprenti sorcier coûte à lui seul quatre fois plus qu’un court métrage classique de Mickey. Sept œuvres classiques sont sélectionnées, réarrangées par Stokowski, et confiées à des équipes d’animateurs à qui Disney accorde une liberté de création quasi totale. Le titre, lui, sera tout simplement celui soufflé par Stokowski dès le départ : Fantasia.

Fantasia ne suit pas une intrigue linéaire classique. C’est une anthologie, un enchaînement de tableaux, chacun mis en images à partir d’un chef-d’œuvre musical. Le film s’ouvre sur une présentation orchestrée par Deems Taylor, critique musical qui guide le spectateur à travers les segments. La Toccata et fugue en ré mineur de Bach donne le ton : un feu d’artifice d’abstractions visuelles, de formes fluides, de lumières mouvantes. Puis vient Casse-Noisette de Tchaïkovski, réinterprété en ballet naturel peuplé de fées, de champignons dansants et de fleurs aquatiques. Le segment suivant, L’Apprenti sorcier, reste le plus célèbre : Mickey, apprenti magicien, invoque une magie qu’il ne maîtrise pas… et provoque une inondation incontrôlable. Le Sacre du Printemps de Stravinsky propulse le spectateur à l’époque des dinosaures : naissance de la Terre, éruptions volcaniques, luttes de survie… avant l’extinction. La Symphonie pastorale de Beethoven nous offre une réinterprétation lyrique de plusieurs figures de la mythologie grecque. Puis l’ambiance change radicalement avec un interlude comique autour de La Danse des heures de Ponchielli, où des autruches, hippopotames et crocodiles se lancent dans un ballet improbable. Enfin, l’apothéose arrive avec un diptyque monumental : Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, plongée dans un sabbat démoniaque mené par une créature titanesque aux ailes noires, immédiatement suivi par Ave Maria, qui apaise les ténèbres dans une procession mystique à la bougie.

Dantesque, baroque et surréaliste

Fantasia est donc un ovni. C’est aussi un film visionnaire, radical, qui balaye les conventions narratives pour proposer une symbiose totale entre image et son. Techniquement et visuellement, c’est un joyau. Certaines séquences dantesques sont des morceaux de cinéma inoubliables, comme Le Sacre du Printemps, digne des prouesses antédiluviennes du Monde perdu et de King Kong, ou La Nuit sur le mont Chauve, à l’image des folies surréalistes et baroques de Faust ou de L’Enfer. Le ballet des Heures joyeuses, quant à lui, est un éclat de rire aussi inattendu qu’époustouflant. Ce n’est pas tous les jours que des hippopotames en tutu se lovent contre des crocodiles en se prenant pour des danseuses étoiles ! Quant à Mickey, il s’essaie à la magie auprès d’un émule très sérieux de Merlin l’enchanteur avec les conséquences catastrophiques que l’on sait. Abstraction, épouvante, fantasy, slapstick… tout semble permis. Ce n’est donc pas un hasard si le film aura mis des décennies à être pleinement reconnu. Trop étrange, trop audacieux, Fantasia navigue entre les mondes. À sa sortie en 1940, le film ne trouve pas immédiatement son public. La guerre freine sa diffusion et la critique s’écharpe sur le mélange des genres. Les puristes hurlent au sacrilège, les parents s’inquiètent des scènes trop sombres. Disney, lui, vient de repousser les frontières du cinéma d’animation. Et même s’il n’en récolte pas les fruits tout de suite, l’histoire, elle, repositionnera plus tard Fantasia sur le piédestal qu’il mérite.

 

© Gilles Penso

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DUMBO (1941)

L’histoire simple et poétique d’un éléphanteau volant aux oreilles surdimensionnées, gorgée de séquences drôles, tristes et psychédéliques…

DUMBO

 

1941 – USA

 

Réalisé par Ben Sharpsteen

 

Avec les voix de Stan Freberg, Edward Brophy, Verna Felton, Herman Bing, Billy Bletcher, Cliff Edwards, Sterling Holloway, Jack Mercer, Sarah Selby

 

THEMA CONTES I MAMMIFÈRES

Après les ambitions démesurées – et les échecs financiers – de Fantasia et Pinocchio, les studios Disney sont en fâcheuse posture. L’Europe et l’Asie sont en guerre, les recettes chutent, et Walt Disney doit revoir ses priorités. Il faut produire vite, bien, et surtout : pas cher. C’est dans ce contexte tendu qu’émerge Dumbo, petit éléphanteau improbable destiné à sauver un empire vacillant. Disney flaire le potentiel immédiat de cette fable simple et émouvante, loin des récits à tiroirs des longs-métrages précédents. Contrairement aux habitudes, il confie l’élaboration du scénario à un duo restreint : Dick Huemer et Joe Grant. Pas de brainstorming général cette fois, juste deux scénaristes qui déposent chaque matin un nouveau bout d’histoire sur le bureau de Walt. L’éléphanteau à grandes oreilles séduit, et le projet prend de l’ampleur. D’abord envisagé comme un court-métrage, Dumbo devient rapidement un film à part entière. Mais la consigne reste ferme : pas de folie budgétaire. Les décors seront simples, les personnages stylisés, et l’animation économique. La peinture à l’eau remplace les encres plus coûteuses, ce qui donnera au film cette texture visuelle si particulière – et une fragilité qui explique aujourd’hui la rareté de ses cellulos originaux. Ce « retour à l’essentiel » libère paradoxalement les artistes. Bill Tytla, animateur vedette responsable du démon de Fantasia ou du Stromboli de Pinocchio, livre ici l’un de ses travaux les plus intimes et les plus bouleversants.

L’histoire de Dumbo tient en quelques lignes, et c’est là toute sa force. Dans un cirque ambulant qui sillonne les États-Unis à bord d’un train au caractère bien trempé (Casey Junior, le « train-chanteur »), une cigogne facétieuse livre un bébé éléphant à Mme Jumbo. Mais surprise : le petit pachyderme a des oreilles gigantesques. Très vite moqué et rejeté par les autres animaux du cirque, surnommé « Dumbo » par les commères du chapiteau, l’éléphanteau devient la cible des railleries. Sa mère, outrée par tant de cruauté, pique une crise de colère violente et se retrouve enfermée, considérée comme dangereuse. Dumbo, lui, est bientôt relégué au rang d’attraction clownesque : il doit jouer les pitres en tombant d’un immeuble en flammes, sous les rires du public. Mais il trouve un ami inattendu : Timothée, une souris au grand cœur, persuadée que Dumbo a un potentiel caché. Ensemble, ils affrontent les épreuves du cirque et croisent une bande de corbeaux excentriques qui finiront par lui révéler son vrai pouvoir : Dumbo peut voler grâce à ses oreilles surdimensionnées…

Éléfantasy

Dumbo ne paie pas de mine. Moins prestigieux que Pinocchio, moins révolutionnaire que Fantasia, il aurait pu n’être qu’une parenthèse. Mais c’est précisément dans cette économie que le film trouve sa liberté. Son style graphique, simple et stylisé, va droit au but. L’émotion y est brute, presque sèche. Il suffit de voir les larmes silencieuses de Dumbo, isolé dans l’ombre d’une cellule, pour comprendre pourquoi Bill Tytla est considéré comme un maître de l’animation. Certaines séquences sont à jamais gravées dans les mémoires. Celle de « Baby Mine », où Dumbo retrouve brièvement sa mère à travers les barreaux, est un concentré de tendresse déchirante. À l’opposé, le délire visuel des « Éléphants roses » immerge le spectateur dans un cauchemar surréaliste, un trip psychédélique avant l’heure. Tout ça dans un film de 64 minutes à peine. Dumbo reste une parabole universelle sur la différence, le rejet, l’acceptation de soi. Fabriqué en seulement un an et demi pour moins d’un million de dollars, Dumbo rapporte plus que ses deux prédécesseurs réunis. Le public l’adopte, la critique s’emballe. Et Walt, soulagé, retrouve le sourire. Il répétera souvent par la suite que de tous les films produits par son studio, c’est celui qu’il préfère.

 

© Gilles Penso

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PINOCCHIO (1940)

Le pantin de bois imaginé par Carlo Collodi prend vie dans un des longs-métrages animés les plus emblématiques de l’âge d’or du studio Disney…

PINOCCHIO

 

1940 – USA

 

Réalisé par Ben Sharpsteen et Hamilton Luske

 

Avec les voix de Dickie Jones, Christian Rub, Cliff Edwards, Charles Judels, Mel Blanc, Don Brodie, Walter Catlett, Frankie Darro, Virginia Davis

 

THEMA CONTES I JOUETS

Après le triomphe de Blanche-Neige et les sept nains en 1937, Walt Disney cherche à confirmer la viabilité du long métrage d’animation. Son choix se porte sur Pinocchio, adaptation du conte de Carlo Collodi. Ce récit d’un pantin insolent rêvant de devenir un vrai petit garçon semble idéal pour prolonger la magie. Mais le ton du livre d’origine, rude, moralisateur, souvent cruel, déconcerte les scénaristes. Le personnage de Pinocchio, tel qu’imaginé par Collodi, est égoïste, ingrat, parfois franchement odieux. Impossible, pour Disney, d’en faire un héros attachant. Plusieurs mois de développement sont jetés à la corbeille, les premières planches sont abandonnées et le projet mis en pause. Parallèlement, Walt fait travailler ses équipes sur Bambi, qui tarde à démarrer. Pour ne pas laisser les animateurs inactifs, il relance Pinocchio, avec pour objectif de transformer radicalement le matériau original. Une des premières décisions cruciales est d’inventer le personnage de Jiminy Cricket, absent du texte de Collodi. Dans le conte, la conscience de Pinocchio est une sorte d’insecte anonyme. Disney décide d’en faire un compagnon bavard, bienveillant, drôle et musical, à la voix suave de crooner, confiée à Cliff Edwards. Pinocchio, lui, subit un relooking intégral. Au départ, les animateurs s’en tiennent à l’aspect rigide et presque inquiétant du pantin en bois. Mais Walt demande qu’on le redessine avec des traits enfantins, une bouille ronde et des expressions proches de celles d’un vrai petit garçon. C’est l’animateur Milt Kahl qui met au point la version définitive du héros, mi-enfant, mi-marionnette, avec ses bretelles, sa salopette et son éternel chapeau à plume.

Le studio mobilise ses meilleurs talents pour enrichir l’univers du film. Frank Thomas anime Geppetto, le vieux menuisier attendrissant ; Eric Larson donne vie à Figaro, le chat ronchon ; et Wolfgang Reitherman prend en charge Monstro, la terrifiante baleine. La musique est confiée au trio Leigh Harline, Paul J. Smith et Ned Washington, tandis que le scénario est retravaillé collectivement. Mais cette ambition a un prix : le budget explose, les délais s’allongent. Pour maintenir la motivation des troupes, Disney fait circuler les premières scènes terminées en interne, suscite l’émulation, relance les idées abandonnées. Il exige que chaque séquence soit porteuse de sens, d’humour ou d’émotion. L’équipe imagine alors des séquences marquantes comme la transformation en âne sur l’île Enchantée, ou la plongée dans l’estomac de la baleine — autant d’images encore en gestation, mais déjà prometteuses sur le papier. Au fil des mois, le pantin de bois prend vie…

La métamorphose des ânes-garous !

Pinocchio est souvent considéré comme le film le plus sombre de l’ère classique de Disney. Ses thèmes – manipulation, perte d’innocence, transformation – y résonnent avec une intensité peu commune. La séquence de l’Île aux Plaisirs, où les enfants se transforment en ânes, demeure l’une des plus troublantes : une métaphore glaçante de l’aliénation et de la perte de soi, qui annonce les métamorphoses douloureuses de films comme Hurlements ou Le Loup-garou de Londres. Visuellement, le film est une prouesse. Le soin extrême accordé à chaque plan pousse les artistes à expérimenter de nouveaux effets : bulles d’air dessinées à la main, reflets complexes, transparences délicates, jeux de lumière sophistiqués… Pinocchio est un véritable laboratoire technique, exigeant des innovations inédites pour l’époque. Sa bande originale, elle, atteint une dimension mythique. La chanson « When You Wish Upon a Star » deviendra – et reste encore aujourd’hui – la signature musicale de Disney. Sorti en février 1940, Pinocchio ne rencontre pourtant pas le succès commercial attendu, freiné par la Seconde Guerre mondiale qui en limite la diffusion en Europe. Le film remporte toutefois deux Oscars – Meilleure chanson originale et Meilleure musique de film – et finira par s’imposer comme l’un des chefs-d’œuvre les plus admirés de l’âge d’or du studio.

 

© Gilles Penso

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BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS (1937)

Le premier long-métrage animé de l’histoire du cinéma était un pari fou et risqué, lancé par un Walt Disney en pleine ébullition créative…

SNOW WHITE AND THE SEVEN DWARFS

 

1937 – USA

 

Réalisé par David Hand, William Cottrell, Ben Sharpsteen, Wilfred Jackson, Larry Morey et Perce Pearce

 

Avec les voix de Adrianna Caselotti, Lucille La Verne, Roy Atwell, Eddie Collins, Pinto Colvig, Billy Gilbert, Otis Harlan, James MacDonald, George Magrill

 

THEMA CONTES

En 1934, Walt Disney, déjà roi incontesté du court-métrage d’animation grâce à Mickey Mouse et aux Silly Symphonies, se lance dans un pari jugé insensé : produire le tout premier long-métrage d’animation sonore et en couleur. Même son frère Roy et sa femme tentent de l’en dissuader. Après tout, qui voudrait rester assis plus d’une heure devant des dessins animés ? Mais Walt n’en démord pas. Convaincu par une expérience vécue en France — où il découvrit une foule s’agglutiner pour voir un programme composé uniquement de ses courts-métrages —, il sent que le public est prêt. Et il a déjà trouvé son sujet : Blanche-Neige, d’après le conte popularisé par les frères Grimm, et surtout inspiré du film muet de 1916 qui l’avait profondément marqué à l’adolescence. Dès le départ, le projet est titanesque. Avec un budget initial de 250 000 dollars — soit dix fois plus qu’un Silly Symphony —, Blanche-Neige va finalement coûter plus de 1,5 million. Il faut tout inventer : développer des personnages sur la durée, intégrer la musique au récit de manière organique, créer une animation fluide capable de transmettre des émotions et une tension dramatique. Les sept nains, anonymes dans les versions antérieures, sont baptisés et dotés de personnalités distinctes pour renforcer leur popularité. « La folie Disney » – selon l’expression alors en vigueur à Hollywood – est en marche…

Dans un royaume lointain, la jeune Blanche-Neige vit sous le joug de sa belle-mère, la Reine, une femme aussi cruelle que vaniteuse, obsédée par l’idée d’être la plus belle du royaume. Chaque jour, telle une émule du Narcisse de la mythologie, elle interroge son miroir magique, mais un matin fatidique, l’objet révèle que Blanche-Neige a désormais surpassé sa beauté. Ivre de jalousie, la Reine ordonne à son fidèle chasseur de conduire la princesse dans la forêt pour la tuer. Pris de remords face à l’innocence de la jeune fille, le chasseur épargne Blanche-Neige et l’exhorte à fuir. Perdue et terrorisée dans une forêt cauchemardesque, Blanche-Neige est recueillie par sept mineurs pas comme les autres : Prof, Grincheux, Simplet, Dormeur, Timide, Atchoum et Joyeux. Charmés par sa gentillesse et sa candeur, les nains acceptent qu’elle reste vivre avec eux en échange de quelques services ménagers et d’une touche de bonne humeur quotidienne. Mais la Reine découvre que Blanche-Neige est toujours vivante. Dévorée par la rage, elle concocte un terrible plan : user de magie noire pour se transformer en vieille sorcière hideuse et tromper Blanche-Neige en lui offrant une pomme empoisonnée…

« Le plus grand film jamais réalisé ! »

Dès les premières minutes, la richesse visuelle du film nous frappe. Chaque décor fourmille de détails, la lumière épouse les ambiances, la forêt devient presque un personnage vivant (comment oublier cette séquence d’épouvante pure où l’héroïne fuit dans une nature devenue cauchemardesque ?). La prouesse est d’autant plus vertigineuse qu’à l’époque, l’idée même d’un film d’animation de plus de 80 minutes était considérée comme une hérésie technique et commerciale. Côté narration, le film est d’une efficacité redoutable, alternant les séquences sombres et les scènes plus légères – en grande partie assurées par les sept nains. Mais Blanche-Neige ne serait pas le chef-d’œuvre qu’il est sans son incroyable Reine, figure terrifiante d’une méchanceté froide, sublimée par une animation plus réaliste que caricaturale. Sa transformation en sorcière reste l’un des moments les plus glaçants de l’histoire du cinéma d’animation. Il faut aussi bien sûr saluer cette bande originale d’une inventivité folle, où les chansons deviennent autant de moteurs narratifs que de respirations poétiques. Achevé seulement quelques jours avant sa sortie, le film est un triomphe absolu. Présenté en avant-première en décembre 1937, Blanche-Neige et les Sept Nains rafle un Oscar d’honneur – une grande statuette et sept petites – et devient le plus gros succès commercial de son époque, dépassé seulement par Autant en emporte le vent. Même Sergueï Eisenstein le qualifiera de « plus grand film jamais réalisé ».

 

© Gilles Penso

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MON AMI ROBOT (2023)

L’audacieux réalisateur espagnol multi-primé Pablo Berger anime le volumineux roman graphique à succès de l’américaine Sara Varon…

ROBOT DREAMS

 

2023 – ESPAGNE / FRANCE

 

Réalisé par Pablo Berger

 

Avec la voix de Ivan Labanda

 

THEMA ROBOTS

Diplômée de l’Art Institute of Chicago, Sara Varon déménage à New York City pour poursuivre ses études à l’école d’Art : The School of Visual Arts. Autrice reconnue, auréolée de prix prestigieux comme le Eisner Award, plus à l’aise à croquer des animaux que des humains, son univers anthropomorphique représente un tendre bestiaire illustré qui séduit autant les adultes que les enfants. Pour preuve, Pablo Berger, collectionneur passionné d’ouvrages sans paroles, est tombé sous le charme de Robot Dreams, paru en 2007 chez l’éditeur First Second Books. Le cinéaste y a retrouvé les émotions de son film Blancanieves, librement adapté du conte des frères Grimm, et Prix Goya du meilleur film et du meilleur scénario en 2013. Après Abracadabra, son troisième long-métrage sorti en 2017, présenté comme une comédie fantastique et émancipatrice sur le thème de l’hypnose, il rédige alors un scénario et rencontre l’illustratrice qui, après avoir pris connaissance de l’univers du réalisateur, lui donne carte blanche pour adapter son œuvre. Pour son premier film d’animation, l’auteur se verra honoré d’une Première mondiale au 76ème Festival de Cannes en mai 2023, et du Grand prix contrechamp au 47ème Festival d’Annecy en juin. C’est donc sous les meilleurs auspices que le film prépare sa sortie pour les fêtes de fin d’année sous le titre Mon ami Robot.

Dans son cosy appartement de Manhattan, le chien Dog comble sa solitude en regardant la télévision. Ainsi, il découvre une publicité pour un robot en kit qu’il s’empresse de commander. Une fois assemblé, Robot devient le meilleur ami du chien et transforme sa vie. Lors d’une journée sur la plage de Coney Island, Robot, qui ne refuse rien à son compagnon, se retrouve rouillé et à l’arrêt après s’être risqué à une baignade dans la mer. Pourtant inséparables, Dog se voit contraint d’abandonner momentanément son ami sur le sable. A nouveau seul, tentant de s’adapter aux circonstances, il sera pris de remord et retournera armé de sa boîte à outils pour réparer son ami délaissé. Mais, la saison estivale étant terminée, l’accès à la plage lui sera interdit. Au fil des saisons, Robot, paralysé puis mutilé, sera livré à toutes les intempéries et au pillage. Prisonnier de ses rêves (et de ses cauchemars), il ne lui restera que le ciel pour s’évader en pensée, la compagnie d’oiseaux venus nicher près de lui, et l’espoir de retrouver un jour celui dont il fut le complice éphémère.

Une poignante étude de sentiments

Sous des aspects de films pour enfants, Mon ami Robot est une poignante étude de sentiments et d’émotions qui vont de la joie et de l’euphorie de partager les bonheurs de l’existence avec son alter-égo, au désenchantement et l’amertume de l’abandon, jusqu’à la reconstruction grâce aux hasards de la vie et à la faculté de résilience. On apprécie dans cette exploration la peinture détaillée des rues de la Grande Pomme où le réalisateur a vécu et rencontré sa femme lors de ses études dans les années 80-90. Soucieux de rendre hommage à la ville telle qu’il l’a connue, il s’est appliqué à soigner les arrière-plans à l’instar du maître Miyazaki. On notera d’ailleurs de nombreux clins d’œil cinéphiliques dans des séquences qui évoquent le cinéma de Jacques Tati, muet lui aussi, ou les ballets de Busby Berkeley. Si le film a pris des libertés par rapport à son support original, il le respecte dans les ressentis émotionnels qui en font toute la force et qui tournent autour de ces questions : Qu’est-ce que l’amitié ? La fidélité ? Lorsqu’un seul être vous manque, le monde est-il vraiment dépeuplé, comme le dit le poète ? Un ami est-il jetable ou remplaçable tel un objet que l’on oublie sur la plage, ou un robot qui obéirait à tous nos désirs ? L’amitié serait-elle périssable, destinée à ne pas survivre à la fin de l’été ? Les pensées de Dog et de Robot sont palpables dans ce film sans paroles, et leurs questionnements semblent s’adresser à un public plus adulte qu’enfantin. Mais c’est là que les animaux permettent une distance pour aborder des thèmes qui interrogent aussi l’enfance, comme l’absence de l’autre ou le temps qui transforme les choses et les êtres sur son passage. Avec sa longueur assumée, ses ballades dans la Cité (où l’on peut voir les Twin Towers encore intactes), le choix de répéter la chanson September d’Earth Wind & Fire à côté de la bande originale, Mon ami Robot, est un feu d’artifices émotionnel qui invite à l’introspection.

 

© Quélou Parente

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WISH : ASHA ET LA BONNE ÉTOILE (2023)

Un Disney en mode mineur qui, malgré tous les ingrédients du conte de fées traditionnel, n’aura pas su rameuter les foules…

WISH

 

2023 – USA

 

Réalisé par Chris Buck et Fawn Veerasunthorn

 

Avec les voix de Ariana DeBose, Chris Pine, Alan Tudyk, Angelique Cabral, Victor Garber, Natasha Rothwell, Harvey Guillen, Evan Peters, Ramy Youssef

 

THEMA CONTES

Malgré ses indéniables qualités et les efforts de son scénario confié à Jennifer Lee, réalisatrice (avec Chris Buck) de La Reine des neiges, qui fut le dessin-animé le plus rentable de ces dernières années, Wish : Asha et la bonne étoile, le film de Noël dont la pandémie nous avait privés, ne crée pas l’enchantement quasi-unanime qu’ont pu provoquer les plus gros succès des studios Disney. En effet, en voulant jouer sur plusieurs tableaux, le dessin-animé qui clôture l’année de la célébration du 100ème anniversaire du géant de l’animation peine finalement à trouver son public, avec une histoire très complexe pour les plus jeunes et un message qui, s’il se veut plus engagé et réaliste, ne fait pas forcément mouche chez les adultes en quête de rêve, pourtant habituellement conquis par la féérie et l’anthropomorphisme mignon de chez Disney.

Star est une petite étoile qui tombe du ciel pour exaucer les vœux d’Asha, 17 ans (Ariana DeBose en V.O., Océane Demontis en V.F.), notre jolie héroïne typée à la chevelure tressée et au caractère rebelle. Jusque-là, tout va très bien et les moments les plus réussis du film sont ceux qui mettent en scène ce duo de charme qui ravira les petites filles jusque-là en mal de modèle leur ressemblant dans les fictions de la firme hollywoodienne. Mais le manichéisme l’emportant, le roi Magnifico (Chris Pine/Lambert Wilson), méchant de l’histoire, passant d’un idéalisme forcené à une irresponsabilité mégalomaniaque, nous entraîne dans des péripéties laborieuses dont l’enjeu est de contrôler les vœux des habitants afin qu’aucun d’eux ne contrarie sa soif de contrôle et de puissance, exauçant au compte-gouttes les souhaits les plus insipides. Asha ne l’entend pas de la sorte et se confronte à lui pour restituer les prisonniers à leurs propriétaires.

Faites un vœu

Contrairement aux réussites telles que Raiponce (2010) ou La Reine des neiges (2013), adaptées de contes classiques de Grimm ou d’Andersen, nous avons affaire ici à une histoire pensée pour être novatrice et originale tout en reprenant les éléments les plus reconnaissables de Disney : croire en la magie d’un monde merveilleux et enchanté, en ses rêves et en sa bonne étoile… Le message voulu par l’autrice – également productrice exécutive -, selon lequel « aucun pouvoir n’est plus puissant que la force d’un souhait sincère qui vient du plus profond du cœur », a l’ambition d’ouvrir le champ des possibles et d’inspirer à la jeunesse, ainsi que leur goût de la persévérance. Mais le public visé n’a manifestement pas répondu à l’appel. Avec un budget de 200 millions de dollars (hors marketing) et des recettes de 255 millions, le Disney de 2023 n’aura pas été le succès espéré.

 

© Quélou Parente


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ANZU, CHAT-FANTÔME (2024)

Une préadolescente confiée aux soins de son grand-père se lie d’amitié avec le spectre d’un félin revenu d’entre les morts…

GHOST CAT ANZU-CHAN

 

2024 – JAPON / FRANCE

 

Réalisé par Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita

 

Avec les voix de Mirai Moriyama, Noa Gotô, Munetaka Aoki, Miwako Ichikawa, Keiichi Suzuki, Jon Allen, Jonah Bromley, David Goldstein, Shingo Mizusawa

 

THEMA MAMMIFÈRES I FANTÔMES

Adapté d’un manga de Takashi Imashiro, (auteur de Colère Nucléaire aux éditions Akata), Anzu, chat-fantôme s’inscrit dans la tradition des films de fantômes japonais avec un bestiaire de créatures infernales auxquelles vont se trouver confrontés les amis d’Anzu, des esprits de la forêt, qui bien que téméraires, n’ont ni talent, ni don inné pour la bagarre. Notre héros et ses comparses, issus des croyances animistes auxquelles la japanimation et Miyazaki en particulier nous ont habitués (Yōkai, Mononoke, Nekomata), vont donc nous entrainer dans leur monde fantasque, tandis qu’ils seront partie prenante dans cette histoire pour épouser les émotions humaines et combattre leurs démons. Il y a aussi du Takahata dans ce film d’animation sympathiquement foutraque qui se joue en deux parties. Dans un premier temps, une pré-adolescente dont la mère est décédée est confiée aux soins de son grand-père, moine d’une petite contrée, par un père qui n’est pas sans rappeler Tetsu, celui de Kié la petite peste, film novateur du maître sorti en 1981 au Japon.

Combinant l’animation 2D et la rotoscopie, le film nous entraîne dans la résilience de l’enfant qui finira par apprivoiser ce chat revenant, mal léché et très drôle, qui s’avère être un vrai protecteur et un monstre de tendresse. Anzu s’est adapté à son environnement après avoir été simplement le chat domestique du temple (un « bakeneko » selon le folklore japonais). Après sa mort, il est devenu un véritable homme-chat à tout faire qui s’est donné pour mission de prendre soin de la fillette et de lui rendre le sourire. C’est ainsi qu’il va affronter à la courte-paille le dieu de la misère et de la tristesse, prêt à s’abattre sur elle, et à qui Anzu demande de l’épargner et de l’aider à retrouver sa mère hors du monde des vivants, en échange de quoi il l’aidera à trouver une meilleure mission. C’est ici que le film bascule dans une seconde partie qui se déroule aux enfers (dont on sort aussi étrangement qu’on y est entrés).

Créatures infernales

Ici, donc, pas de grandes réflexions métaphysiques sur la vie dans l’au-delà, si ce n’est que les vivants sont bel et bien sur terre pour profiter de leur vie éphémère. Le film vaut beaucoup par les échanges chat-fille et père-fille et par ses drôleries inventives qui fusent parmi des dessins à la mesure des grands auteurs japonais. À noter, fait rare, que le film est une coproduction franco-japonaise entre le célèbre studio Shin Ei-Animation (Doræmon, Panda Petit Panda) qui a vu débuter Miyazaki et Takahata, et Miyu Productions, société qui s’est distinguée dans les festivals internationaux avec son film franco-italien Linda veut du poulet (Cristal du long-métrage 2023 à Annecy et César du meilleur film d’animation 2024). Il est co-réalisé par la mangaka Yôko Kuno, talentueuse directrice de l’animation en rotoscopie, et Nobuhiro Yamashita, célèbre au Japon pour ses films en prise de vues réelles, qui signe ici son premier film d’animation.

 

© Quélou Parente


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SKY DOME 2123 (2023)

Une superbe dystopie qui évoque les thèmes de L’Âge de cristal et de Nausicaa de la vallée du vent

MUANYAG EGBOLT / WHITE PLASTIC SKY

 

2023 – HONGRIE / SLOVAQUIE

 

Réalisé par Tibor Bánóczki et Sarota Szabó

 

Avec les voix de Tamás Keresztes, Zsófia Szamosi, Géza D. Hegedüs, Judit Schell, István Znamenák, Zsolt Nagy, Márton Patkós, Renátó Olasz

 

THEMA FUTUR

2123. La Terre est aride. Plus rien n’y survit. Les animaux et les végétaux ont disparu de sa surface, et les humains sont regroupés sous un dôme qui rappelle celui de L’Âge de cristal ou de Total Recall. Un dôme qui se veut protecteur, mais tout autant oppressant avec des règles strictes qui réclament le sacrifice de chacun pour la survie de tous. En effet, à l’âge de cinquante ans, afin de fournir l’oxygène nécessaire à la continuité de l’espèce humaine, chacun renonce à ses années de vie supplémentaires et se fait implanter une graine dans le cœur afin de se transformer en arbre. Souffrant de la mort prématurée de son fils, Nora, 32 ans, s’est portée volontaire pour en finir au plus vite. Son mari Stefan, docteur en psychiatrie, ne l’entend pas de cette oreille. Il va braver les interdits de la nouvelle Budapest, sortir du Dôme, et retrouver la trace du premier inventeur du système, le professeur Paulik, pour tenter de faire opérer sa femme et inverser le processus d’implantation. Mais est-ce vraiment ce que veut Nora ?

À travers les émotions que traversent ces personnages tout en profondeur, dans un monde anxiogène où la vie ne tourne plus qu’autour de notions de survie, nous nous retrouvons au cœur des grandes questions philosophiques fondamentales qui animent l’être humain sur le sens de la vie et sa propre essence. Le film est formellement très beau, avec une animation hybride mêlant rotoscopie manuelle, maquettes en 3D et images de synthèse pour un résultat à fleur de peau et d’écorce où les nœuds des arbres évoquent les liens que nouent les hommes entre eux, mais aussi avec la nature.

Un siècle dans le futur…

Comme dans toutes les histoires où toute cause semble perdue d’avance, l’amour n’y est ni mièvre ni tiède, mais il devient essentiel, comme les éléments vitaux que sont l’eau, le sang, la sève. Il s’infiltre donc dans tous les interstices de ce film porté par une bande son où les silences se fondent avec délicatesse aux voix douces et profondes des protagonistes hongrois, et à la musique originale du compositeur Christopher White. Un film bouleversant qui nous projette un siècle en avant dans un futur que la science-fiction a prédit maintes fois, simplement en observant le pire dont on sait l’homme capable. Le meilleur reste porteur d’espoir. Il passe par l’impossibilité qu’ont certains, comme Stefan, de se résigner.

 

© Quélou Parente


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GARÇON ET LE HÉRON (LE) (2023)

Dans ce « film testament » d’Hayao Miyazaki, un adolescent découvre un monde magique habité par un héron gris qui parle…

KIMITACHI WA DÔ IKIRU KA

 

2023 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Soma Santoki, Masaki Suda, Yoshino Kimura, Shôhei Hino, Takuya Kimura, Kô Shibasaki, Aimyon, Keiko Takeshita, Jun Fubuki

 

THEMA VOLATILES ET REPTILES I CONTES

Annoncé par le maître lui-même comme un film testamentaire adressé à son petit-fils, la dernière production de Hayao Miyazaki est librement adaptée d’un roman philosophique pour enfants Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?) de Genzaburo Yoshino. Si le livre, publié par son auteur en 1937, a été un succès immédiat, il lui a aussi valu d’être emprisonné à de multiples reprises ; en effet, alors que le Japon s’armait pour rentrer en guerre, les autorités s’inquiétaient de voir un manque de patriotisme dans certains questionnements comme donner à réfléchir à ce qui fait de nous des êtres humains. Il s’agit d’un échange de pensées, un dialogue à deux voix entre un oncle et son neveu, un jeune garçon qui fait l’apprentissage de la vie après la perte de son père et la trahison de son meilleur ami. Pour le film, Miyazaki a voulu se détacher des contraintes de l’adaptation, s’étant emparé du roman initiatique comme source d’inspiration pour mieux explorer ses propres thèmes de prédilection qui rentrent en résonnance avec le best-seller : le monde en guerre, l’injustice, la mort ou la maladie, la douleur de la perte des êtres aimés, l’au-delà, la beauté de la Nature, fragile et forte à la fois, la nostalgie du temps passé, les liens d’amitié, tout ce qui nous transcende et fait de nous les êtres humains que nous choisissons d’être.

La magie de Miyazaki est de réussir à ancrer l’indicible dans un univers fantasmagorique, sorte de rêve éveillé, un rollercoaster qui voyage dans les strates de notre inconscient, de notre psyché. Cet univers, en lien direct avec le cycle de la vie, relie la naissance et la mort comme une vague infinie que l’amour filial, parental et autres, vient adoucir en lui donnant son caractère d’éternité. C’est aussi un film très freudien dont Miyazaki dit lui-même qu’il serait bien en peine de devoir l’expliquer, et qui donne à coup sûr l’impression au public de s’y perdre. À moins, comme le réalisateur le préconise lui-même pour nombre de ses films (Ponyo sur la falaise, Le Voyage de Chihiro) de se laisser porter par son flux et son rythme, semblables, et ce n’est pas anodin, aux mouvements de la mer (ou de la mère). « L’éternité, c’est la mer mêlée au soleil » disait Arthur Rimbaud et c’est bien sur ce registre poétique que le film de Miyazaki s’inscrit et s’apprécie.

« Tenter de vivre »

Mahito est un jeune garçon de onze ans quittant Tokyo après le décès de sa mère disparue dans un incendie. Il part rejoindre son père qui habite à la campagne dans la région dont sa mère était elle-même originaire. Celui-ci vit à présent avec sa nouvelle femme qui attend un bébé et accueille son beau-fils dans leur maison familiale, tenue par une multitude de grand-mères aussi envahissantes que chaleureuses. En dehors d’un étrange héron cendré qui parle et se montre lui aussi de plus en plus intrusif, on notera ; comme un premier anachronisme de cette épopée lyrique, la voix grave de Mahito qui trahit sa maturité due aux épreuves qu’il a traversées, voix contrastant avec celles enfantines des vieilles dames qui l’entourent. Car s’il s’agit de transmission dans le film, comme dans le roman dont il est issu, c’est sur les traces de l’oncle de sa mère, « devenu fou pour avoir trop lu », que Mahito va devoir trouver le chemin de sa propre existence dans les méandres d’un étrange manoir rempli d’ouvrages anciens et de portes qui s’ouvrent sur des espace-temps comme autant de multivers… Dix ans après Le Vent se lève, il faut continuer de « tenter de vivre » quand la folie des hommes fauche ceux que l’on aime. Les personnages dont les existences s’entrechoquent et s’entrecroisent dans ce pays des merveilles sont tous attachants, qu’ils soient réalistes ou absurdes. Le film, comme toute l’œuvre de Miyazaki, est dénuée de manichéisme, saupoudré d’animisme dans la tradition shintoïste japonaise, et se retrouve bercé par la musique symphonique de Joe Hisahishi qui, contrairement à d’autres œuvres telles Princesse Mononoké, accompagne l’action en toute discrétion sans l’emporter dans des envolées lyriques. Par là-même, il sublime les décors somptueux qui à eux seuls donnent à ce long-métrage d’animation son statut de chef-d’œuvre éblouissant de beauté. Un grand spectacle qui s’inscrit dans la haute lignée des studios Ghibli.

 

© Quélou Parente


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FLOW : LE CHAT QUI N’AVAIT PLUS PEUR DE L’EAU (2024)

Dans un monde englouti par un déluge apocalyptique, un chat noir et ses compagnons d’infortune tentent de survivre…

STRAUME

 

2024 – FRANCE / BELGIQUE / LETTONIE

 

Réalisé par Glints Zilbalodis

 

THEMA MAMMIFÈRES I FUTUR

Après sept courts-métrages, le réalisateur letton Gints Zilbalodis s’est fait connaître en 2019 avec un premier long-métrage primé, Ailleurs (Away), avant de remporter avec Flow pas moins de quatre prix au Festival d’Annecy, dont les convoités Prix du Jury et Prix du Public, ainsi que celui de la meilleure musique originale qui vient souligner avec délicatesse toute la beauté de ce film sans paroles. Nous y suivons les péripéties d’un jeune chat noir aux grands yeux écarquillés dans un monde semi-englouti. Les humains ont disparu, et quelques animaux tentent de survivre, réfugiés sur un bateau à la dérive. Sur cette arche providentielle, notre héros va devoir apprendre à affronter ses peurs, plonger et nager sous l’eau, attraper des poissons, et même partager le fruit de sa pêche avec des compagnons d’infortune dont les différences lui dictent de se méfier de leur monstruosité apparente : un capibara, plus gros rongeur du monde mais inoffensif, un chien doux suivi d’une meute excitée, un lémurien malin et un échassier énigmatique. Au fil de la montée des eaux, les paysages en ruine disparaissent, inondés par les variations de lumières naturelles dont un cruel zénith qui réclame un coin d’ombre, tandis que la faim tenaille les estomacs vides.

La bande de compères sapprivoise et s’adapte en faisant preuve d’une résilience commune pour survivre à ce déluge dont nous constatons les conséquences, sans en connaître l’origine, ni la raison de la disparition des hommes. Ce conte philosophique et poétique soulève donc de nombreuses questions qui resteront sans réponse, mais aussi un flot d’émotions fortes en nous rappelant que nous sommes tous des animaux sur un même bateau, avec des ressentis et des besoins vitaux communs, les mêmes peurs et frissons, attirances ou répulsions. Le réalisateur, grâce à l’expérimentation et la combinaison de procédés appartenant à l’animation et au jeu vidéo, et en utilisant le logiciel 3D Blender, raconte une histoire fabuleusement onirique et contemplative qui nous emmène dans un univers aussi bien fantasmé par moments (la séquences avec l’oiseau), qu’hyper réaliste par d’autres.

Une splendide épopée initiatique

Un message écologique rappelle discrètement en filigrane celui de Pierre Boule avec La Planète des Singes : à force de ne pas collaborer avec la nature, on ne sait finalement pas si l’Homme ne sera pas le grand perdant de cette destruction programmée. Le flux et le reflux des flots font tour à tour le bonheur des uns ou le malheur des autres, rappelant que chacun se nourrit au dépend d’autres espèces vivantes. Lorsque l’eau se retire, le chaton se retrouve impuissant à sauver lui-même le monstre aquatique qui lui a sauvé la vie. Point de jugement, de condamnation, de manichéisme, nous suivons le flow de cette odyssée que le cinéaste dessine avec une immense grâce, et qui fait la part belle à lamitié inter-espèces. Tout en évoquant l’effondrement des civilisations et les légendes sur les mondes engloutis ou disparus, alors que la marée se retire, nous acceptons ici, à la douceur du crépuscule, notre condition d’être vivant, dépendant d’un écosystème plus ou moins capricieux qui a inspiré à Gints Zilbalodis cette œuvre unique et magistrale !

 

© Quélou Parente


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