CARVED (2024)

Pendant les préparatifs d’Halloween dans une petite ville américaine, une citrouille mutante se met à massacrer la population…

CARVED

 

2024 – USA

 

Réalisé par Justin Harding

 

Avec Peyton Elizabeth Lee, Corey Fogelmanis, Carla Jimenez, Elvis Nolasco, Jonah Less, Wyatt Lindner, Sasha Mason, Marc Sully Saint-Fleur, Jackson Kelly

 

THEMA VÉGÉTAUX

Et si les citrouilles en avaient assez d’être défigurées pour les festivités d’Halloween et décidaient de se venger des humains ? Tel est le point de départ absurde duquel est parti Justin Harding pour mettre sur pied Carved, version longue d’un court-métrage qu’il avait réalisé en 2018. Après La Petite boutique des horreurs et L’Attaque des tomates tueuses, autant dire que les spectateurs ne s’étonnent plus de rien, question végétaux agressifs. Nous étions tout de même curieux de savoir si le réalisateur, dont il s’agit du second long-métrage après Making Monsters, allait pouvoir tenir les 90 minutes règlementaires sur un pitch aussi délirant. Après tout, le Carved original ne durait que 5 minutes, ce qui semblait amplement suffisant pour pousser jusqu’au bout son concept. Pour revisiter son propre travail, Harding imagine toute une galerie de nouveaux personnages qu’il réunit dans la petite ville de Cedar Creeks, dans le Maine, en pleins préparatifs des festivités d’Halloween, à la fin du mois d’octobre de 1993. Alors que l’ambiance est à la reconstitution historique, avec au programme une pièce de théâtre en costumes, des décorations dans toutes les rues et un concours de sculptures de citrouilles, un vieux drame que tout le monde voudrait oublier refait surface.

Quelques années plus tôt, en effet, un train a déraillé dans la ville, provoquant plusieurs morts et le déversement de déchets toxiques dans les terres voisines. Un reporter d’investigation envoyé par la chaîne UP24 tient absolument à rappeler la catastrophe et à susciter le scandale, s’entêtant à aborder les sujets sensibles et déplaisants alors que les habitants préfèreraient se concentrer sur la fête à la citrouille. Un marchand ambulant de maïs grillé, déguisé en épi géant et accroc aux space cakes, découvre justement dans un champ une bien étrange citrouille, surdimensionnée, boursouflée et presque grimaçante. C’est selon lui une candidate idéale au concours de sculpture dont le vainqueur remportera un prix de cinquante dollars. Mais cette citrouille n’est pas comme les autres. Ayant muté à la suite de la catastrophe ferroviaire, elle a développé des sentiments et une rancœur tenace contre tous ceux qui tailladent ses congénères. Le soir venu, elle décide de se venger des humains de la manière la plus sanglante possible…

Où cours-je ?

Cette citrouille vengeresse est sans conteste le personnage le plus intéressant du film. Conçue principalement à l’aide d’effets spéciaux physique, même si l’image de synthèse vient en renfort dès que ses mutations prennent des proportions trop complexes, elle se déplace sur ses racines comme une araignée et les balance vers ses victimes à la manière de tentacules. Malheureusement, les situations finissent par se répéter et le scénario se met rapidement à piétiner. D’autant que les protagonistes que Justin Harding met en scène se contentent d’obéir à des archétypes caricaturaux. Un soupçon de caractérisation supplémentaire aurait grandement aidé les spectateurs à entrer en empathie avec cette poignée de survivants. Leurs petites intrigues amicales ou sentimentales nous semblent trop superficielles pour fonctionner, preuve que Carved ne sait pas trop sur quel pied danser. Trop conformiste pour être le nanar éléphantesque que son concept laisse imaginer, trop exubérant pour être pris au sérieux, il navigue entre deux eaux et reste désespérément « tiède ». Pourtant, en quelques moments inspirés, Harding fait des étincelles, notamment lorsqu’il se laisse aller à des écarts gore réjouissants ou lorsqu’il place dans la bouche de ses acteurs des répliques joyeusement ridicules (le couple qui se parle avec des phrases empruntées aux chansons de Bryan Adams). Dommage que le potentiel fou du film n’ait pas été exploité de manière plus concluante.

 

© Gilles Penso


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THE LOVED ONES (2009)

Éconduite par un jeune homme dont elle est éprise, une lycéenne prend les choses très mal et décide de le séquestrer pour le faire changer d’avis…

THE LOVED ONES

 

2009 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Sean Byrne

 

Avec Xavier Samuel, Robin McLeavy, John Brumpton, Richard Wilson, Victoria Thaine, Jessica McNamee, Andrew S. Gilbert, Suzi Dougherty, Victoria Eagger

 

THEMA TUEURS

Après une série de courts-métrages, le réalisateur australien Sean Byrne franchit le pas et se lance dans son premier long avec The Loved Ones, budgété à 4 millions de dollars. Ses influences principales, lorsqu’il écrit cette comédie d’horreur qui vire au cauchemar, sont Massacre à la tronçonneuse, Misery et Audition. Que des classiques, donc. Dans le rôle principal des deux lycéens amenés à se confronter dans ce huis-clos oppressant, Byrne choisit Xavier Samuel, 25 ans, et Robin McLeavy, 23 ans. Le premier incarnera l’année suivante Riley dans le troisième volet de la saga Twilight, la seconde jouera Nancy Lincoln dans Abraham Lincoln : chasseur de vampires. Pour qu’elle puisse entrer dans la peau de son personnage, McLeavy est invitée à visionner Misery et Tueurs nés et à se documenter sur le tueur en série Jeffrey Dahmer. Le réalisateur l’engoncera pendant le tournage dans une robe rose directement inspirée de celle que porte Sissy Spacek à la fin de Carrie. The Loved Ones est donc un film sous influence. Mais Sean Byrne tient à se distinguer de ses prestigieux aînés en construisant une atmosphère singulière qui dote son premier film d’une personnalité bien à lui. Restrictions budgétaires oblige, il n’a que quatre semaines pour boucler les prises de vues. D’où la réduction du nombre de décors et de personnages principaux. La tension n’en sera que plus grande.

Lola Stone alias « Princesse » (Robin McLeavy), la fille la plus timide du lycée, propose au beau Brent (Xavier Samuel) de l’accompagner au bal de fin d’année, point d’orgue incontournable de toute saison scolaire anglo-saxonne qui se respecte. Étant donné qu’il avait prévu de s’y rendre avec sa petite amie Holly (Victoria Thaine), Brent décline poliment l’invitation. Il est lui-même encore sous le choc de l’accident de voiture qui provoqua la mort de son père et dont il se sent pleinement responsable (il percuta un arbre pour éviter un homme ensanglanté au milieu de la route). En proie à des idées noires, enclin à la scarification, Brent n’a pas tellement la tête à la fête. Alors qu’il s’isole sur une falaise, quelqu’un l’assomme. Lorsqu’il revient à lui, c’est pour découvrir que Lola lui a préparé une petite soirée en tête à tête. La jeune fille n’aime pas qu’on lui dise non et se prépare à lui faire vivre la nuit la plus épouvantable de son existence…

Le bal de l’horreur

Un étrange parfum de nostalgie se dégage de The Loved Ones, qui s’amorce comme un film de lycée des années 70/80, rythmé par une bande originale rafraîchissante, ciselé par une photographie élégante et ponctué d’une poignée de saynètes cocasses. Mais lorsque la folie meurtrière pointe le bout de son nez, The Loved Ones bascule dans le cauchemar pur, sans jamais se départir de cette légèreté insolite qui le nimbe en permanence. La séquestration façon Misery prend une tournure de plus en plus affolante, à mesure que la démence de Lola et de son géniteur (John Brumpton) s’affirme et que la liste de leurs exactions s’allonge. Maître du suspense horrifique et du jeu avec les nerfs de ses spectateurs, Sean Byrne parvient clouer son public sur le fauteuil pour ne le relâcher qu’après son générique de fin, lequel sonne dès lors comme un véritable soulagement. Quelques scènes particulièrement gratinées provoquèrent même plusieurs malaises à l’occasion des nombreux festivals où le film fut présenté aux quatre coins du monde. Voilà donc une très bonne surprise en provenance du pays natal de Mad Max et Razorback. Byrne n’enchaînera ses films suivants qu’avec parcimonie : The Devil’s Candy en 2015 puis Dangerous Animals en 2024.

 

© Gilles Penso


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PHANTOM TOWN (1999)

Trois gamins partent à la recherche de leurs parents disparus et se retrouvent coincés dans une ville de western peuplée de créatures étranges…

PHANTOM TOWN / SPOOKY TOWN

 

1999 – USA

 

Réalisé par Jeff Burr

 

Avec Taylor Locke, John Patrick White, Lauren Summers, Jim Metzler, Belinda Montgomery, Gabriel Spahiu, Jimmy Herman, Jeff Burr, Iuliana Ciugulea

 

THEMA MUTATIONS I SAGA CHARLES BAND

Les studios roumains Castel Film possédant un décor complet de western depuis le tournage de Oblivion, le producteur Charles Band fut prompt à le faire fructifier à l’occasion de films aussi variés que Oblivion 2, Petticoat Planet ou Virtual Encounters 2. Dommage de ne pas profiter d’un site aussi photogénique, quitte à tirer un peu les scripts par les cheveux pour justifier la présence de la grande rue, du saloon et de tout le reste. Ainsi nait Phantom Town (connu également sous le titre de Spooky Town), un opus de plus à ajouter à la collection Moonbeam destinée au jeune public. Deux familiers des productions Band sont derrière le film : le scénariste Neal Marshall Stevens sous son pseudonyme habituel de Benjamin Carr (Le Cerveau de la famille, Hideous, The Creeps, Le Retour des Puppet Master, Frankenstein Reborn !) et le réalisateur Jeff Burr (Nuits sanglantes, Leatherface, Puppet Master 4 et 5). Tous deux auraient pu traiter ce petit film par-dessus la jambe, s’acquittant sans enthousiasme de cette mission routinière entre deux autres séries B. Mais il semblerait que ce Phantom Town les amuse beaucoup. Stevens livre donc un script joyeusement délirant ouvert à tous les excès et Burr se prend au jeu en interprétant même un petit rôle dans le film, celui d’un oncle colérique.

Tout commence dans une ambiance survoltée. Alors que Mike (John Patrick White), seize ans, et ses deux jeunes frères et sœurs Arnie et Cindy (Taylor Locke et Lauren Summers) donnent une fête chez eux, à grand renfort de musique rock (ils jouent et chantent eux-mêmes en se prenant pour des superstars) et de feux d’artifice, leurs parents (Jim Metzler et Belinda Montgomery) rentrent tranquillement d’une convention. Mais, au cours de la nuit, ils s’égarent à bord de leur voiture et finissent dans une petite ville désertique absente des cartes routières qui s’appelle Long Hand. Le lendemain, ils ne sont toujours pas rentrés. Mike, Arnie et Cindy décident alors de partir à leur recherche. En suivant leurs traces, ils se retrouvent à leur tour dans Long Hand, où tout le monde semble vivre comme au temps du Far West. Se seraient-ils retrouvés au beau milieu d’une attraction pour touristes dans laquelle les gens se prendraient un peu trop au sérieux ? Ont-ils remonté le temps ? La vérité est-elle pire encore ?

Shérif, fais-moi peur !

Plus encore que The Werewolf Reborn ! et Frankenstein Reborn !, qui cherchaient ouvertement à capitaliser sur le succès de la série Chair de poule, Phantom Town assume pleinement son caractère de « film train fantôme » en reprenant littéralement le motif de la ghost story racontée au coin d’un feu de camp. D’où cet enfant qui, dès l’entame, s’adresse à la caméra, une lanterne à la main. La photographie soignée de Viorel Sergovici et la musique teintée de blues composée par Dennis Smith contribuent à l’atmosphère réussie de ce petit film sympathique emballé avec un budget de 800 000 dollars. Pour compenser la faiblesse de ses moyens, Burr met l’accent sur les effets spéciaux exubérants bricolés par une petite équipe de touche-à-tout inventifs : des cowboys zombies, un réceptionniste mutant qui semble échappé de chez Lovecraft, des tentacules visqueux, un grimoire qui marche sur six pattes, un œil géant qui n’est pas sans nous rappeler celui de The Killer Eye. Le récit s’achemine vers une espèce de relecture du thème des body snatchers mélangée avec le motif des morts-vivants et de la possession diabolique. L’influence du Stephen King de « Ça » affleure aussi au moment où les gamins pénètrent dans les entrailles souterraines de la ville, autrement dit l’antre caverneuse et gluante d’une bête tentaculaire. Rien d’inoubliable, bien sûr, mais de quoi passer un moment sympathique devant son écran.

 

 

© Gilles Penso


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LOUPS-GAROUS (2024)

Une adaptation du célèbre jeu de société avec Franck Dubosc, Jean Reno, une fille invisible, des super-pouvoirs… et des loups-garous

LOUPS-GAROUS

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par François Uzan

 

Avec Franck Dubosc, Suzanne Clément, Jean Reno, Jonathan Lambert, Grégory Fitoussi, Bruno Gouery, Lisa Do Couto Texeira, Raphael Romand, Alizée Caugnies

 

THEMA LOUPS-GAROUS I VOYAGES DANS LE TEMPS I POUVOIRS PARANORMAUX I HOMMES INVISIBLES

Depuis 2001, le jeu de société « Les Loups-garous de Thiercelieux » anime les soirées des petits et des grands avec un succès jamais démenti. Créé par Philippe des Pallières et Hervé Marly, cet affrontement ludique entre l’équipe des villageois et celle des lycanthropes s’inspire d’un autre jeu, « Mafia », imaginé en 1986 par le Russe Dimitry Davidoff et décliné depuis sous de nombreuses formes. Fallait-il pour autant essayer d’en tirer un film ? En 2021, déjà, Loups-garous de Josh Ruben adaptait le jeu vidéo inspiré par « Mafia », s’efforçant d’en recréer la mécanique « Cluedo » sur un ton léger. Lorsque François Uzan, réalisateur de la comédie On sourit pour la photo et scénariste de la série Lupin pour Netflix, décide à son tour de s’emparer du sujet, on ne sait honnêtement trop quoi penser d’une telle initiative. L’annonce du casting laisse perplexe : Franck Dubosc et Jean Reno occupent le haut de l’affiche. Tenterait-on de renouer avec l’esprit des Visiteurs tout en cherchant à caresser dans le sens du poil le public friand d’humour simple et franchouillard ? Bizarrement, ce film estampillé Netflix est diffusé conjointement à un programme voisin proposé par Canal + : un jeu de téléréalité tiré lui aussi des « Loups-garous de Thiercelieux ». Cette profusion soudaine de lycanthropes sera-t-elle source de réjouissances pour de public amateur de monstres ? Pas vraiment, hélas.

Le film commence par le portrait d’une famille recomposée et gentiment dysfonctionnelle : Jérôme (Franck Dubosc), professeur de musique, est marié avec Marie (Suzanne Clément), avocate. Chacun a un enfant d’une précédente union ainsi qu’une fille qu’ils ont eue ensemble. C’est moderne, dans l’air du temps, ça parle à tout le monde. Cette petite troupe part à la campagne pour rendre visite à Gilbert (Jean Reno), le père de Jérôme, un bon gars bourru qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Jérôme tente d’agrémenter la journée en proposant à tout le monde une bonne vieille partie de « Loup-garou », mais personne ne semble vraiment intéressé. Il range alors la vieille boîte en bois, qui se met soudain à luire bizarrement et à trembler. L’influence de Jumanji n’aura échappé à personne. François Uzan semble d’ailleurs pleinement l’assumer. Après ce qui ressemble à un tremblement de terre, la petite famille se retrouve en plein moyen-âge, dans un village frappé par des attaques nocturnes de loups-garous…

Daniel Baladin et les Baladettes

Nous avions des réserves légitimes sur l’intérêt d’adapter le jeu en film. Et malheureusement, nous avions raison. L’entrée en matière laisse imaginer une petite comédie fantastique légère pas bien finaude, certes, mais au moins distrayante. Même pas. Le scénario sans queue ni tête de ces Loups-garous – qui ne cherche bizarrement pas à capitaliser sur l’essence même du jeu, autrement dit la quête de l’identité des bêtes – nous laisse parfaitement indifférents. Les traits d’humour de Franck Dubosc tentent bien d’égayer cette histoire qui prend l’eau de toutes parts, en vain, même si quelques clins d’œil qui se complaisent dans leur bêtise assumée (« Je suis le baladin Daniel Baladin, et voici les Baladettes ») savent épisodiquement nous dérider. Il ne suffit pas d’accumuler les références aux chanteurs diffusés sur Nostalgie et Chante France (Johnny Hallyday, Céline Dion, Jean-Jacques Goldman, Michel Sardou) pour réussir une comédie. Même les bêtes conçues par les talentueux artistes de l’atelier 69 peinent à nous convaincre. Ni drôles ni effrayantes, affublées d’effets numériques grossiers, ces créatures sont à l’image du film tout entier : incongrues et à côté de la plaque. Loups-garous n’était donc même pas une fausse bonne idée. C’était tout simplement une mauvaise idée. Vivement « Uno : le film », « L’Attaque du Scrabble » et « Les Mille bornes contre-attaquent ».

 

© Gilles Penso

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COLD PREY (2006)

Pour son premier long-métrage, le cinéaste norvégien Roar Uthaug isole cinq amis dans la montagne avec un tueur psychopathe…

FRITT VILT

 

2006 – NORVÈGE

 

Réalisé par Roar Uthaug

 

Avec Ingrid Bolsø Berdal, Rolf Kristian Larsen, Tomas Alf Larsen, Endre Martin Midtstigen, Viktoria Winge

 

THEMA TUEURS

Alors qu’il est encore lycéen, Roar Uthaug réalise déjà des courts-métrages avec des tueurs psychopathes armés de haches. C’est dire s’il a le cinéma d’horreur et les slashers dans le sang. Formé à la production vidéo dans le comté d’Akershus puis à la réalisation dans l’école de cinéma norvégienne de Lillehammer, il fait beaucoup parler de lui grâce à son film de fins d’études The Martin Administration et s’apprête à se lancer dans le format long. Après s’être rôdé pendant quelques années via la réalisation de films publicitaires et de clips musicaux pour la compagnie Fantefilm, il initie Cold Prey, dont le titre original Fritt Vilt pourrait se traduire par « la saison est ouverte » (sous-entendu la saison de la chasse). Pour un premier film, Uthaug ne choisit pas la facilité. Le lieu de tournage étant situé dans un hôtel de ski de Jotunheimen, dont les routes d’accès sont impraticables pendant les trois mois les plus rudes de l’hiver (et où la température atteint facilement les -25 degrés celcius), tout le matériel est acheminé en motoneige et l’équipe s’y installe nuit et jour pendant sept semaines. Voilà qui renforce les liens. Tous les murs sont peints de couleur sombre pour donner le sentiment que les lieux sont abandonnés depuis des années, puis remis dans leur état d’origine juste avant que les clients ne réintègrent l’hôtel le lendemain du dernier jour de tournage.

Dans les montagnes reculées de Jotunheimen, un garçon au visage marqué par une tache de naissance tente de fuir une mystérieuse entité dans le blizzard, mais il est finalement rattrapé et enterré vivant dans la neige. Voilà comment commence Cold Prey. Des années plus tard, cinq jeunes Norvégiens — Jannicke, son petit ami Eirik, Mikal, Ingunn et Morten Tobias — se rendent sur le même site pour des vacances sportives à base de descentes en snowboard. En cherchant à éviter les foules, ils se retrouvent dans une partie isolée de la montagne. Leur escapade tourne mal lorsque Morten Tobias se casse la jambe à cause d’une chute. Jannicke s’efforce de prendre les choses en main, mais elle se rend compte qu’ils seront incapables de s’occuper correctement de lui en plein air, d’autant qu’ils n’ont aucun réseau pour appeler de l’aide. Quant à leur voiture, elle est garée bien trop loin pour qu’il puisse l’atteindre avant la nuit. En partant explorer les alentours, ils tombent sur un gîte abandonné. Pensant y trouver refuge, ils découvrent rapidement que l’endroit est loin d’être désert. Un colosse armé d’une pioche (qui n’est pas sans rappeler le tueur de Meurtres à la Saint Valentin) rôde en effet dans l’hôtel, prêt à les traquer et à les éliminer un par un.

Froid comme la mort

Le film se distingue d’abord par l’empathie que suscitent les protagonistes, plutôt attachants et moins stupides que les teenagers de la grande majorité des slashers. À l’exception du personnage principal, campé par Ingrid Bolsø Berdal qui écume déjà depuis un moment les plateaux de tournage en jouant quelques petits rôles ici et là (et qui se révèle ici très juste et particulièrement convaincante), tous les autres n’ont qu’une expérience de théâtre amateur derrière eux. Roar Uthaug les dirige sans fausse note, soignant par ailleurs avec minutie sa mise en scène, sa lumière et ses décors (dans lesquels il glisse quelques clins d’œil à Shining, comme la chambre 237). Le suspense final au milieu de la montagne enneigé est lui-même très réussi, offrant à Cold Prey un climax haletant. C’est donc du travail très bien fait. Revers de la médaille : ce premier long-métrage n’apporte rien de très nouveau au genre. Les situations ont toutes été déjà vues ailleurs, plusieurs gimmicks empruntent des voies bien connues (les fameuses ombres qui passent très vite à l’avant-plan, accompagnées d’un son tonitruant pour faire sursauter les spectateurs), bref Uthaug n’évite ni clichés ni lieux communs. La maîtrise de son travail et ses indiscutables qualités plastiques seront récompensés par un joli succès au box-office. Neuvième film le plus rentable de l’année 2006 en Norvège, Cold Prey aura droit à une suite deux ans plus tard.

 

© Gilles Penso


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PETTICOAT PLANET (1996)

Suite à une avarie, un pilote venu de la Terre s’écrase avec son vaisseau spatial sur une planète uniquement peuplée par des femmes…

PETTICOAT PLANET

 

1996 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Elizabeth Kaitan, Troy Vincent, Leslie Kay Sterling, Betsy Lynn George

 

THEMA SPACE OPERA I SAGA CHARLES BAND

Pour les besoins du western de science-fiction Oblivion et de sa suite Oblivion 2, le producteur Charles Band avait fait construire en Roumanie le décor relativement ambitieux d’une ville du Far West : la grand-rue et ses façades, le saloon, le commissariat et sa prison, un échafaud surplombé d’une potence, des chambres d’époque… L’investissement était important mais à l’époque le studio Paramount assurait la distribution vidéo des films Full Moon produits par Band. Lorsque cette association s’interrompit, le troisième Oblivion envisagé fut abandonné. Mais il eut été dommage de ne pas profiter de ce décor. Band lance donc en quatrième vitesse la production d’une comédie de science-fiction érotique, Petticoat Planet, destinée à compléter le label Torchlight – la branche « films adultes » de Full Moon – et située donc dans un décor de western. Chargé de mettre en boîte cette petite grivoiserie en huit jours seulement, sur la base d’un scénario filiforme de Matthew Jason Walsh (Morgana, The Killer Eye, Witchouse), le réalisateur David DeCoteau signe sous son pseudonyme habituel, Ellen Cabot. Très à l’aise avec l’exercice du film de charme teinté de fantastique, DeCoteau tourne même dans la foulée, toujours en Roumanie, un autre long-métrage du même acabit : Contes macabres : La reine du château. Les économies d’échelle, c’est le mot d’ordre de Charles Band.

Nous découvrons donc la petite ville de Puckerbush Gulch dont les 37 habitants sont uniquement des femmes (jeunes et séduisantes, bien sûr) depuis qu’un accident survenu dans une mine vingt ans plus tôt a fait mourir tous les hommes de la communauté. Autosuffisantes, ces cowgirls vivent en harmonie sous l’autorité du shérif Sarah Parker (Leslie Kay Sterling) et du maire Delia Westwood (Elizabeth Kaitan), les meilleures amies du monde (et plus si affinités). Mais l’absence de mâles commence à titiller certaines citoyennes, notamment la très sage et prude Lily (Betsy Lynn George), tenancière du saloon local qui, un soir, formule le vœu de voir arriver un homme. Aussitôt, le ciel est traversé par une étoile filante… ou plutôt par un vaisseau spatial en perdition qui s’écrase sur la « Petticoat Planet » (autrement dit la « planète jupons »). À son bord, le pilote Steve Rogers (Troy Vincent) découvre avec stupeur la nature de l’endroit dans lequel il vient de s’échouer. Sa présence agite bientôt les libidos, transforme Sarah et Delia en farouches rivales et fait chavirer le cœur de Lily. Steven, qui n’a rien du héros galactique puisqu’il s’agit d’un modeste éboueur de l’espace, saura-t-il gérer une telle situation ?

L’arrière-train sifflera trois fois

Le concept est plutôt amusant et promet quelques situations comiques dont le scénario parvient à tirer parti avec habileté, gorgeant les dialogues de légèreté et de références à la pop culture. Certains clins d’œil font mouche (le salon de massage « Ellen Cabot », autocitation du réalisateur qui a délibérément décidé de ne pas se prendre au sérieux), d’autres sont patauds (la séquence façon Pretty Woman dans laquelle Rogers essaie toutes sortes de tenues de cowboys) mais Petticoat Planet n’essaie jamais d’être autre chose que ce qu’il est : une comédie de science-fiction sans prétention multipliant les séquences déshabillées dans son décor de western. Selon une formule bien éprouvée, l’intrigue s’interrompt donc toutes les dix ou quinze minutes pour une scène torride (généralement annoncée par un changement de musique) puis reprend tranquillement son cours. Les acteurs se révèlent étonnamment convaincants, déployant un véritable sens du tempo comique entre deux parties de jambes en l’air. Tout ça ne vole évidemment pas très haut, comme la grande majorité des productions Torchlight (Les Créatures de l’au-delà, Virgin Hunters, Cave Girl Island), mais DeCoteau emballe le tout avec efficacité et « fait le job », comme on dit.

 

© Gilles Penso

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EXTERMINATOR 2 (1984)

Quatre ans après Le Droit de tuer, le vigilante incarné par Robert Ginty revient faire flamber les gangsters de New York…

EXTERMINATOR 2

 

1984 – USA

 

Réalisé par Mark Buntzman et William Sachs

 

Avec Robert Ginty, Mario Van Peebles, Deborah Geffner, Frankie Faison, Scott Randolph, Reggie Rock Blythewood, Bruce Smolanoff, David Buntzman

 

THEMA TUEURS

Exterminator 2 est la suite de The Exterminator. Jusqu’ici, c’est plutôt logique. Pour le public français, les choses ne sont pourtant pas aussi claires dans la mesure où le premier film s’appelle Le Droit de tuer chez nous. Or étrangement, les distributeurs choisissent de ne pas traduire le titre original pour la suite. Cette suite, James Glickenhaus, scénariste et réalisateur du long-métrage original, n’en voulait pas. Pour lui, le parcours tourmenté du héros incarné par Robert Ginty s’arrêtait en 1980 et ne nécessitait aucun prolongement. Mais le succès du Droit de tuer sur le marché international pousse Menahem Golan et Yoram Globus, désormais détenteurs des droits, à produire un second volet. Pour remplacer Glickenhaus, on sollicite Mark Buntzman, qui a participé à la production du Droit de tuer mais n’a encore réalisé aucun film – et n’en réalisera d’ailleurs pas d’autre, étant donnée la douleur dans laquelle fut enfanté Exterminator 2. En effet, rien ne se passe comme prévu pendant la production du film, qui souffre déjà de préparatifs extrêmement courts, une semaine et demie à peine. À mi-parcours du tournage, localisé à New York comme son prédécesseur, les comptables de Cannon Group constatent que le budget, initialement estimé à 1,5 million de dollars, est en train de doubler. Or seulement quarante minutes utiles ont été filmées. Pour sauver les meubles, l’équipe est relocalisée à Los Angeles et Buntzman doit se débrouiller pour que les choses se raccordent au mieux…

L’intrigue s’intéresse une nouvelle fois à John Estland, qui erre toujours dans les rues de New York avec son éternelle veste militaire et sort régulièrement son arsenal (un lance-flammes et un casque de soudeur, conformément à ce que promet le poster du film) pour transformer les petites frappes et les gangsters en torches humaines. Le reste du temps, il flirte avec la danseuse d’un club, Caroline (Deborah Geffner), et traîne un peu avec Be Gee (Frankie Faison), son ancien camarade de régiment pendant la guerre du Vietnam qui travaille désormais comme chauffeur de camion-poubelle. Curieusement, ce personnage semble être le même que celui incarné par Steve James dans le premier film, qui aurait connu un destin différent et aurait changé de visage. Ce n’est pas la moindre bizarrerie de cette séquelle aux gros sabots qui se concentre parallèlement sur les méfaits de X (Mario Van Peebles), un chef de gang caricatural au regard illuminé et aux costumes invraisemblables. « Je suis le messie et vous êtes mes guerriers » déclare-t-il à ses sbires, comme s’il se croyait dans Les Guerriers de la nuit, avant de faire alliance avec un vieux mafieux italien à l’ancienne incarné par David Buntzman, le père du réalisateur. En découvrant le premier montage, Golan et Globus déchantent, absolument pas satisfaits par le résultat. William Sachs, co-scénariste et co-producteur du film, est donc chargé de rafistoler tout ça, quitte à tourner de nouvelles séquences pour obtenir un résultat un peu plus impactant.

Le ramassage des poubelles

Réalisateur habitué au système D (Le Monstre qui vient de l’espace, Galaxina), Sachs décide de multiplier les séquences spectaculaires au cours desquelles John, affublé de son casque et de son lance-flammes, brûle tout ce qui bouge. Robert Ginty étant pris sur un autre tournage, c’est sa doublure qui endosse la panoplie, le montage s’efforçant de donner un peu de cohérence à l’ensemble. On l’aura compris, Exterminator 2 évacue tout le caractère social ou psychologique de son prédécesseur au profit d’un enchaînement de scènes d’action excessives. La quête de réalisme n’est plus d’actualité et le caractère bis est pleinement assumé. D’où cette musique éléphantesque au synthétiseur qui fait pouet-pouet, ce camion transformé en bulldozer/char d’assaut blindé façon Mad Max, ces cadavres calcinés en gros plan, ces costumes qui semblent échappés d’un film italien post-apocalyptique, ces fusillades et ces explosions à gogo, cette scène d’amour filmée comme dans un clip ou encore ce climax absurde bourré de faux raccords. Pas certain que le spectateur comprenne ce qu’on est en train de lui raconter, les dialogues jugent bon d’appuyer le symbole du camion-poubelle qui nettoie les rues de la racaille en faisant dire à Be Gee « On dirait qu’il y a des ordures à ramasser. » Malgré tout, il faut bien avouer que cette série B mal fichue est diablement distrayante et se regarde sans ennui. C’est sans doute ce qu’on appelle un plaisir coupable.

 

© Gilles Penso

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CONTES MACABRES : LA REINE DU CHÂTEAU (1998)

Un étudiant teste un jeu vidéo d’un nouveau genre et se retrouve propulsé en plein moyen-âge, face à trois châtelaines peu insensibles à ses charmes…

LURID TALES : THE CASTLE QUEEN

 

1998 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Shannon Dow Smith, Kim Sill, Cristi Harris, Betsy Lynn George, Mihaela Mihut, Grenguta Hariton, Andreea Macelaru, Maria Zamfirescu, Cristina Stoica

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA CHARLES BAND

Contes macabres : la reine du château est le dernier film produit par Full Moon pour le label Torchlight Entertainment. Cette petite collection de films érotico-fantastiques commença à alimenter timidement les bacs vidéo à partir de 1993 sans toutefois parvenir à installer durablement la marque. Paramount Pictures, qui assurait jusqu’alors la distribution en vidéo des films Full Moon, cessa quelques années plus tard sa collaboration avec le producteur Charles Band et entraîna donc la fin du label Torchlight. Tournée en Roumanie dans la foulée de Petticoat Planet, cette histoire de voyage dans le temps polissonne fut un temps envisagée comme une comédie dans l’esprit de L’Excellente aventure de Bill et Ted, avant que le scénario n’opte finalement pour une approche au premier degré. L’une des idées de Charles Band était de lancer une nouvelle anthologie, La Reine du château étant le premier opus de ces Contes macabres. Finalement, la tentative restera isolée. L’adjectif « macabre » (« lurid » en anglais) semble d’ailleurs un peu hors-sujet. Car si ce titre évoque Les Contes de la crypte ou Creepshow, nous avons plutôt affaire ici à une aventure digne d’un roman à l’eau de rose façon collection Harlequin, dans laquelle aurait été saupoudré un érotisme bon chic bon genre, le tout sur un postulat qui n’est pas sans évoquer « Un Yankee à la cour du roi Arthur » de Mark Twain. Drôle de cocktail, en vérité.

Shannon Dow Smith entre dans la peau de Thomas Dunsmore, un étudiant qui sèche sur son devoir d’économie, perdu au milieu de ses livres dans un café. Pour lever un peu le nez de ses cours et se changer les idées, il s’offre une escapade dans une salle d’arcades, de l’autre côté de la rue. Bizarrement, tous ces décors contemporains semblent déjà anciens. Le café donne l’impression d’avoir été installé dans une auberge médiévale et la salle de jeux vidéo ne ressemble à rien de ce qu’on imagine. Au lieu d’un espace high-tech coloré, nous voilà dans une pièce étrange éclairée à la bougie, tenue par une jeune femme aux allures d’escort girl. Le réalisateur David DeCoteau installe d’emblée une atmosphère décalée, comme pour mieux nous faire comprendre que le réalisme n’a aucun droit de cité dans son film. Thomas s’assoit bientôt sur un trône, enfile un casque de réalité virtuelle qui semble bricolé avec un serre-tête et quelques fils électriques… et se retrouve soudain propulsé en plein moyen-âge.

La chair et le gland

S’agit-il d’un voyage dans le temps, d’une immersion dans un monde virtuel ou du fruit de l’imagination surchauffée du jeune homme ? Nous n’en savons rien, et le scénario ne cherche pas spécialement à nous éclairer sur le sujet, plutôt enclin à nous présenter les trois femmes qui seront bientôt les partenaires de galipettes de Thomas. Car ce dernier a atterri sur les terres de Lady Dorset (Kim Sill), veuve depuis que son époux est tombé au combat. Mais il faut croire que le deuil ne pèse pas trop lourd sur sa vertu, si l’on en croit les œillades langoureuses qu’elle lance au nouveau venu. Ses deux sœurs cadettes (Christi Harris et Betsy Lynn George) n’en pensent pas moins. Le film s’apprête alors à enchaîner une petite série de vignettes libertines au cours desquelles le brave Thomas a la lourde charge de donner des leçons d’amour aux trois sœurs. DeCoteau expose comme il peut la « production value » à sa disposition (un beau décor de château médiéval, de la figuration en costume, des cavalcades à cheval filmées à la grue) mais l’on sent bien que ce décorum n’a pas une grande importance. Nimbés dans une mise en forme datée de téléfilm érotique des années 90 (flou artistique, bougies aux lueurs diffuses, musiquette au piano synthétique), plombés par de longues scènes de dialogue cherchant inutilement à nous intéresser aux états d’âme des personnages, ces Contes Macabres fixent clairement les limites de la formule Torchlight. Achevé en 1994, le film ne sortira d’ailleurs qu’en 1998 dans une indifférence polie.

 

© Gilles Penso


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THE SUBSTANCE (2024)

Pour être toujours au top à Hollywood, les actrices doivent savoir rester jeunes et belles… Oui, mais à quel prix ?

THE SUBSTANCE

2024 – FRANCE / GB / USA

Réalisé par Coralie Fargeat

Avec Demi Moore, Dennis Quaid, Margaret Qualley, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Oscar Lesage, Christian Erickson, Robin Greer, Tom Morton

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I DOUBLES

« Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Ce message énigmatique résonne sur le téléviseur d’Elizabeth Sparkle (Demi Moore), une ancienne gloire oscarisée dont l’étoile sur Hollywood Boulevard s’est mise à pâlir au fil des ans – ce que montre le très efficace plan-séquence elliptique sur lequel s’ouvre The Substance. Pour prolonger sa carrière déclinante, Elizabeth anime une émission d’aérobic à succès, mais même ce second souffle s’épuise. Passée la cinquantaine, la star déchue n’intéresse plus les chaînes de télévision, en quête d’un visage – et d’un corps – plus jeune. Au volant de sa voiture, distraite par le spectacle déprimant des affiches à son effigie en train d’être démontées, elle est victime d’un accident qui la conduit illico à l’hôpital. Plus de peur que de mal. Mais avant qu’elle rentre chez elle, un jeune et séduisant infirmer lui remet une clé USB en lui glissant au coin de l’oreille : « ça a changé ma vie ». Et voilà Elizabeth devant sa télévision, face à un clip vidéo intriguant vantant les mérites de « la substance ». Ce sérum miracle est censé générer une version « plus jeune, plus belle et plus parfaite » de soi-même à condition d’en respecter scrupuleusement le mode d’emploi. Notre actrice devenue « has been » va-t-elle se laisser tenter ?

Sept ans après son premier long-métrage, Coralie Fargeat nous propose donc une déclinaison clinique autour des mythes de Faust et de Dorian Gray en repoussant très loin les limites du fameux « body horror » cher à David Cronenberg. Demi Moore excelle dans le rôle de la star vieillissante. Tout au long de sa carrière, l’actrice aura su habilement jouer avec son propre corps, le métamorphosant dans À armes égales, le muant en objet de désir monnayé dans Strip-tease ou d’âpres négociations dans Harcèlement, bref détournant son apparence physique pour en montrer les atouts, les travers et les faux-semblants. Elle semblait la candidate idéale pour entrer dans l’univers trouble de la réalisatrice. Pour incarner sa version rajeunie, Fargeat opte pour Margaret Qualley, fille d’une icône hollywoodienne synonyme de charme et d’élégance, en l’occurrence Andie MacDowell. L’effet miroir et la mise en abyme fonctionnent ainsi à plein régime, les deux actrices fusionnant à l’écran dans des conditions de tournage qu’on image par moments délicates, pour ne pas dire inconfortables. Au beau milieu de ce dédoublement surnaturel, Dennis Quaid se délecte visiblement dans le rôle du producteur macho, vulgaire et hypocrite, prenant le relais du regretté Ray Liotta qui était initialement pressenti dans le rôle – et auquel le générique de fin rend hommage.

Beauté fatale

Certains travers de Revenge n’ont pas totalement disparu de The Substance, notamment le portrait unilatéralement détestable de l’ensemble des personnages masculins – tous idiots, frustres et obsédés sexuels -, la complaisance un tantinet puérile avec laquelle Fargeat filme les fesses de ses actrices et surtout quelques raccourcis scénaristiques difficiles à avaler (comme la transformation soudaine de l’héroïne en spécialiste de la chirurgie, du bâtiment et de la construction). Mais il faut saluer l’incroyable inventivité de la mise en scène, traduisant les perceptions exacerbées d’Elizabeth et de son alter-ego à travers des choix de focale déstabilisants, un sound design « sensitif » perturbant, un jeu étrange sur les cadrages symétriques et les couleurs saturées, une musique électronique entêtante… Et puis il y a bien sûr le jusqu’au-boutisme hallucinant de la mutation physique de notre infortunée protagoniste. Poussé dans ses retranchements par l’exigence de la réalisatrice, Pierre-Olivier Persin concocte des effets spéciaux de maquillage surréalistes qui évoquent tour à tour La Mouche, Society, Le Blob mais aussi Picasso et Bacon. Par-delà l’apothéose horrifico-organique vers laquelle s’achemine The Substance, on notera une discrète référence au film précédent de Coralie Fargeat via une boucle d’oreille en forme d’étoile. Cette autocitation semble vouloir lier les deux films au-delà du simple clin d’œil. Finalement, Revenge et The Substance abordent un thème voisin, celui de la femme que le regard de l’homme pousse à devenir quelque chose d’autre, fut-ce un ange exterminateur ou un monstre. Présenté en première mondiale au 77e Festival de Cannes, The Substance y a remporté le prix du meilleur scénario.

 

© Gilles Penso


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DON’T LET HER IN (2021)

Un couple d’artistes sous-loue une partie de son appartement à une jeune femme sympathique et séduisante qui cache bien son jeu…

DON’T LET HER IN

 

2021 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Kelly Curran, Cole Pendery, Lorin Doctor, Austin James Parker

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA CHARLES BAND

Contrairement à ce que son titre pourrait faire croire, Don’t Let Her In ne présente aucun lien avec Let Me In (Laisse-moi entrer de Matt Reeves, le remake américain de Morse). Il n’est pas ici question de vampirisme ou de romance adolescente contrariée mais d’une chronique urbaine qui vire au thriller surnaturel, quelque part à mi-chemin entre Jeune fille partagerait appartement et Rosemary’s Baby. À cette époque, les productions Full Moon destinées directement à la plateforme de streaming créée par le producteur Charles Band ne se distinguent pas spécialement par leur qualité d’exécution. Il s’agit généralement de films très courts produits en quatrième vitesse et recyclant des ingrédients déjà éprouvés, empruntés tous azimuts au cinéma de genre. Mais avec Don’t Let Her In, le scénariste et réalisateur Ted Nicolaou (Terrorvision, Subspecies, Journal intime d’un vampire, pour n’en citer qu’une poignée) cherche à élever le niveau et à ne pas sacrifier la qualité malgré le petit budget que Band lui a alloué. Avec seulement quatre acteurs à sa disposition et un décor réel (en l’occurrence le bâtiment historique de Nate Starkman and Sons à Los Angeles, déjà utilisé dans plusieurs films d’horreur comme Candyman 2 ou Wishmaster 2), il parvient à mettre en place un intéressant huis-clos qui bascule peu à peu dans le cauchemar.

Amber (Kelly Curran) et Ben (Cole Pendery) sont un jeune couple d’artistes qui vivent dans un grand loft à Los Angeles. Elle gagne sa vie comme illustratrice, lui comme musicien, mais leur tranquille petite existence s’apprête à connaître un profond bouleversement. Tout commence pourtant bien. Pour arrondir leurs fins de mois et assumer leur loyer, Amber et Ben décident de sous-louer une partie non occupée de leur appartement. Serena (Lorin Doctor), elle-même artiste spécialisée dans les sculptures exotiques singulières, se présente à la suite de leur annonce et sympathise immédiatement avec eux. Mais cette belle brune ténébreuse semble cacher un lourd secret. La nuit, elle fabrique d’étranges concoctions, psalmodie ce qui ressemble à des incantations et semble même se transformer furtivement en une étrange créature. À moins que tout ceci ne soit que le fruit de l’imagination d’Amber ?

Ne la laissez pas entrer !

Assez tôt, le scénario de Don’t Let Her In révèle sa vraie nature faustienne. Être colocataire de Serena, c’est comme faire un pacte avec le Diable. Derrière les belles opportunités professionnelles qui se présentent soudain pour Amber et Ben (un contrat pour la campagne d’affiche d’une exposition, une signature inespérée avec une maison de disque) et les manœuvres de séduction qui se muent en passages à l’acte (Serena se glisse dans le lit de ses hôtes pour des extases au-delà de toute mesure) se cache une terrible contrepartie. Le film se permet quelques clins d’œil au passé récent de Full Moon. « Je fais des posters pour des films d’horreur ridicules à petit budgets » dit ainsi Amber en montrant sur sa table à dessin celui de Corona Zombies. Mais l’approche reste sérieuse, au premier degré, portée par des acteurs convaincants, une réalisation très soignée, une belle photographie et une musique envoûtante de Richard Band. Contraint à l’épure faute d’un gros budget, Ted Nicolaou tire parti de ce minimalisme imposé pour resserrer son intrigue et ses enjeux, évitant même de faire sombrer dans le ridicule le maquillage excessif de « démon rongeur » de Serena en optant pour un montage habile. Le scénario aurait sans doute mérité de se développer un peu plus, mais Don’t Let Her In représente sans conteste le haut du panier des productions Charles Band des années 2020.

 

© Gilles Penso

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